L’empreinte mondiale provoquée par la demande européenne en bioénergie équivalait en 2010 à la taille de la Suède, révèle le rapport de l’université de Vienne « A calculation of the EU bioenergy land footprint ».
« Les objectifs politiques en matière de bioénergie devraient nécessiter l’expansion des terres [destinées à la culture de bioénergie] équivalant à la superficie de la Pologne d’ici 2030 ». « Cette expansion est fortement liée aux objectifs européens en matière d’énergie pour 2020. »
Parmi ses objectifs à l’horizon 2020, l’UE compte produire 20 % de son mix énergétique à partir d’énergies renouvelables. Dans l’ensemble de l’Union, près de deux tiers des énergies renouvelables provenaient de la biomasse en 2010. Bruxelles affiche également une autre ambition : 10 % du carburant destiné au transport devrait provenir des énergies renouvelables d’ici 2020, dont la majeure partie provient de biocarburants. Les États membres doivent pourtant toujours discuter en détail des règles visant à prendre en compte les éventuels effets indirects sur l’affectation des sols.
Le rapport indique que l’utilisation de biocarburants en Europe se stabilisera entre 2020 et 2030. Ces conclusions se basent sur des projections de l’UE quant à l’utilisation de biomasse, si aucune autre mesure de réduction des émissions n’est mise en place. Il en ressort que d’ici 2030, la biomasse représentera 40 millions d’hectares, les biocarburants 11 millions et les cultures consacrées à la bioénergie constitueront le reste.
Au total, cela représentera 70,2 millions d’hectares, soit « trois fois plus la taille du Royaume-Uni », selon les Amis de la Terre qui ont commandé le rapport.
Une hausse importante de la concurrence s’en suivra « étant donné qu’il n’existe pour l’instant aucun mécanisme de sauvegarde adéquat et contrôlable sur la durabilité afin d’éviter la dégradation continue de l’écosystème provoquée par la consommation de bioénergie dans l’UE. »
La bioénergie est la plus grande source d’énergie renouvelable : elle représente 10 % de l’approvisionnement mondial. Certains craignent pourtant que la biomasse provenant de pays qui n’ont pas ratifié le protocole de Kyoto, comme les États-Unis, puisse provoquer des pratiques non respectueuses de l’environnement, voire la déforestation.
Une enquête menée par le Wall Street Journal a mis au jour l’année dernière l’abattage illégal des forêts américaines destinées pour la biomasse dans l’Europe. L’UE elle-même estime que cette pratique est illégale.
Lors de la récolte de la biomasse, les brindilles et feuilles tombées, les résidus agricoles ainsi que les autres déchets en fin de vie peuvent être des sources précieuses d’énergie renouvelable.
La combustion d’arbres n’est pas inoffensive
La combustion d’un arbre afin de produire de la bioénergie sous la forme de granulés ou de copeaux libère tout le carbone absorbé par l’arbre au cours de sa vie. Du coup, l’environnement est capable de combler stocker moins de CO2 jusqu’à ce qu’un arbre soit replanté et arrive totalement à maturation.
Le 22 mai, l’Agence américaine pour l’information sur l’énergie a indiqué que les exportations de granulés de bois américains ont presque doublé l’année dernière pour atteindre près de 3 millions de tonnes. Environ 98 % de ces exportations ont été livrées en Europe et 99 % de ces produits transitaient par les ports du sud-est des États-Unis et de la région inférieure du Mid-atlantic, sur la côte Est.
L’Institut pour une politique européenne de l’environnement (IEEP), l’International Institute for Sustainability Analysis and Strategy, l’Institut européen des forêts et Joanneum Research ont publié d’autres études sur le sujet. Ils sont arrivés à la même conclusion : la demande prévue en biomasse ligneuse serait supérieure à l’approvisionnement durable.
Le rapport de l’IEEP révèle que seulement 1,3 million d’hectares de terres en Europe pourraient être utilisés pour des cultures énergétiques sans devoir déplacer la production alimentaire ou endommager les habitats précieux.
« La combustion des arbres dans nos centrales énergétiques est une catastrophe », indique Robbie Blake, chargé de campagne pour les biocarburants pour les Amis de la Terre Europe. « La bioénergie contribue à la réduction des émissions, mais on devrait se concentrer sur l’utilisation de déchets plutôt que sur la combustion d’arbres et sur les cultures vivrières. »
La sécurité énergétique sur le devant de la scène
La biomasse a pris de plus en plus d’ampleur dans le calendrier politique étant donné que l’UE se concentre plus sur la sécurisation des sources nationales, ce qui permettrait de réduire la demande en importation.
D’après les rapports, la bioénergie s’est avérée particulièrement populaire dans les centrales à charbon au Royaume-Uni puisqu’il est aisé de changer de type d’approvisionnement dans ce genre de centrale.
Alors que les leaders européens ont tenté de trouver une solution à la crise ukrainienne le mois dernier, Jasmin Battista, membre du cabinet du commissaire en charge de l’énergie, Günther Oettinger, a confirmé que la mise en place de critères pour évaluer le développement durable serait reportée à l’après-2020.Les États producteurs de biomasse, dont la Finlande et la Suède, sont réputés pour s’être farouchement opposés à des règles strictes pour comptabiliser l’émission de carbone.
Un fonctionnaire de l’UE a expliqué à EurActiv qu’« aucune consultation » n’avait eu lieu avec les agents en charge du dossier avant de faire l’annonce. « Nous avons été mis au courant par la presse », indique la source.
La déclaration de Jasmin Battista est survenue alors que des scientifiques de l’UE venaient de découvrir que le biocarburant pourrait en réalité augmenter les émissions de carbone, en raison de l’incapacité à contrôler et à expliquer les émissions libérées à la source.
Jonas Helseth, directeur des politiques européennes de Bellona, une fondation qui fait la promotion de l’utilisation durable de la biomasse, a affirmé que les discussions avec les fonctionnaires européens l’avaient convaincu que le biocarburant était un contrepoids nécessaire à la hausse de l’utilisation de charbon au sein de l’UE.
Solutions au bilan carbone négatif
« Je pense que la question de la sécurité énergétique prend le dessus sur tout le reste alors que la biomasse est évidemment l’une des ressources énergétiques les plus abondantes sur le territoire européen », a-t-il expliqué EurActiv. « Nous devons nous reconcentrer sur la réduction de la dépendance vis-à-vis du gaz ainsi que sur des objectifs à long terme en matière de lutte contre le changement climatique. »
Selon Bellona, le cinquième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a provoqué ce changement de priorités. D’après le rapport, l’utilisation de la biomasse, accompagnée de la technologie du captage et stockage du dioxyde de carbone, apporte une solution à bilan carbone négatif qui permet de diminuer les émissions nettes de carbone.
Ces conclusions ont irrité les défenseurs de l’environnement. Ils redoutent le passage à des stratégies de géoingénierie destinées à la lutte contre le changement climatique dont les effets ne sont pas prouvés pour l’instant.
Jonas Helseth a admis que l’absence de critères en matière de développement durable pour la biomasse ligneuse le préoccupait.« Il va sans dire que l’importation de biomasse provenant des forêts tropicales n’est pas une source d’énergie durable », a-t-il assuré.« Il en va de même pour l’importation de granulés de bois venant de Caroline du Sud où les méthodes [d’exploitation] ne sont pas durables ».
« Si l’Europe n’est pas en mesure de garantir que les critères de développement durable soient mis en place et testés, alors l’ensemble du débat sur le climat pourrait être mis en péril et tout espoir d’avoir des émissions à bilan carbone négatif avec le CSC est impossible. »
PROCHAINES ÉTAPES :
2020 : date butoir à laquelle 20% du mix énergétique des États membres doit être issu d’énergies renouvelables
Par Arthur Neslen, EurActiv.com
Traduction de l’anglais par Aubry Touriel
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