La dernière expérience à grande échelle du NFI américain (le National Ignition Facility), le plus grand laser au monde, au Laboratoire National de Lawrence Livermore, a été accueillie avec le mélange habituel de fanfare et de scepticisme qui accompagne la quête de la fusion nucléaire. Cette dernière cherche à produire de l’énergie nucléaire au moyen de lasers ultra-puissants [ndlr : un procédé concurrent de celui expérimenté par le programme international ITER]. Mais plutôt que de me focaliser sur le potentiel prodigieux de l’énergie par fusion ou de chercher à savoir si cet appareil sera enfin le bon, je voudrais m’interroger sur notre vision collective des sources d’énergie. Notre foi dans la fusion nucléaire est-elle fondée sur le potentiel réel de celle-ci ou sur notre insatisfaction à l’égard de toutes les autres options énergétiques dont nous disposons ?
La fusion nucléaire solution par défaut ?
La réponse réside peut-être dans les caractéristiques que nous prêtons couramment à la fusion nucléaire : une technologie commercialement viable qui produit de l’énergie bon marché, fiable et concentrée à partir d’un combustible aussi omniprésent qu’illimité, tout en permettant d’obtenir des quantités conséquentes d’énergie sans déchets nuisibles. Est-ce une aspiration réaliste ou simplement une série d’antonymes des points faibles de chaque source d’énergie existante ?
Etudions les solutions alternatives :
- Les carburants fossiles sont limités et leur production et leur utilisation libère toutes sortes de produits secondaires, y compris des gaz à effet de serre, qui participent au changement climatique. Leurs réserves sont également réparties de façon inégale, ce qui crée des situations préoccupantes de rentes, de nationalisme des ressources, d’instabilité géopolitique et d’insécurité.
- L’énergie éolienne est intermittente, imprévisible et inesthétique, et requière une adaptation importante du réseau énergétique, des ressources en carburants fossiles comme roue de secours et des capacités de stockage importantes pour que le système soit fiable sur une grande échelle.
- L’énergie solaire est plus prévisible que l’éolienne mais reste chère, inefficace et cyclique, et délivre moins d’un quart du pic de production quotidien, y compris dans les zones optimales. Plus de 3.000 MW d’installation solaire sont nécessaires pour générer la même quantité d’énergie qu’une centrale à charbon de 1.000 MW.
- L’énergie géothermique est fiable et relativement bon marché. Cependant, les réservoirs « hydrothermiques » (des dépôts naturels de vapeur et d’eau très chaude) qu’elle exploite sont inégalement distribués et souvent éloignés des marchés. La géothermie profonde ou haute température est plus intéressante en termes de promesses et de flexibilité, bien qu’elle n’en soit qu’à ses débuts et puisse potentiellement causer des tremblements de terre.
- L’énergie des océans exploite les vagues, les marées ou les gradients de température et offre ainsi un énorme potentiel, tout en ayant les mêmes inconvénients que l’éolien, le solaire et la géothermie. Elle est également à la traîne de plusieurs décennies par rapport à ces derniers.
- La transition forcée vers un développement durable des biocarburants dépend d’une technologie chère et qui n’a pas encore été prouvée. La production à grande échelle de biocarburant nécessite de récolter une grande quantité de matière première encombrante et à faible potentiel énergétique, ce qui soulève de sérieuses questions sur ses capacités à fournir un jour un surplus suffisant d’énergie pour le reste de l’économie. Cette limite s’applique également à l’électricité générée par la biomasse.
- La fission, cousine germaine de la fusion, est peut-être ce qui se rapproche le plus de cet idéal. Elle fournit de grandes quantités de KWhs à la demande, sans interruption, et entraîne très peu d’émissions. Malheureusement, le processus est entravé par le prix élevé de la construction de nouveaux réacteurs ainsi que par les préoccupations en matière de sécurité, de prolifération et de déchets. Certains de ces critères sont légitimes tandis que d’autres sont quelque peu pompeux, mais il est vrai que dans le domaine de la technologie, on n’a rien sans rien.
Ne vous méprenez pas sur mon compte. J’ai toujours aimé la science qui voit grand et rien ne me ferait plus plaisir si le National Ignition Facility ouvrait, comme il l’a été clamé à tous vents, une nouvelle ère d’abondance énergétique.Cependant, étant donnée la longue tradition d’inconvénients et de conséquences imprévues de toutes les autres sources d’énergie, il semble irréaliste de penser qu’une nouvelle source d’énergie, la fusion y compris, puisse répondre à toutes les attentes dont elle est porteuse.
L’énergie solaire dans l’espace : une solution d’avenir ?
La fusion est parfaite sur le papier, de même que l’est l’option énergétique que je préconise à long terme : l’énergie solaire dans l’espace. Du moins, jusqu’à ce que l’opinion publique s’inquiète d’envoyer des mégawatts d’énergie de l’espace vers la Terre ou que les Etats voyous parviennent à contrer les satellites pour retenir notre énergie orbitale en otage.Je ne sais pas quels seront les inconvénients inattendus de la fusion si le test du National Ignition Facility devait ouvrir la voie à la commercialisation de centrales à fusion d’ici une ou deux décennies. Je sais que nous avons besoin d’un vrai débat sur les concessions auxquelles nous sommes prêts dans le cadre d’un double challenge : le changement climatique et l’insécurité énergétique.
Au minimum, nous devons faire bouger les mentalités alors qu’aucune technologie actuelle n’est compétitive face à la perfection présumée de celles qui en sont encore au stade de la planche à dessin, ou dont les défauts n’apparaîtront qu’à un stade de développement plus avancé. Notre futur régime énergétique sera probablement un mélange peu orthodoxe de tout ce qui a été mentionné ci-dessus, comme c’est le cas aujourd’hui. L’énergie parfaite est un poisson d’avril.
Par Geoffrey Styles, gérant de GSW Strategy Group, LLC, une firme de consultants sur l’énergie et les stratégies environnementales. Il a également un blog : Energy Outlook.