Interview

Législatives : La fiscalité énergétique en question

Posté le 1 juillet 2024
par Matthieu Combe
dans Énergie

Alors que les coûts de l'énergie continuent d'augmenter, la campagne pour les législatives pose en débat le sujet de la fiscalité. Éclairage avec Matthieu Toret, expert du sujet.

Le Rassemblement national et le Nouveau Front populaire sortent leurs promesses sur la fiscalité énergétique. Les deux grands sujets qui se battent en duel : un taux de TVA réduit sur les différents produits énergétiques ou un blocage des prix. Matthieu Toret est un ancien fonctionnaire du ministère des Finances qui a travaillé sur la fiscalité énergétique française. Il est désormais associé-gérant du cabinet d’avocats ENERLEX dédié à la fiscalité écologique et énergétique auprès des industries intensives en énergie. Il décrypte pour Techniques de l’ingénieur la faisabilité de ces mesures.

Techniques de l’ingénieur : Le RN propose d’abaisser la TVA sur l’électricité, le gaz, les carburants et le fioul de 20 % à 5,5 % pour abaisser les dépenses des ménages liées à l’énergie. Cette mesure serait-elle facilement réalisable ?

Matthieu Toret

Matthieu Toret : Pour le gaz, le fioul et l’électricité, il n’y a pas de problème juridique au fait de descendre la TVA au tarif réduit de 5,5 %. Pour le carburant, c’est plus compliqué. La TVA est encadrée au niveau européen par une directive qui date de 2006, avec une liste limitative de produits sur lesquels les États membres peuvent appliquer les tarifs réduits. Cette liste ne mentionne pas directement les carburants.

En France, on a un taux à 2,1 % pour les produits du type médicaments, un taux de 5,5 % pour les produits de première nécessité, un taux à 10 % pour certains travaux par exemple, et le taux plein s’élève à 20 %. Sur les carburants, tout ce que pourrait éventuellement faire le RN, c’est de descendre le taux de TVA de 20 % à 15 %. Il serait possible de descendre le taux de TVA applicable aux à 15 %, mais pas de manière définitive. Mais même là, il y aurait une difficulté, car en France ce taux n’existe pas. Cette proposition me paraît hasardeuse d’un point de vue européen.

Y aurait-il un autre moyen fiscal pour réduire le prix de l’énergie ?

Pour baisser le prix des carburants, on pourrait agir sur la principale taxe qui est la TICPE, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. C’est une taxe décorrélée du prix de vente, une accise, qui s’applique au litre de carburant acheté. À chaque fois que vous faites le plein de votre voiture, elle s’élève à environ 60 centimes d’euros sur chaque litre de carburant. Le tarif de cette taxe n’a pas été modifié depuis la crise des gilets jaunes.

Sur le levier fiscal, il n’y a pas de problème juridique pour abaisser cette TICPE. Mais on entre alors dans les débats budgétaires. C’est la quatrième recette fiscale de l’État. Baisser significativement les tarifs de la TICPE aurait des conséquences budgétaires chiffrées en milliards d’euros.

La TICPE entre dans l’assiette de la TVA. Donc il y a de la taxe sur la taxe. Si on baisse la TICPE, mécaniquement, le montant de TVA à payer baissera également par ricochet. Et c’est encore de l’argent en moins pour les caisses de l’État.

Le Front populaire prévoit de bloquer les prix de l’énergie et des carburants. Cela reviendrait à faire un bouclier tarifaire, qui a engendré un coût net pour l’État de 36 milliards d’euros sur les années 2021 à 2024, selon la Cour des comptes. Est-ce possible à long terme ?

Le bouclier énergétique est possible, mais il y a une limite temporelle aux prix régulés ou bloqués. Cela a en plus un coût faramineux. Le gouvernement a baissé le prix de l’électricité et le tarif des taxes sur l’électricité au minimum autorisé par le droit européen C’est la TICFE, taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité. C’est une taxe sur le mégawattheure d’électricité. Son tarif historique est de 22,5 euros par mégawattheure (€/MWh). Pendant la crise énergétique, le gouvernement l’a baissée au minimum autorisé par le droit européen. Soit 1 €/MWh pour l’électricité des particuliers et 0,5 €/MWh pour l’électricité des entreprises.

On est sorti le 1er février 2024 de ce bouclier et la TICFE est repassée à 20,5 €/MWh pour les entreprises et 21 €/MWh pour les ménages. Et il est prévu au 1er février 2025 de repasser au tarif historique, c’est-à-dire 22,5 €/MWh. La baisse de la TICFE pendant la période de la crise énergétique a coûté 9 milliards d’euros en manque à gagner aux caisses de l’État, d’après Bruno Le Maire.

Il y a également la TICGN, taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel. Elle se calcule sur le mégawattheure de gaz et son tarif actuel est de 16,37 €/MWh. Elle a doublé il y a un an, dans le cadre du Green deal, car le gaz était moins taxé que l’électricité.

Mais il faut reconnaître que le droit européen est assez souple. Pour l’électricité par exemple, il stipule simplement l’obligation d’une TICFE avec un prix minimal pour les particuliers et les professionnels. Mais entre 0,5 €/MWh et 22,5 €/MWh, il y a des marges de manœuvre juridiques. Après, c’est encore une fois une question de financement.

Finalement, assiste-t-on à des propositions novatrices ou recyclées ?

Il n’y a rien de vraiment novateur dans ces propositions : le taux de TVA sur les produits énergétiques est régulièrement débattu. Les tarifs de la TICPE également. Et la TICFE est une variable d’ajustement dont a usé le Gouvernement récemment. Les annonces sont suffisamment vagues pour qu’il soit difficile de se prononcer. Mais dans l’ensemble, sauf exception, ce sont des mesures juridiquement faisables. Le sujet est cependant de savoir comment on les finance.

Quand on rentre dans le dur du financement, tout le monde sèche un peu, car ce sont des enjeux et conséquences à coups de milliards. C’est Bercy qui a en charge l’administration de toutes ces taxes. Si vous touchez à la fiscalité des énergies, il faut faire voter une nouvelle loi de finances ou une loi de finances rectificative. C’est ce qu’annonce Jordan Bardella pour août prochain s’il est nommé Premier ministre.


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