Laurent Schmitt est Vice Président Smartgrid Solutions chez ALSTOM. Il détaille pour Instantanés Techniques les enjeux liés au développement et à l'intégration des énergies renouvelables dans les réseaux, et fait le point sur les projets de démonstrateurs déjà mis en route.
Instantanés Techniques : De quelle façon ALSTOM appréhende-t-il le smart grid ?
Laurent Schmitt : Aujourd’hui, nous sommes dans une phase stratégique de construction de notre écosystème. Dans le cadre de cet écosystème, nous avons des partenaires particuliers qui sont nos clients, avec qui nous travaillons depuis maintenant plus de vingt ans sur les systèmes de contrôle et de dispatching en particulier.
Comment gérer la R & D sur une thématique aussi transversale ?
Nous réalisons notre R & D avec nos clients depuis plus de dix ans, R & D qui évolue de plus en plus vers des domaines fonctionnels comme les réseaux intelligents, dans le cadre de démonstrateurs que nous sommes en train de démarrer un peu partout dans le monde, sur différentes thématiques liées aux smart grid.
Pour quels nouveaux domaines d’activités ?
Il y a tout un domaine lié à la MDE (Maîtrise de la Demande en Énergie). Nous menons également des recherches sur les architectures de systèmes d’informations temps réel, nécessaires au pilotage actif de ces nouvelles infrastructures de demandes (type nouveaux bâtiments, sites industriels, usines…), et potentiellement à terme des interfaces avec des maisons intelligentes (résidentiel). Notre savoir-faire dans les centres de contrôle et de pilotage au niveau de la production et du réseau doit nous permettre d’aller vers la maîtrise de l’agrégation des demandes, c’est un segment important.
Il y a aussi la gestion et l’intégration des énergies renouvelables…
Nous traitons en particulier la connexion du renouvelable au système énergétique, aux réseaux de transport, mais aussi bien sûr l’intégration des énergies renouvelables dans les nouveaux bâtiments… Il est impératif de mettre à l’œuvre de nouvelles capacités de stockage, centralisées ou distribuées. Après, Alstom est positionné sur le monde du smart grid de manière transverse, et sur le système d’information temps réel du smart grid de manière plus précise.
Parlez-nous des démonstrateurs mis en place.
Nous avons commencé à travailler sur ces démonstrateurs (SP7, SP6), en collaboration avec l’Union Européenne il y a plusieurs années. Nous venons de terminer un projet qui s’appelle PHOENIX, qui traitait en particulier des stratégies d’intégration des ressources d’énergie flexible distribuées dans les réseaux d’énergie, et qui a donné lieu à l’élaboration d’une architecture du smart grid de référence dans lequel il y a eu de petits pilotes. Cela a été la première étape vers le développement d’une base de démonstrateurs sur lesquels nous travaillons aujourd’hui.
Parlez-nous un peu de ce projet.
Le démonstrateur REFLEX, en construction, devrait donner des résultats concrets et devenir une solution opérationnelle dans les deux ans. Concrètement, le projet se compose d’une dizaine d’infrastructures disséminées à l’intérieur de la ville de Nice, qui vont nous permettre d’agréger des éléments de flexibilité, et que nous allons faire interagir avec le système de gestion des ajustements de la RTE, la société qui s’occupe du transport de l’énergie en France, pour permettre un pilotage actif et harmonisé de ces infrastructures vis-à-vis des besoins en énergie tant du réseau que du marché.
La recherche sur le smart grid ne se limite pas à des collaborations nationales…
C’est vrai. Il s’agit d’un enjeu mondial. Aux États-Unis, nous collaborons sur un démonstrateur avec la société Pacific North West America. Nous discutons en ce moment avec Duke Energy sur différents types de démonstrateurs, dont un est en construction à Charlotte. Au niveau français, nous avons soutenu des projets pour une dizaine de démonstrateurs. Un d’entre eux a permis de faire des avancées significatives : le projet REFLEX, sur lequel nous travaillons avec VEOLIA et SAGEM COMMUNICATION sur l’intégration de la demande des énergies distribuées à l’échelle de la ville et des écoquartiers.
Finalement, l’intérêt d’ALSTOM pour les smart grid apparaît assez évident…
Je vois ça comme une chaîne vertueuse. D’abord, il s’agit d’intégrer les énergies renouvelables. Aujourd’hui, beaucoup de pays européens affichent des ambitions importantes en termes de part d’énergies renouvelables par rapport à la capacité totale. Il s’agit donc de mettre en œuvre un réseau qui permet d’intégrer ces énergies renouvelables, et qui peut gérer leur caractère intermittent. D’où la nécessité de trouver des leviers de flexibilité. Il existe des moyens de production de pointe, mais qui ont l’inconvénient de produire du CO2. Il existe également des moyens de stockages, ou des moyens de gestion de demande, qui deviennent eux-mêmes flexibles.
Le deuxième élément, c’est de trouver des moyens d’améliorer l’efficacité énergétique du système. Il s’agit de s’interconnecter avec des infrastructures, des bâtiments, et d’optimiser chaque installation. En fait le smart grid va consister à recueillir de l’information en temps réel sur la demande énergétique des infrastructures connectées, pour l’optimiser.
Pour simplifier, pourrait-on dire que le smart grid est de l’optimisation ?
Le smart grid, c’est l’optimisation des optimums. Au final, il s’agit de rendre les infrastructures optimales séparément, mais aussi en adéquation le fonctionnement optimal du réseau dans son ensemble. Il s’agit également d’éviter les blacks out et de continuer à gérer aussi bien la stabilité dynamique des réseaux que nous l’avons fait auparavant. L’intégration des énergies renouvelables dans le réseau crée des flux transitoires de plus en plus complexes à gérer, c’est une problématique importante.
Parlez-nous des collaborations que vous développez avec d’autres entreprises.
Les énergéticiens sont nos clients, utilisateurs de nos technologies. C’est le point de départ de ce partenariat. Ensuite, il y a des technologies sur des segments adjacents : les middleware, logiciels sur lesquels nous travaillons beaucoup avec Microsoft, les télécommunications, du middleware embarqué, sur lesquels nous travaillons avec Alcatel Lucent Communication. Mais également les technologies des compteurs intelligents, bâtiments, technologies IT… Ce sont les membres écologiques de notre écosystème. Ce sont des partenaires technologies.
Il n’est pourtant pas si fréquent de voir de grands groupes industriels collaborer sur de tels projets…
C’est vrai, les partenariats de recherche entre grandes entreprises ne sont pas si fréquents que cela. Nous collaborons avec Microsoft et d’autres grands groupes depuis de longues années, cela dépasse le cadre des smart grid. Par contre, ce qui est nouveau va plutôt être la densité des partenariats entre ces grandes entreprises. Ces partenariats répondent au besoin du marché d’intégrer de nouveaux usages.
Au-delà des énergies nouvelles, quels vont être les prochains défis en termes d’intégration ?
À court terme, ces usages vont être l’intégration des énergies nouvelles et la gestion de la demande globale. À moyen terme, il est évident que c’est le véhicule électrique qui va prendre une place importante sur le marché, avec tous les aménagements que cela implique. Les analyses laissent penser que le marché de l’automobile électrique va se développer sous forme de grappes, probablement autour de bâtiments. Dès lors, des problématiques d’intégration dans le réseau et de gestion des congestions seraient à prendre en compte.
Y a t-il encore des freins au niveau de la recherche ?
En termes de recherche fondamentale, il existe des segments qui nécessitent encore de la recherche fondamentale. On peut prendre l’exemple du stockage de l’énergie, où il est nécessaire de faire des progrès en termes aussi bien de stockage pur que d’architecture d’électronique de puissance afin de faciliter l’intégration dans le réseau. Pour autant, ce que l’on voit surtout maintenant est plus de la recherche système, avec pour principale problématique de rendre le système efficace dans son ensemble.
Comment est menée la réflexion en termes d’élaboration d’un business modèle pour le smart grid ?
Il faut que les technologies du smart grid entrent naturellement dans l’écosystème technologique des usagers, qui eux-mêmes sont à différents niveaux de la chaîne énergétique : dans le bâtiment, dans le résidentiel et aussi au niveau des moyens de production.
Va-t-on observer des changements, induits par la mise en place progressive du smart grid, dans les modes de consommation de l’énergie chez le consommateur ?
C’est la grande question. Le volume économique associé à ces changements est pour le moment une grande incertitude. À l’heure actuelle on peut dire qu’il existe un réel challenge quant au modèle économique le plus approprié.
Le Grenelle de l’Environnement a-t-il constitué une rampe de lancement pour le smart grid ?
Il est vrai que les entreprises, dans le cadre des RT2012, avec l’engagement à devenir des bâtiments à énergie positive en 2020, ont été amenées à penser à leurs infrastructures réseau et c’est dans ce cadre là que les smart grid trouvent leur pertinence. Aujourd’hui, l’enjeu devient non seulement l’efficacité énergétique au niveau de la structure d’un bâtiment, mais aussi son interaction avec le système.
Qu’en est-il du cadre réglementaire à l’heure actuelle ?
Il faut aussi mettre en place un cadre réglementaire, c’est ce qui est en train d’être fait avec la loi NOME (Nouvelle Organisation du Marché de l’Énergie), qui doit permettre de « redistribuer un peu les cartes sur le marché », en le rendant plus liquide.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
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