Décryptage

Le WEO nouveau est sorti : les grandes tendances énergie à l’horizon 2040

Posté le 8 décembre 2015
par La rédaction
dans Entreprises et marchés

Montée en puissance des énergies renouvelables au détriment du charbon, électrification grandissante et un scenario nouveau pour le pétrole, tels sont les principaux enseignements du World Energy Outlook 2015.

L’agence internationale de l’énergie (AIE) qui réunit les principaux pays consommateurs d’énergie a publié son dernier opus du World Energy Outlook. Document de référence du secteur, il s’attache à dessiner les grandes tendances à l’horizon 2040.

Quête d’énergie

S’il y a bien une constante chaque année, c’est la consommation d’énergie qui augmente de manière soutenue. L’AIE estime qu’elle sera en hausse d’un tiers (32%) entre 2013 et 2040, en raison notamment de l’appétit des pays asiatiques et ce, alors qu’elle diminue faiblement (-3%) dans les pays de l’OCDE. Cette soif d’énergie s’accompagne d’une électrification grandissante des usages. Si la société 100% électrique n’est pas encore à portée de main, de multiples innovations substituent les électrons aux carburants traditionnels, à l’image de la voiture électrique. Ainsi, en 2040, la demande de courant est en hausse de 70%, bien que 550 millions de personnes, essentiellement en Afrique, n’aient toujours pas accès à ce bien de première nécessité…

Selon le World Energy Outlook, la consommation mondiale d’énergie atteindra 17 900 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtoe). Toutes les sources d’énergie verront une augmentation de leur contribution. Bien que les énergies renouvelables apportent plus d’un tiers (34%) des nouvelles capacités installées, elles ne pèseront que 19% du mix énergétique mondial. Les trois énergies fossiles, pétrole (26%), gaz naturel (24%) et charbon (25%) continueront à fournir trois-quart de l’énergie dans le monde. Le nucléaire ne pèsera que 6%.

Equilibrium

Dans son édition 2015, le WEO s’attarde longuement sur les prix du pétrole. Faisant le constat que les cours se sont effondrés depuis un an, l’Agence a estimé devoir réévaluer ses scenarii issus des années précédentes. « La décision des pays membres de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) en novembre 2014, a été de laisser leur production inchangée pour se concentrer sur la recherche d’un nouvel équilibre de marché intégrant les pays non-OPEP, dont les coûts sont plus élevés, dans lequel le prix du pétrole joue le rôle de médiateur », indique l’AIE. En clair, la stratégie de l’OPEP vise à conserver une production élevée pour tirer les cours à la baisse et récupérer ainsi ses parts de marché. Elle va se poursuivre jusqu’à ce que l’excès d’offre soit résorbé et que les cours se stabilisent.

Cette politique assumée a conduit à un certain nombre de réactions du secteur qui pourraient influer sur la production d’or noir à court et moyen terme. Les compagnies pétrolières internationales privées, opérant généralement des gisements plus compliqués et coûteux que la moyenne, ont pour la plupart  annoncé une réduction de leurs programmes d’investissements de l’ordre de 20%. Or, ce sont ces investissements qui permettent, entre autres, de compenser l’arrêt de la production des gisements en fin de vie. Non réalisés, ils pourraient commencer à faire sentir leurs effets à moyen terme. Mais d’autres facteurs menacent à plus court terme l’offre de pétrole. Devenus le premier producteur mondial grâce aux hydrocarbures de roche-mère, les Etats-Unis ont été impactés par la chute des cours. Les champs d’huiles de schiste coûteux à exploiter, sont les premières victimes de cette baisse des cours. Le pays devrait ainsi voir sa production plafonner en 2020 à 13,2 millions de barils jour (Mbj) avant de décroître progressivement. Dans ce scenario, l’Agence internationale de l’énergie estime que les mécanismes de marché sont parfaitement opérants et que les prix du pétrole reviendront à des niveaux plus élevés : 80$ par baril en 2020, 113$/b en 2030 et 128$/b en 2040. C’est la thèse principale de l’Agence, qui n’écarte cependant pas la possibilité d’un niveau du prix du pétrole structurellement bas.

Pétrole pas cher

Dans son quatrième chapitre, le World Energy Outlook 2015 planche sur un scenario où les cours du pétrole seraient bas à long terme. Un changement de paradigme majeur, tant cette situation paraissait peu crédible il y a encore quelques mois. La politique mise en place par l’OPEP a changé la donne, et l’AIE s’interroge sur les intentions de ses membres. En l’espèce, il n’y a pas d’unanimité sur le sujet. Les producteurs financièrement les plus fragiles (Venezuela, Algérie) subissent la situation et aimeraient voir les cours remonter rapidement. Las, l’Arabie Saoudite, qui domine largement l’organisation, a confirmé sa stratégie d’évincement des productions non-OPEP. Assiste-t-on ainsi à la poursuite d’une manœuvre de court terme destinée à purger le marché ? Ou l’Arabie Saoudite a-t-elle mis en place une nouvelle doctrine dans laquelle le pétrole redeviendrait « bon marché » pour lutter contre les énergies alternatives ? C’est sur cette dernière hypothèse que les équipes de l’AIE ont travaillé.

Du côté de la demande de pétrole, plusieurs signes laissent penser qu’elle pourrait être moins élevée que prévue en raison du ralentissement économique constaté en Asie (Chine notamment) mais aussi des différentes politiques et mesures adoptées dans le cadre de la transition énergétique. La COP21 qui se tient à Paris actuellement a pour objectif d’engager les Etats à diminuer leurs émissions de CO2 en réduisant par exemple  leur consommation d’énergies fossiles. Un message difficile à faire passer à des économies en développement dans un contexte de pétrole bon marché. Selon le WEO, des cours structurellement bas, diminueraient les investissements dans l’efficacité énergétique et la production de carburants alternatifs, dopant ainsi la consommation de pétrole de 3,7 Mbj pour atteindre 107 Mbj en 2040. A cette date, les parts de marché de l’OPEP pourraient s’élever à plus de 50%, un niveau pas connu depuis les années 70. La stratégie de l’organisation prend ainsi tout son sens.

C’est pourtant du côté de la production que les variations pourraient être les plus fortes. L’AIE distingue trois facteurs principaux dans l’évolution de l’offre mondiale de pétrole : la situation géopolitique mondiale, la résilience des producteurs non-OPEP et l’attitude de l’Organisation des pays producteurs de pétrole. Les tensions au Moyen-Orient et l’accentuation récente des opérations militaires en Syrie ne permettent pas de penser que la région retrouvera son calme à court terme. La résistance des producteurs non-OPEP dépendra quant à elle des baisses de leurs coûts et du résultat des opérations de concentration qui émaillent le secteur pétrolier à intervalles réguliers. Mais c’est sans nul doute l’attitude de l’OPEP, et donc en grande partie du Royaume saoudien, qui déterminera l’équation pétrolière globale. « Le New Policies Scenario se base sur l’hypothèse qu’une fois le marché stabilisé, les pays de l’OPEP reviendront à une stratégie qui consiste à faire varier la production pour maintenir des niveaux de prix jugés désirables par ces derniers, et acceptables pour les consommateurs. A l’inverse, le Low Oil Price Scenario estime que la politique actuelle va durer afin de remplir différentes priorités stratégiques telle que minimiser la substitution du pétrole des grands consommateurs, ou encore offrir suffisamment d’espace de marché pour les membres de l’OPEP désireux d’élever leur production sans grever celle des autres », explique l’AIE. En d’autres mots, l’OPEP adopterait une stratégie de long terme dont la priorité serait d’entretenir des cours bas pour préserver la part du pétrole dans la consommation mondiale d’énergie. Dans ce scenario, qui aurait l’avantage d’améliorer considérablement la balance commerciale des pays importateurs, les cours du baril oscillent entre 50 et 60$ en 2020 pour atteindre 85$/b en 2040.

Place aux renouvelables

Les énergies renouvelables (hydro, bioénergie et autres) poursuivront leur progression passant de 14 à 19% dans le mix énergétique d’ici 2040. Si les secteurs du transport et du chauffage montrent une certaine rigidité à les intégrer, celui de l’électricité a quant à lui basculé.

La première moitié du XXIème siècle aura marqué le secteur électrique mondial. Il aura vu, durant cette courte période de temps, l’émergence puis la montée en puissance des énergies vertes. Elles surpasseront, dès le début des années 2030, le charbon comme première source d’électricité (34%), d’après le WEO 2015. Le taux de pénétration variera sensiblement selon les régions. En 2040, l’Union européenne restera leader avec la moitié de ses électrons produits à partir d’énergies renouvelables ; suivront la Chine et le Japon (30%), et à la troisième place l’Inde les Etats-Unis (25%).

Cette fulgurante ascension des énergies renouvelables s’explique par les multiples subventions (tarifs d’achat, primes, crédits d’impôts) mises en place par les gouvernements, européens notamment, estimés à 126 milliards d’euros. Elles se sont traduites très concrètement dans les investissements du secteur. Pas moins de 85% des nouvelles capacités électriques installées dans le monde était renouvelables, soit 130 GWe pour la seule année 2014, un record. Si l’éolien et le solaire sont régulièrement mis en avant, ils restent loin derrière de la première énergie verte : l’eau.

Ca coule de source

L’hydroélectricité est, de loin, la première des énergies renouvelables. Entre 1971 et 2013, elle aurait permis d’éviter l’émission de pas moins de 64 gigatonnes de CO2. Avec 3 789 Térawatts-heure (TWh) générés en 2013, l’hydro représentait trois quarts de la production renouvelable mondiale. Une prédominance qui perdurera en 2040 même si sa part dans le mix électrique chutera sous la barre des 50%.

Les marchés de l’hydraulique se sont déplacés à travers le temps. A l’instar des ouvrages qu’ils construisent, les groupes d’ingénierie du secteur fonctionnent en cycles longs. L’Europe et les Etats-Unis ont été les premiers grands marchés de l’hydroélectricité. En 1980, les capacités cumulées des deux régions pesaient 40% du parc mondial. A partir de cette date, les grands ouvrages étant déjà construits, le centre d’activité s’est déplacé vers l’Amérique Latine. Entre 1980 et 2000, quelque 76 Gigawatts (GWe) ont été installés, dont notamment le barrage géant d’Itaipu au Brésil (14 GWe). Il a depuis été largement détrôné par celui des Trois Gorges en Chine (22,5 GWe). L’Empire du Milieu est devenu l’année dernière la première puissance hydroélectrique mondiale avec un parc de 300 GW. Il resterait par ailleurs encore un important potentiel inexploité dans le pays contrairement à l’Europe qui exploite presque l’essentiel de sa ressource.

En plus d’être la première énergie renouvelable, l’hydroélectricité est également le meilleur moyen actuellement disponible pour stocker l’énergie. A travers les Stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), l’eau est récupéré en aval et remonté en amont.

Ces installations représentent 99% du stockage stationnaire mondial de l’électricité et  atteignaient une capacité installée totale de 140 GWe en 2011.

Place au soleil

Le début des années 2000 aura vu l’émergence d’une filière solaire, menée par la technologie photovoltaïque (PV). Alors que le parc mondial atteignait péniblement le gigawatt-crête (GWc) en 2000, il s’élevait à 176 GWc en 2014. Et ce ne serait que le début pour cette énergie de plus en plus concurrentielle. L’AIE estime que le parc dépassera les 1 000 GWc en 2040 pour une production estimée de 13 400 TWh. Dès 2025, la Chine devrait devenir le premier marché photovoltaïque du monde avec 115 GWc de capacités installées, détrônant l’Union européenne. Son voisin l’Inde occuperait la seconde place avec 100 GWc. Il faut dire que les installations PV son particulièrement indiquées pour pénétrer les zones rurales non reliées aux réseau électrique régional. Les Etats-Unis devraient également approcher des 100 GWc selon le WEO, tirés notamment par l’état de la Californie.

A noter que ce marché industriel est totalement monopolisé par l’Asie. En 2014, les fabricants asiatiques trustent 90% de la production de panneaux photovoltaïques. Pour autant, aucune firme ne dispose d’un pouvoir de marché significatif. Le leader du secteur, Trina, plafonne à 7% de parts de marché. La première compagnie non-chinoise est l’américaine First Solar (8ème) avec 4% de parts de marché, mais aucune entreprise européenne n’apparait dans ce top10.

Par Romain Chicheportiche


Pour aller plus loin

Dans les ressources documentaires