Chacun des 17 pays européens a suivi quelques centaines de ruches, selon un protocole reprenant les lignes directrices émises par le laboratoire Anses de Sophia Antipolis. Au total, ce sont 31 832 colonies provenant de 3 284 ruchers qui ont été suivies entre l’automne 2012 et l’été 2013. L’objectif de ce programme de surveillance était de relever les taux de mortalités des colonies d’abeille et la prévalence des principales maladies infectieuses et parasitaires en hiver et en saison des colonies d’abeilles dans l’ensemble des pays participants. Les scientifiques disposent désormais de chiffres fiables représentatifs de la situation obtenus pour la première fois à l’aide d’un protocole harmonisé à l’échelle européenne.
Les résultats sont importants pour mieux comprendre le déclin des abeilles: les taux de mortalité hivernaux, basés sur des mesures avant et après l’hiver 2012-2013, varient considérablement. Ils s’échelonnent suivant les pays de 3,5 % à 33,6 %. Les taux de mortalité des colonies pendant la saison apicole sont quant à eux plus faibles et sont compris entre 0,3 % et 13,6 %.
Des différences géographiques importantes
Le taux de mortalité hivernale considéré comme acceptable et normal par la communauté scientifique en Europe est de 10 %. Il a été déterminé par des études scientifiques publiées sur le sujet. Les résultats montrent que ce taux est largement dépassé dans les pays du Nord de l’Europe, pays connaissant la plus forte mortalité des abeilles en hiver. La mortalité hivernale est particulièrement importante au Danemark (20,2 %), en Finlande (23,3%), en Estonie (23,4 %), en Suède (28,7 %), au Royaume-Uni (28,8 %) et en Belgique (33,6 %).
A l’opposé, les pertes hivernales sont les plus faibles dans les pays du Sud de l’Europe : en Grèce, en Hongrie, en Italie, en Lituanie, en Slovaquie et en Espagne, les pertes sont inférieures à 10 % et donc acceptables. Une zone de transition, avec des taux de mortalité variant de 13,6 à 15,3 % se dessine. Elle comprend la Lettonie, la Pologne, la France, l’Allemagne et le Portugal.
Néanmoins, durant la saison apicole le tableau devient beaucoup plus flou, avec des mortalités très différentes : 2,4 % en Norvège, 9,7 % au Royaume-Uni, 2,3 % en Italie et 6,8 % en Espagne. Alors que l’ensemble des pays présente un taux de mortalité inférieur à 10 %, la France remporte la triste palme d’or avec son taux de 13,6 % ! Notons que pour la mortalité des colonies au cours de la saison, il n’existe pas de taux considéré comme acceptable par les scientifiques.
En additionnant la mortalité hivernale à la mortalité de la saison apicole, c’est la Belgique qui arrive en tête de ce lugubre classement, avec un taux de mortalité de 42,5 %. Viennent ensuite le Royaume-Uni (38,5 %), la Suède (31,1 %), la Finlande (29,8 %) et la France (27,7 %). Ainsi, chaque année, près d’une abeille domestique sur trois mourra dans les ruches de ces pays.
Les principales maladies suivies
Le projet a également étudié la prévalence des principales maladies infectieuses et parasitaires des abeilles. Les principales maladies des abeilles ont été diagnostiquées dans l’ensemble des ruches à chaque visite. La prévalence clinique de la varroase (due au parasite Varroa destructor), de la loque américaine, de la loque européenne, de la nosémose et de la paralysie chronique a été enregistrée.
La varroase a été observée dans presque tous les pays. Les résultats montrent que la loque américaine et la loque européenne ont peu d’impact sur la mortalité. Par ailleurs, seuls quelques cas cliniques de paralysie due au virus de la paralysie chronique ont été observés dans 5 des 17 Etats membres et seul un pays avait un taux atteignant plus de 2 % des abeilles. Enfin, le taux de colonies touchées par la nosémose a dépassé 10 % dans 4 Etats membres.
Au cours du projet, les analyses montrent l’absence de deux arthropodes exotiques, responsables de maladies en dehors de l’Europe: le petit coléoptère de la ruche (Aethina tumida) et l’acarien parasite de la ruche (Tropilaelaps).
Quelles sont les causes de mortalité ?
« Cette étude ne permet pas d’établir de lien de causalité direct entre des agents pathogènes et des mortalités observées, mais elle identifie des facteurs de risque », précise Magali Chabert, chef d’unité Pathologie de l’Abeille du laboratoire de l’Anses de Sophia-Antipolis et Responsable du laboratoire de référence de l’Union européenne pour la santé des abeilles. Une analyse statistique sera réalisée pour dégager ces facteurs de risques. « Les maladies font évidemment partie de ces facteurs mais elles ne sont pas seules. Les conditions environnementales parmi lesquelles l’exposition à des facteurs toxiques (les pesticides, médicaments, …), les conditions climatiques mais aussi la gestion apicole des colonies et les ressources alimentaires sont autant d’autres facteurs de risques. » ajoute la chercheuse.
De nombreuses autres informations ont été collectées durant le projet, notamment concernant l’environnement des ruchers, les traitements vétérinaires et les actions conduites par l’apiculteur pour maintenir son cheptel (achat ou production de reines, d’essaims …). L’analyse de ces données sera conduite et permettra de suivre les actions sur le cheptel et la force des colonies notamment leur évolution entre la visite de printemps et celle d’été. Cela permettra d’estimer, au-delà de la mortalité, l’affaiblissement potentiel des colonies.
Et les pesticides dans tout ça ?
Suite à la publication de ce rapport, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer l’absence de suivi des pesticides et notamment le fait que le mot « pesticide » est totalement absent du rapport. Nous ne saurons pas, par exemple, quels résidus de pesticides se trouvaient dans les colonies les plus touchées. Et ce, alors même que plusieurs études montrent les effets délétères de plusieurs pesticides la santé des abeilles.
« La question de la détection des pesticides a été envisagée par l’Anses et la Commission européenne. Mais il a été jugé techniquement difficile et coûteux d’intégrer ce paramètre dans le premier volet de cette étude, les méthodes de recherche des résidus de pesticides n’étant pas harmonisées au sein des pays européens participant à l’étude. Ce paramètre sera donc traité dans un autre volet du programme, lorsqu’une une méthode harmonisée aura pu être développée et mise en place dans tous les pays participants. », affirme Magali Chabert.
Le Laboratoire de référence de l’Union européenne de l’Anses-Sophia-Antipolis développe d’ailleurs actuellement des méthodes de détection et de quantification des pesticides dans les différentes matrices apicoles (abeilles, larves, pain d’abeille, pollen, miel). « Une fois développées et validées, ces méthodes seront transférables aux autres laboratoires européens », insiste Magali Chabert.
Parallèlement à cette étude, l’Anses s’est auto-saisie de la problématique des abeilles et a chargé un groupe de travail d’établir un bilan sanitaire du rucher en France métropolitaine. L’agence sanitaire veut notamment dresser un état des connaissances sur les « co-expositions des abeilles aux facteurs de stress » : agents pathogènes, produits phytosanitaires, médicaments vétérinaires, etc.), et aux possibles conséquences de ces co-expositions et interactions sur la santé des abeilles. De plus, des résultats sur la prévalence des agents biologiques et des pesticides issues de plusieurs études françaises, ainsi que leur lien éventuel avec des mortalités d’abeilles, seront analysés. Les conclusions seront rendues d’ici la fin de l’année 2014.
Par Matthieu Combe, journaliste scientifique
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