Les aires marines protégées (AMP) contribuent bien à l’adaptation et à l’atténuation des effets du changement climatique. C’est ce que viennent de démontrer des scientifiques du Criobe (CNRS/École pratique des hautes études/UPVD) au sein d’une équipe internationale. Leur étude publiée dans One Earth a analysé 22 403 articles de recherche consacrés aux AMP.
Les résultats démontrent que les AMP peuvent améliorer de manière significative la séquestration du carbone, la protection des côtes, la biodiversité et la capacité de reproduction des organismes marins. Elles améliorent aussi les captures et les revenus des pêcheurs lorsqu’elles sont intégralement ou hautement protégées. Joachim Claudet, co-auteur de cette étude, directeur de recherche CNRS au Criobe et président du conseil scientifique de la plate-forme Océan et Climat, nous explique ces résultats.
Techniques de l’ingénieur : Que sait-on aujourd’hui sur les bénéfices des aires marines protégées pour la biodiversité ?
Joachim Claudet : La littérature scientifique documente déjà le fait que les aires marines protégées sont un outil efficace pour la conservation de la biodiversité. On sait aussi qu’elles peuvent fournir un certain nombre de bénéfices socio-économiques. Elles bénéficient par exemple à la petite pêche artisanale côtière. Cela est documenté à partir de méta-analyses qui prennent en compte une multitude d’études.
Il y avait beaucoup de suppositions sur le fait que les AMP pouvaient être utilisées soit pour l’atténuation soit pour l’adaptation au changement climatique. On a dont fait cette étude pour évaluer ces effets.
Quels sont donc les mécanismes évalués par votre étude ?
L’étude évalue les mécanismes pour lesquels les AMP peuvent potentiellement jouer un rôle pour l’atténuation ou l’adaptation au climat. Nous avons identifié ces mécanismes et les avons classés en trois catégories : l’atténuation, l’adaptation écologique et l’adaptation sociale au changement climatique. Puis, nous avons cherché à évaluer l’effet positif, négatif ou ambigu des AMP sur chacun de ces mécanismes identifiés.
Nous utilisons deux approches différentes pour avoir à la fois des informations qualitatives et quantitatives lorsque cela est possible. Ainsi, nous avons eu recours d’une part à la technique du « vote counting », largement utilisée dans les sciences sociales pour l’évaluation qualitative, et de l’autre une méta-analyse pour quantifier l’effet d’un mécanisme. Par exemple pour l’adaptation écologique, on ne peut pas évaluer d’effet qualitatif ou quantitatif pour la plasticité phénotypique – capacité à s’acclimater – et sur la connectivité spatiale. Sur l’atténuation, on peut quantifier un effet sur la séquestration du carbone, mais pas sur la régulation de l’équilibre acido-basique.
Quels sont les principaux résultats de l’étude ?
La méta-analyse montre que les AMP permettent d’avoir une séquestration du carbone supérieure par rapport à une situation sans aire marine protégée. Il y a ainsi un effet très clair sur l’atténuation. C’est notamment le cas pour les mangroves, les herbiers de Posidonie et les macroalgues.
La protection des habitats permet en plus d’atténuer la puissance des vagues et donc l’érosion. Cela permet d’avoir une meilleure protection des côtes, donc une meilleure adaptation au changement climatique. Cela permet par ailleurs d’avoir plus de biodiversité, plus de biomasse et d’augmenter la capacité de reproduction des organismes marins. Tout cela, c’est plus d’adaptation écologique.
En plus, et c’est la première synthèse qui le montre, les AMP permettent d’augmenter les captures et surtout les revenus des pêcheurs. Cela contribue à la capacité d’adaptation sociale au changement climatique.
Par contre, et c’est très important de le souligner, la plupart de ces bénéfices, en particulier les bénéfices socio-économiques, ne sont obtenus qu’avec une protection intégrale ou haute des AMP. Donc les AMP sont un outil pertinent d’atténuation et d’adaptation au changement climatique, à condition qu’elles soient de protection intégrale ou haute.
Faites-vous des recommandations pour la gestion des AMP ?
Dans la littérature scientifique, on s’intéresse de plus en plus à développer des AMP qui soient « climate smart », c’est-à-dire qu’elles puissent s’adapter au changement climatique. On entend par là qu’elles soient aux bons endroits, même quand les populations animales vont se déplacer à cause du changement climatique.
C’est très bien de réfléchir à cela, mais plutôt que de faire des choses qui s’adaptent au changement climatique, il faut déjà s’assurer que les AMP qu’on a permettent de s’adapter au changement climatique. Il faut donc plutôt augmenter le niveau de protection des AMP existantes plutôt que de chercher à les mettre dans des endroits qui vont être résilients au changement climatique.
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