Début juillet, EDF annonçait revoir complètement le design de NUWARD, son modèle de réacteur SMR. Si ce changement de stratégie avait alors créé la surprise, il serait en partie lié à une volonté de dérisquer le projet en misant sur des technologies éprouvées. L’objectif serait simple : maximiser les chances de succès et arriver rapidement sur le marché des petits réacteurs nucléaires sans se laisser distancer par la concurrence.
Mais ce revirement montre aussi que la priorité de l’énergéticien est ailleurs, puisqu’EDF a prévu de construire entre 6 et 14 réacteurs nucléaires EPR 2 d’ici 2035-2040. Et pour y arriver, il va falloir construire les réacteurs deux à trois fois plus vite ! Lors de la présentation des résultats semestriels de l’entreprise, son nouveau PDG, Luc Rémont, a ainsi annoncé un objectif ambitieux : que les futurs réacteurs soient construits en 70 mois de moyenne, soit un peu moins de 6 ans.
Les ambitions d’EDF sont-elles réalistes ?
6 ans c’est très court, car rappelons qu’il a fallu 17 ans à l’EPR de Flamanville pour sortir de terre, après un cumul de 12 ans de retard ! Et qu’en est-il des deux réacteurs qu’EDF a commencé à construire en 2017 à Hinkley Point, en Angleterre ? Il semblerait que le scénario de démarrage le plus probable soit autour de 2030, ce qui nous fait 13 ans entre le début des travaux et la mise en service.
Mais selon Luc Rémont, réduire à 6 ans le délai de construction des centrales est vital, afin de « ramener à l’échelle industrielle » la construction de réacteurs et rester compétitif. Or, pour atteindre cette échelle industrielle, il faut un nombre suffisant de projets nucléaires, ce qui n’a pas été le cas pendant 20 ans.
Néanmoins, la situation est en train de changer et les projets de centrales se multiplient dans le monde. Une douzaine de nouveaux pays devraient ainsi intégrer le nucléaire d’ici à 2030, selon Rafael Grossi, le patron de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
Cette relance de la filière nucléaire pourrait donc permettre d’atteindre la productivité désirée grâce à la répétabilité et à la baisse des coûts. Car il faut rappeler aussi qu’il y a 50 ans, la capacité de production d’EDF était montée jusqu’à 4 réacteurs par an ! Vu sous cet angle, passer de 1 ou 2 réacteurs par décennie à 1,5 par an paraît tout à fait réaliste.
La crise politique, cause d’incertitude pour EDF
Au-delà des questions de productivité, EDF subit cependant le revers de la situation politique en France. La crainte n’est pas tant dans une éventuelle remise en cause des EPR 2 par un futur gouvernement[1], que dans un climat d’indécision qui perdurerait trop longtemps.
Car la situation actuelle retarde plusieurs décisions clés en matière de politique énergétique et pas seulement sur le nucléaire, puisqu’il est aussi question de l’entretien et du développement des barrages hydroélectriques.
Dans un article du Monde, Alexandre Grillat, secrétaire général de la Fédération CFE-CGC Énergies résume la situation ainsi : « Mis bout à bout, des sujets majeurs pour l’avenir d’EDF et, plus largement pour l’ensemble du secteur énergétique français, sont soumis à des incertitudes qui ne seront levées qu’une fois que nous connaîtrons le futur gouvernement, ses orientations et la réalité de son poids politique. »
Quel avenir pour le nucléaire en Europe ?
Pour ajouter encore un peu de flou, rappelons que la position de l’Europe concernant la politique énergétique à conduire n’est pas non plus très claire.
Après des décennies de tabou nucléaire, en mars 2024, Bruxelles opérait un apparent virage et même la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen semblait alors défendre les technologies nucléaires et leur « rôle important vers une énergie propre ». Mais de récents signaux indiquent qu’il faut peut-être s’attendre à un nouveau revirement.
Les élections européennes, auraient-elles changé la donne ? C’est bien possible, car le 17 septembre, la présidente de la Commission européenne a dévoilé la composition de sa nouvelle équipe. Or, les portefeuilles concernant la transition écologique et l’énergie ont été confiés à deux anti-nucléaires, ce qui n’a pas manqué de faire réagir.
Il serait pourtant étonnant que l’UE abandonne son soutien nouveau au nucléaire, Ursula von der Leyen ayant elle-même déclaré qu’il fallait produire « plus de nucléaire » en Europe, à l’occasion de son discours de fin août au forum sur la sécurité de Prague.
Pour le moment, le futur énergétique de l’Europe est donc incertain. L’UE va-t-elle adopter une approche neutre sur le plan technologique, comme l’encourage le rapport Draghi sur « l’avenir de la compétitivité européenne » ? Ou va-t-elle faire machine arrière sur le nucléaire ?
[1] Dévoilé entre temps, vendredi 20 septembre 2024
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