Interview

Leroux & Lotz ouvre la voie à la valorisation du CO2 émis par l’industrie

Posté le 28 juillet 2022
par Benoît CRÉPIN
dans Matériaux

L’entreprise française Leroux & Lotz a développé une technologie permettant, après installation sur des équipements industriels existants, de capter directement dans les fumées le CO2 émis par leurs process. Une technologie actuellement testée dans le cadre du démonstrateur industriel Jupiter 1000, piloté par GRTgaz à Fos-sur-Mer. Objectif à terme : produire du méthane de synthèse à partir du CO2 capté et d’hydrogène vert.

Basée sur l’utilisation de contacteurs membranaires, la technologie de captage de CO2 mise au point par Leroux & Lotz fonctionne grâce aux échanges réalisés au niveau de ces membranes entre les fumées et un solvant permettant d’en extraire le CO2. S’ensuit une désorption, destinée à extraire le gaz dissous dans le solvant. Le CO2 peut ainsi finalement être purifié puis comprimé pour de futurs usages.

Grâce à son implication dans le projet Jupiter 1000, l’entreprise s’attelle désormais notamment à la qualification de la durée de vie du solvant ainsi que des membranes qu’elle utilise. De quoi ouvrir la voie au déploiement industriel du procédé. Une perspective que Leroux & Lotz espère voir se concrétiser fin 2023, et ce à destination de divers secteurs tels que la sidérurgie ou la culture sous serre, comme nous le dévoile Sofiane Zalouk, Responsable R&D de Leroux & Lotz Technologies.

Techniques de l’Ingénieur : Pouvez-vous, en quelques mots, nous présenter Leroux et Lotz Technologies ? Depuis quand l’entreprise s’intéresse-t-elle à ce sujet du captage de CO2 ?

Sofiane Zalouk : L’entreprise fait partie du groupe français Altawest, aux côtés de Jeumont Electric, qui travaille essentiellement à la production d’alternateurs, et d’Inova Opérations, qui se consacre à l’exploitation de centrales énergétiques. Leroux et Lotz existe depuis les années 1940 sur le site de Nantes, où se situe son siège. En 2000 a eu lieu l’acquisition d’une agence à Grenoble, spécialisée dans la conception de chaudières industrielles. En 2005, l’entreprise a été rachetée par le groupe Altawest et, en 2010, nous avons fait l’acquisition d’un portefeuille de technologies de combustion et de gazéification, ce qui a permis d’étendre le marché historique de la biomasse à des combustibles un peu plus complexes comme les combustibles solides de récupération (CSR).

Nous sommes vraiment spécialisés dans les installations de valorisation énergétique de déchets et de biomasse. Nous sommes aujourd’hui 90 personnes, avec un chiffre d’affaires de l’ordre de 45 M€.

En ce qui concerne notre positionnement, nous sommes fournisseurs de solutions globales de production d’énergie pour des puissances allant de 10 à 150 mégawatts thermiques (MWth), avec des installations de cogénération, de production de vapeur process, de chauffage urbain, incinération… Nous faisons aussi de l’amélioration des performances via le développement d’une expertise technique qui s’appelle Smart Performance, et qui consiste en des prestations d’amélioration et d’optimisation de procédés. Nous proposons également des solutions de conversion et de modification des installations existantes pour en améliorer les performances, en changer le combustible, en passant par exemple du charbon à la biomasse.

Étant fournisseur de solutions industrielles de valorisation énergétique des combustibles solides, nous intégrons également des systèmes de traitement de fumées, qui permettent d’abaisser les valeurs d’émission. Naturellement, nous nous sommes orientés vers le captage de CO2 pour apporter une brique complémentaire. Cette orientation a été prise dès 2009, avec un premier projet financé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), il s’agit du projet CO2_EnergiCapt. Nous avons travaillé avec des partenaires tels que l’ENSIC[1] de Nancy, la société Polymem et le laboratoire ICARE[2] situé à Orléans. Nous avons ainsi développé cette première technologie de captage de CO2 par contacteurs membranaires, implantée industriellement sur le site de la Compagnie Parisienne de Chauffage Urbain, la CPCU. Nous avons réalisé les premiers essais en conditions réelles sur des fumées-gaz, qui se sont révélés concluants.

En quoi consiste cette technologie de captage de CO2 ? Comment fonctionne-t-elle ?

Il s’agit d’une technologie dite de « post-combustion ». Il existe en effet trois types de technologies de captage de CO2 : la précombustion, où on produit un syngas et du CO2, l’oxycombustion, qui consiste en une combustion avec de l’oxygène pur et qui permet d’obtenir en sortie du CO2 relativement pur. La nécessité d’apporter de l’oxygène pur lors de la combustion rend toutefois l’oxycombustion compliquée pour du retrofit… Nous nous sommes ainsi positionnés sur une troisième voie, à savoir la post-combustion, avec laquelle on vient directement capter le CO2 au niveau des fumées, sans apporter des modifications au niveau de la chaudière.

En ce qui concerne son fonctionnement concret, il est assuré par des équipements qui sont répartis sur trois skids[3]. Le captage de CO2 s’effectue à une température de l’ordre de 40°C. On a donc une première phase de récupération de l’énergie contenue dans les fumées via un condenseur. Les fumées traversent par la suite des contacteurs membranaires où le CO2 qu’elles contiennent est capté par l’intermédiaire d’un solvant. Cet équipement consiste en une calandre dans laquelle se trouvent des petits tubes poreux, qui permettent d’effectuer l’échange entre le CO2 et le solvant. Le CO2 capté dans ces contacteurs membranaires est séparé du solvant dans une tour de stripage[4]. Ce dioxyde de carbone est ensuite purifié et compressé en fonction des usages souhaités. Une fois séparé, le solvant est quant à lui réutilisé au niveau du dispositif de captage.

L’optimisation des performances énergétiques du procédé de captage est réalisée avec l’intégration de l’ensemble des besoins. Ainsi, le solvant réchauffé à haute température pour les besoins de la séparation du CO2, est refroidi en assurant, à nouveau, le préchauffage du solvant qui a capté le CO2 à basse température. Ce solvant est également préchauffé par le condenseur à tubes de fumées. Tout cela permet de réduire la pénalité énergétique du procédé.

Que sont les contacteurs membranaires que vous évoquez ? Quelles sont leurs propriétés ?

Les contacteurs membranaires sont constitués de fibres creuses poreuses. Une partie est en contact avec les fumées, sous forme gazeuse, et l’autre avec le solvant liquide, une amine. Par affinité chimique entre le CO2 et le solvant, on va avoir un passage du dioxyde de carbone au niveau de cette membrane, qui offre des surfaces d’échange très importantes. L’importance de ces surfaces spécifiques permet d’avoir des installations très compactes. On peut en effet avoir une compacité jusqu’à quatre fois plus importante qu’une tour d’absorption classique.

Quel est le devenir du solvant ? Peut-il être réutilisé ?

Le solvant est en quelque sorte un consommable. L’un des objets du projet Jupiter 1000, que nous menons actuellement à Fos-sur-Mer[5], est justement de qualifier la durée de vie de ce solvant, ainsi que des membranes. Lors du premier projet de R&D, nous avons cumulé un millier d’heures de fonctionnement, pour un taux de captage de 85 à 90 % et une capacité de traitement maximale de 300 normo mètres cubes heure de fumées. Nous n’avons toutefois pas pu qualifier la durée de vie du solvant et des membranes. Il faut en effet des durées de fonctionnement plus importantes pour avoir un retour d’expérience à la fois sur les performances et sur la durée de vie, ainsi que sur les aspects technico-économiques.

En plus du taux de captage et des capacités de traitement que vous évoquez, quels sont les avantages de la technologie que vous proposez ?

Il s’agit tout d’abord d’une technologie brevetée, qui permet une réduction importante de l’impact environnemental : on n’a pas de contact direct entre le solvant et la fumée. On n’a donc pas de pertes de solvant comme cela peut être le cas dans des tours d’absorption classiques. Comme je l’évoquais, un autre aspect important concerne l’optimisation de la compacité. Nous avons également mis en œuvre la conception et la fabrication d’un échangeur thermique à haute résistance à la corrosion. On peut travailler avec du gaz, mais nous envisageons en effet aussi de travailler sur des installations aux combustibles solides de récupération ou d’autres combustibles plus corrosifs.

Il s’agit, de plus, d’une installation modulaire d’une part et, d’autre part, qui se prête bien au power-to-gas[6]. On a en effet une flexibilité de captage, du fait du découplage entre la phase liquide et la phase gazeuse, les fumées. On n’est donc pas limité par la quantité de CO2 capté : on peut la réduire ou l’augmenter en fonction des besoins. Nous avons d’ailleurs été lauréats du Trophée de la transition énergétique en 2017 et du Trophée de la recherche publique énergie environnement climat en 2015.

L’avantage de notre technologie est aussi sa modularité. On peut additionner les skids, pour pouvoir augmenter les capacités de traitement. En matière de maintenance, on peut également isoler chaque contacteur membranaire afin d’intervenir dessus tout en continuant la production au niveau des autres membranes.

Dans le cadre du démonstrateur Jupiter 1000, Leroux & Lotz capte le CO2 émis par Ascometal, entreprise sidérurgique située à Fos-sur-Mer.

Une fois capté, que devient le CO2 ?

Nous avons identifié différentes utilisations industrielles. En échangeant notamment avec GRTgaz, nous avons jugé que le power-to-gas pourrait être une solution pour valoriser ce CO2, d’où notre engagement dans le projet Jupiter 1000. Notre objectif, en intégrant ce projet, est de valider notre technologie de captage dans une configuration de stockage d’énergie sous forme de méthane.

Dans le cadre de ce projet, nous captons le CO2 chez Ascometal, entreprise sidérurgique située à Fos-sur-Mer. Cela implique une étape de captage, puis de séchage et de compression, pour finalement envoyer le CO2 via un pipe d’un kilomètre de longueur environ jusqu’au site où se situent les autres briques technologiques : de l’électricité renouvelable permet d’alimenter un électrolyseur, qui produit de l’hydrogène. Cet hydrogène est alors combiné avec le CO2 que nous captons, afin d’obtenir du méthane de synthèse. La finalité est de pouvoir injecter ce méthane sur le réseau de GRTgaz.

L’objectif est de traiter environ 700 normo mètres cubes heure de fumées, avec un objectif de 50 kg/h de CO2 capté. Le projet a pris un peu de retard, mais nous sommes aujourd’hui en phase de mise en route de notre brique « captage de CO2 », pour une mise en service prévue au deuxième semestre de cette année. Nous finalisons la mise en place des systèmes d’automatisme, et nous réalisons des tests d’étanchéité pour pouvoir commencer à capter le CO2 prochainement.

Outre ce démonstrateur, quand espérerez-vous déployer cette technologie à l’échelle industrielle ? À quels domaines de l’industrie pourrait-elle profiter ?

Nous attendons le retour d’expérience de ce premier démonstrateur, pour lancer l’industrialisation. Ce lancement dépendra de l’évolution du coût du CO2 et des aspects économiques liés, mais devrait avoir lieu aux environs de fin 2023.

Hormis les applications dans la sidérurgie, nous pourrons aussi implanter la technologie au niveau des chaudières utilisées pour chauffer les serres par exemple. Nous ne nous positionnons pas sur les « grosses » installations, comme les centrales thermiques. Nous nous concentrons sur les installations industrielles dont la puissance sera comprise entre 20 et 100 MW.

En vue, notamment, de cette phase d’industrialisation, poursuivez-vous éventuellement des travaux de R&D ?

Nous cherchons effectivement aujourd’hui à optimiser le couplage entre les membranes et le solvant, afin de trouver les membranes les plus robustes et les solvants les moins coûteux en matière de régénération et donc à minimiser les pénalités énergétiques. La régénération du solvant représente en effet l’un des coûts les plus importants.

Nous travaillons aussi à des développements sur la partie stripage, pour en réduire la pénalité énergétique.



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