Le véhicule électrique, une idée pas si révolutionnaire
Du 19e à la fin du 20e siècle, divers modèles ont été expérimentés et ont tenté de rivaliser avec les véhicules thermiques. L’échec a été à chaque fois au rendez-vous, en raison du manque de capacité des batteries et donc de la faible autonomie de ces véhicules, comparé à celle des véhicules thermiques. Cela a prouvé que la polyvalence et l’autonomie étaient au centre des enjeux du développement des véhicules. Le développement des projets en matière de véhicule électrique peut s’expliquer tout d’abord par les objectifs environnementaux fixés dans les cadres européen et national pour lutter contre le changement climatique, visant notamment à diminuer les émissions de CO2. Par ailleurs, l’industrie automobile est en crise au plan européen et a besoin d’être rénovée. La voiture électrique apparaît alors comme un levier de relance et de modernisation. Enfin, la maturité technologique de la batterie Lithium-ion ouvre des perspectives pour le développement à grande échelle du véhicule électrique. Jusqu’à présent, le frein essentiel au développement du véhicule électrique était la batterie dont la capacité était insuffisante.
En 2020, cet engouement pour le véhicule électrique va entraîner une consommation de 4 à 5 TWh d’énergie électrique pour 2 millions de véhicules électriques, soit presque toute la production d’un réacteur nucléaire. Il est donc essentiel d’anticiper la problématique de la recharge, bien en amont du développement des véhicules électriques et hybrides rechargeables. En outre, l’une des conditions essentielles au succès du véhicule électrique réside dans le système développé pour l’infrastructure de recharge des batteries.
Enfin, l’arrivée du véhicule électrique bouleverse le panorama des constructeurs automobiles et se pose en accélérateur des réflexions relatives à l’aménagement du territoire urbain.
Les infrastructures de recharge : une nécessité
L’arrivée des véhicules électriques et le développement des infrastructures de recharge soulèvent de nombreuses questions quant à leur financement et la nécessité de la normalisation de la prise et des bornes de recharge. Dans la mesure où les véhicules vont devenir de plus en plus communicants, il faut aussi réfléchir aux informations qui seront transmises par le véhicule électrique au réseau électrique lors de la recharge et au choix du fournisseur pour les recharges dans les parties communes privatives et dans l’espace public. Enfin la recharge aura forcément un impact sur la courbe de charge et il est indispensable de l’anticiper pour éviter un renforcement trop important des réseaux électriques, dans un contexte où le comportement statistique du consommateur vis-à-vis de sa voiture électrique n’est pas connu.
La nécessité d’un maillage national
La recharge du véhicule électrique nécessite l’installation de bornes de recharge sur l’ensemble du territoire national, tant en domaine privé que public. Ce parc de bornes est appelé « infrastructure de recharge ». L’article 57 de la loi du 12 juillet 2010 (dite loi Grenelle II) a donné une impulsion réglementaire au déploiement de l’infrastructure de recharge du véhicule électrique : elle en impose l’équipement d’une partie des emplacements dans les parkings, de tout ensemble d’habitations ou tout bâtiment à usage tertiaire. Dans l’attente des décrets qui permettront l’application de ces dispositions à partir de 2012, l’équipement du parc dépend de l’implication des acteurs. Ainsi, pour ce qui concerne la voie publique, quatorze agglomérations sont parties prenantes d’une charte de déploiement signée en avril 2010 pour une mise en place significativement dense dès le second semestre 2011.
Les coûts de ce déploiement ont été estimés à quelques milliers d’euros par borne de recharge normale en parking public ou en voirie (3 ou 6 kW). Ils pourraient se monter à plus de 20 000 euros pour une borne de recharge rapide (22 ou 43 kW). En garage privé, le prix de l’équipement du point de charge pourrait s’élever à quelques centaines d’euros. Selon le ministère de l’Écologie, cela pourrait donc représenter un coût total de 10 milliards d’euros.
Chargés d’acheminer l’énergie jusqu’aux points de recharge, les gestionnaires de réseaux publics de distribution d’électricité seront mis à contribution à hauteur de 1 à 2 milliards d’euros, répartis de 2010 à 2025. Cette part notable des coûts globaux est due à la réglementation actuelle. En effet, les demandeurs des raccordements des points de recharge ne paient qu’une partie du coût des ouvrages de raccordement, d’une part, et ne paient pas le renforcement du réseau, d’autre part : ces coûts sont portés par le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), payé par l’ensemble des consommateurs d’électricité.
La recharge : la borne et les prises
Pour la recharge des véhicules électriques, deux modes s’opposent – ou se complètent : le branchement du véhicule à une borne électrique permettant une recharge lente ou rapide et l’échange de la batterie en station-service. Ce second mode, communément appelé QuickDrop, est principalement défendu par un industriel, Better Place. Dans le contexte actuel d’intense concurrence entre les fabricants de batteries, il n’est pas retenu comme option prioritaire par les pouvoirs publics français ni par les fabricants d’automobiles. En outre, le système de QuickDrop présente un défaut majeur par son besoin important d’immobilisation de capital pour le stock de batteries dans les stations de recharge.
Pour autant, la recharge de véhicules électriques en borne fixe doit encore faire l’objet de nombreuses décisions avant de se présenter sous une forme commune. Pour des raisons de puissance de recharge et de sécurité de l’utilisateur, le système retenu ne pourra pas reposer sur une prise standard. Des options divergentes peuvent encore être retenues, comme le type d’alimentation (en courant continu ou alternatif), le niveau de sécurité vis-à-vis du risque électrique, divers aspects relatifs à la puissance de la recharge rapide ou encore … la forme des prises !
L’enjeu est de taille pour les industriels et autres équipementiers : certaines technologies existantes pourraient être employées, évitant ainsi de nouveaux coûts de développement. Une quinzaine d’acteurs majeurs – dont les Français Schneider Electric, Legrand, SagemCom, FCI, Nexans ou Maréchal – se sont fédérés au sein d’une association, EV Plug Alliance, pour peser sur les orientations des organismes normalisateurs autour de la définition de la prise située à l’extrémité amont du cordon de recharge.
Un groupe de travail franco-allemand de haut niveau a travaillé sur la normalisation de la recharge et a remis des conclusions aux gouvernements français et allemand en février 2010. Depuis le 29 juin 2010, ce sont trois organismes européens de normalisation, le CEN, le CENELEC et l’ETSI, qui préparent les normes manquantes : un mandat – qui porte le numéro M468 – leur a été donné par la Commission européenne, avec une remise du rapport prévue au premier semestre 2011.
La fourniture de l’énergie
La recharge du véhicule électrique produit un triple effet :
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Pour un foyer moyen, un véhicule électrique qui parcourrait de 15 000 à 20 000 kilomètres par an engendrerait une consommation d’environ 2 MWh par an, soit une hausse d’environ 50 % de sa consommation d’électricité ;
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Pour le système électrique national, il s’agit d’un surcroît de consommation d’environ 2 TWh par an et par million de véhicules (cela représente environ 1 % du total soutiré sur les seuls réseaux de distribution en basse tension (BT) en France, et environ 0,4 % de la production française d’électricité) ;
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Pour les fournisseurs d’énergie électrique, c’est un marché supplémentaire, par transfert « de la pompe à essence à la prise ».
Les modalités de ce nouveau marché n’ont pas encore de contours précis. À ce jour, l’article 57 de la loi du 12 juillet 2010 prévoit que les opérateurs d’infrastructures publiques de recharge puissent revendre l’énergie électrique. Elle prévoit aussi que les points de recharge situés dans les copropriétés puissent venir en décompte de la consommation des parties communes. Toutefois, des études devront être menées par la CRE ou les pouvoirs publics pour intégrer ces dispositions dans les mécanismes du marché de la fourniture d’électricité. Ainsi, il sera nécessaire de s’interroger sur l’emplacement du compteur électrique (dans le véhicule ? dans la borne ? en amont de la borne ?) et sur l’opportunité de déroger aux règles de fourniture en vigueur ou de conserver un droit à choisir son fournisseur d’électricité en tout lieu. Plus particulièrement dans ce dernier cas, la livraison d’énergie au point de recharge devra faire l’objet d’échanges d’informations, tant sur le prix et la quantité d’énergie livrée que le moment et la puissance de la livraison. Certaines des modalités de ces échanges, ainsi que l’origine de l’information (le véhicule ? la borne ?) devront encore être arrêtées. Les informations concernées seront destinées aux différentes facturations des services fournis, mais aussi à un éventuel pilotage de la recharge pour mieux insérer le véhicule électrique dans le système électrique, avec les technologies de Smart Grids.
Le développement du marché du véhicule électrique
En quelques années, les grands groupes automobiles se sont lancés dans le développement de moteurs électrique et hybride, comme le prouve la multiplication de modèles exposés lors du Mondial de l’automobile. Une classification de ces nouvelles catégories de voitures peut être établie :
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tout électrique : du petit modèle à l’utilitaire, en passant pas les berlines ;
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hybrides : les moteurs électriques assistent les moteurs à essence ou diesel et réduisent leur consommation dans les systèmes « micro hybrides » (fonctionnement Stop&Start), « mild hybrides » et « full hybrides » ;
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hybrides rechargeables : elles associent deux modes de génération d’énergie : un moteur thermique et une batterie.
Renault, Peugeot, Citroën et Toyota, ainsi que les constructeurs allemands, préparent les modalités de commercialisation des véhicules électriques dès la fin 2010 et des premiers véhicules hybrides rechargeables à partir de la fin 2012. Dans quelques semaines, la Nissan Leaf, les Renault ZE, les Ion et C-Zero de PSA, la Bluecar de Bolloré, etc. vont être commercialisées. Les volumes représenteront dans un premier temps un faible pourcentage du marché total de l’automobile : PSA Peugeot Citroën espère vendre 11 000 véhicules électriques en Europe d’ici la fin 2011 et 100 000 unités au total d’ici à 2015. Renault estime que 2 millions de voitures électriques seront commercialisés en France en 2020 et qu’elles correspondront à 10 % des ventes mondiales tandis que la Commission européenne est plus mesurée : elle prévoit 1 à 2 % des ventes en Europe en 2020.
Quel modèle économique ?
Le développement de ces véhicules a un fort impact sur le marché de l’automobile et en encourage le développement de la recherche sur l’efficacité énergétique de toutes les catégories de véhicules thermiques et hybrides. Ces nouvelles réflexions autour de la voiture électrique permettent de progresser vers une conception optimale des véhicules et influencent l’industrie automobile dans sa globalité. Des travaux de recherche sur l’allègement des véhicules, sur la manière de récupérer l’énergie au freinage ou sur la limitation de consommation des périphériques, tels que la climatisation, sont en effet menés pour que les nouvelles batteries gagnent en autonomie. Le silence de fonctionnement des moteurs est une nouveauté et requiert de diminuer les bruits générés par les pneumatiques pour, par exemple, apporter plus de confort au conducteur.
Les constructeurs automobiles pourront également ajouter de nouveaux services liés à la batterie et à la maîtrise de la charge. Les équipementiers, tels que Valeo et Michelin, développent de larges gammes de technologies innovantes et adaptées aux besoins des constructeurs, destinées à accroître l’autonomie de ces véhicules, contribuant ainsi à la réduction des émissions CO2.
Le prix sera un élément clé. Peugeot a annoncé un système de location à 499 euros par mois tout compris, bonus écologique de 5 000 euros compris, tandis que Renault cherche à présenter des prix concurrentiels grâce à des productions en grande série. Il souhaite proposer un véhicule électrique au même prix qu’un modèle diesel équivalent, tout en poussant l’utilisateur à louer la batterie pour un prix mensuel équivalent aux dépenses de carburant d’une voiture thermique.
La batterie, un enjeu décisif pour le développement des véhicules électriques
La batterie représente un enjeu crucial pour l’industrie automobile. Igor Czerny, directeur de la mobilité électrique d’EDF, rappelle que « la voiture électrique, c’est une batterie, encore une batterie, et surtout une batterie ». En raison de l’abondance du lithium, les batteries Lithium-ion équipent la plupart des véhicules électriques.
Depuis les véhicules électriques des années 1990 à 2000, les caractéristiques des batteries ont fortement progressé. Pour un même poids et un volume similaire, la quantité d’énergie disponible a été multipliée par deux. L’autonomie des véhicules électriques atteint actuellement les 150 kilomètres pour une charge (trois fois moins qu’un moteur thermique). Cela est suffisant pour les trajets quotidiens des Français (aux alentours des 40 kilomètres par jour en moyenne), mais pas assez pour faire de longs trajets.
La durée de vie, facteur essentiel, a elle aussi fortement progressé, les batteries permettant de parcourir jusqu’à 200 000 kilomètres et supportant plus de 1 000 cycles de charge avant d’être remplacées. Cependant, avec un prix de 12 000 euros, la batterie coûte près de la moitié de la voiture, ce qui a pour conséquence d’afficher des tarifs exorbitants. Ce prix devrait décroître proportionnellement aux volumes produits par des usines spécialisées.
Le développement des véhicules électriques et hybride coïncide avec la généralisation de systèmes informatiques embarqués de plus en plus perfectionnés. Ceux-ci permettent un transfert d’information entre chaque composant et se retrouvent logiquement dans les nouvelles gammes électriques des constructeurs.
De plus, les technologies d’information et de la communication sont de plus en plus utilisées pour proposer des services innovants autour du véhicule. Le développement de la navigation par satellite, l’augmentation des débits des accès Internet 3G et des fréquences associées, ainsi que l’utilisation massive des Smartphones ont transformé l’automobile en un objet véritablement communicant. Appliquées aux véhicules électriques et hybrides, de nouvelles fonctionnalités ont pu voir le jour, comme la localisation des points de charge, l’indication du trafic en temps réel ou l’aide à « l’éco-conduite » pour réduire la consommation d’énergie. Par exemple, EDF, associé à Toyota pour un test en conditions réelles de Prius hybrides rechargeables à Strasbourg, a développé une application permettant aux conducteurs de rechercher les bornes de charge, de localiser celles qui sont à proximité et indique leur disponibilité.
Sources : CRE
Voir le dossier complet de la CRE sur les véhicules électriques
Cet article se trouve dans le dossier :
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