L’Office européen des brevets décerne chaque année le Prix de l’inventeur. Pour l’édition 2023, douze finalistes ont été présélectionnés, dont deux équipes françaises : une sur les fermes d’insectes (cf. encadré), l’autre sur le stockage d’hydrogène.
L’équipe française sur ce second sujet est constituée autour de Daniel Fruchart, ancien directeur de recherche au CNRS pour des travaux qu’il avait commencés il y a plus de 20 ans et qui avaient mené à un transfert de technologie pour lancer le stockage massif de l’hydrogène dans l’hydrure de magnésium. Sa collègue Patricia de Rango, directrice de recherche à l’Institut Néel à Grenoble et un de ses doctorants de l’époque, Albin Chaise ont amélioré cette solution, également avec la contribution de Nataliya Skryabina venue dans le cadre de projets européens. En parallèle, Michel Jehan, industriel du magnésium, a validé la solution à large échelle. Leur technologie autorise la nouvelle molécule star de la transition énergétique à être utilisée quand on en a besoin, et pas uniquement au moment où elle est produite par électrolyse de l’eau. L’avantage majeur du stockage de l’hydrogène sous forme solide est sa plus grande densité (102 kg/m³) que sous les formes liquide (72 kg/m³) et gazeuse (42 kg/m³) qui se traduit par une forte densité énergétique : 1 kg d’hydrure de magnésium stocke 33 kWh alors qu’une batterie électrochimique Li-ion du même poids avoisine les 0,3 kWh. On ouvre ainsi la porte à un stockage massif de l’hydrogène.
Densité et stabilité
Évidemment, la recherche a été assez complexe. Il a fallu d’abord trouver le métal présentant la meilleure capacité de sorption de l’hydrogène, tout en permettant la réversibilité de la réaction. Le magnésium, peu cher, très léger et abondant par rapport à d’autres comme au vanadium, au zirconium etc., s’est avéré le meilleur candidat. Sa formulation sous forme de poudres nanostructurées et sa compaction avec du graphite expansé permet d’avoir à disposition un matériau facile à utiliser. Cet additif répond à l’autre défi qui a été de gérer la chaleur de la réaction, très exothermique lors de l’hydruration (autour de 300°C). Un réservoir isolé avec un matériau à changement de phase permet de conserver cette chaleur pendant 6 à 8 heures et de la restituer au moment du déstockage de l’hydrogène qui est une réaction endothermique. Au-delà, il y a 20 % de pertes de chaleur irrémédiables qui sont compensées par l’ajout de systèmes chauffants. Avant stockage, l’hydrogène peut être récupéré directement à la sortie des électrolyseurs, à 15 bar, sans besoin de compression, puis il est restitué sous 2 bar pour un usage direct, ou recompressé si besoin.
Densité et stabilité dans le temps confèrent au stockage d’hydrogène sous forme solide la possibilité d’un transport plus facile et plus sécuritaire que sous forme liquide ou gazeuse, et en plus grandes quantités. Ce pourrait également être une alternative au développement de réseaux de transport dédiés à cette molécule. Mais pour Daniel Fruchart, la priorité est de l’utiliser directement chez les industriels qui choisiront de réaliser l’électrolyse sur leur site pour leur usage propre, à partir d’électricité renouvelable, et auront ainsi la capacité de créer des réserves tampons d’hydrogène en fonction de leurs besoins.
Les résultats probants des prototypes avaient conduit Michel Jehan et Daniel Fruchart à la création de la société McPhy en 2008, désormais recentrée sur la production d’électrolyseurs et de stations à hydrogène. La technologie de stockage sous forme solide a été mise en « stand-by » quelques années, car le marché n’était pas assez mûr pour y recourir. Mais l’engouement pour l’hydrogène depuis trois ans a relancé son intérêt et elle est désormais reprise par l’entreprise Jomi-Leman fondée par Michel Jehan. Plusieurs projets sont en cours d’étude au Maroc (stockage de masse pour une usine d’ammoniac), en Norvège (mobilité maritime), et des discussions sont en cours au Canada et en Australie.
Si le Prix de l’inventeur européen est remis à cette équipe sur le stockage solide de l’hydrogène, ce sera une reconnaissance de son travail scientifique, qui tombera à point nommé pour appuyer son développement commercial à forte incidence environnementale. Le jury du Prix annoncera les lauréats le 4 juillet à Valence en Espagne. Un prix du public sera également remis : il est possible de voter pour les équipes françaises sur le site de l’Office européen des brevets.
Ynsect : pour une alimentation plus durable
Dans la catégorie « PME » du Prix de l’inventeur européen, on trouve le biochimiste Antoine Hubert et sa société Ynsect, dont l’objectif est de produire des éléments nutritifs en élevant deux sortes de scarabées. Une ferme verticale, en train d’être terminée à Amiens, produira à terme 200 000 tonnes d’ingrédients par an pouvant servir à la nutrition animale, à des engrais pour les plantes, ou à des apports nutritifs en alimentation humaine. Utilisant 30 fois moins de surface au sol et émettant 40 fois moins d’émissions de CO2 que l’élevage bovin, et consommant 40 fois moins d’eau que l’élevage porcin par kg, cette solution s’appuie sur plus de 380 brevets.
Crédit image de une : Nanda Gonzague
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