Décryptage

Le secteur européen de l’énergie cherche à surmonter la crise

Posté le 2 août 2015
par Matthieu Combe
dans Énergie

Selon le rapport Secteur européen de l’énergie : leçons de survie en milieu hostile du cabinet Watt’s Next Conseil,  les 25 premiers énergéticiens européens ont plus d'un tour dans leur sac pour affronter la crise énergétique européenne.

En 2014, le chiffre d’affaires global des 25 premiers énergéticiens européens – dont l’activité principale est l’électricité ou le gaz, à l’exclusion des pétroliers – a baissé de 5,6 % pour atteindre 636 milliards d’euros. Il avait déjà baissé de 2,6 % en 2013. 19 des 25 opérateurs ont ainsi enregistré une baisse de leur chiffre d’affaires. Les énergéticiens européens sont néanmoins parvenus à limiter la casse en faisant de nombreuses économies. Ils subissent ainsi « qu’une » baisse de 4 % de leur marge brute d’exploitation, passant de 20,5 % à 16,8 % entre 2010 et aujourd’hui. La bande des quatre « E » (EON, Engie, Enel et EDF) domine le secteur européen de l’électricité et du gaz naturel, avec un chiffre d’affaires de plus de 330 milliards d’euros. Plus largement, douze opérateurs ont enregistré un chiffre d’affaires supérieur à 15 milliards d’euros en 2014.

Le secteur électrique et gazier connait de plein fouet la crise depuis 2010. La demande diminue : la consommation d’électricité a reculé de 2 % en Europe en 2014 et celle de gaz naturel a chuté d’environ 10 % à cause d’un hiver doux et de la morosité de la conjoncture économique. Les prix de gros de l’électricité s’effondrent sur tous les marchés spot européens (-13 % en Allemagne, -20 % en France, -17 % en Italie…), notamment en raison des surcapacités de production. Le prix de gros du gaz naturel connait une baisse similaire, en moyenne de l’ordre de 15 %, à cause d’une moindre utilisation des centrales thermiques au gaz au profit du charbon. 

Des actions drastiques pour surmonter la crise

Les 25 premiers énergéticiens européens ont plutôt bien incorporé la crise à leurs décisions. Pour limiter la baisse de leur marge brute d’exploitation, ils ont lancé des programmes de réduction des coûts pour se désendetter et rencentrer leur coeur de métier. Ils cessent des actifs, ferment de centrales, diminuent les investissements.  

Au total, ce sont près de 60 milliards d’euros de dépréciations d‘actifs qui ont été passées par les énergéticiens européens au cours des trois dernières années. Ces dépréciations confirment la perte de valeur, entre autres, de nombreux cycles combinés au gaz. « Les fermetures et mises sous cocon d’unités de production d’origine thermique se poursuivent. RWE et Engie ont ainsi mis sous cocon annuel ou saisonnier 2 375 MW et 1 341 MW de centrales gaz respectivement en 2014 », rappellent les auteurs .

Pour contrer ces pertes, au cours des cinq dernières années, les 25 opérateurs analysés ont cédé pour 90 milliards d’euros d’actifs. Dans ce domaine, l’opération de l’opérateur allemand EON. est radicale. En 2016, il se séparera de ses actifs de production d’électricité d’origine nucléaire, charbon et gaz, de ses activités de négoce et d’exploration pour se recentrer exclusivement sur les activités liées à la transition énergétique : énergies renouvelables, réseaux, commercialisation…. 

Grâce à ces revues d’actifs et à de vastes plans de cession, ces opérateurs sont parvenus à réduire avec succès leur endettement. Fin 2014, ils étaient endettés à hauteur de 271 milliards d’euros dont 137 milliards d’euros cumulés pour les cinq leaders du secteur EON, Engie, Enel, EDF et RWE. La stratégie de désendettement des opérateurs a porté ses fruits : en deux ans, l’endettement total a reculé de plus de 50 milliards d’euros.

Mais pour faire face à la crise, les énergéticiens européens diminuent aussi leurs investissements industriels. Ceux-ci sont passés de 73 milliards d’euros en 2010 à moins de 60 milliards d’euros en 2014 (-18 %). Cette baisse dans les investissements devrait continuer sur le court-terme. « Cette contraction des investissements tombe au plus mal à l’heure où la Commission européenne a chiffré à 2 000 milliards d’euros les investissements à engager au cours de la prochaine décennie », pour développer les smartgrids les interconnexions, accompagner la transition énergétique (développer la sûreté nucléaire et les énergies renouvelables, regrettent les experts. « L’Europe s’est engagée dans un processus de transformation lourde de son indus- trie énergétique avec des ambitions élevées, mais ses principaux acteurs n’en ont pas nécessairement les moyens », préviennent-ils. 

Où trouver l’investissement ?

Les smartgrids et l’efficacité énergétique active attirent les géants du numérique intéressés par les objets connectés, notamment Google et Apple. Ils seraient à même d’apporter une part de l’investissement nécessaire, estiment les auteurs. Le développement du marché passera ainsi certainement par des collaborations accrues entre les énergéticiens leaders et ces leaders du numérique. D’autant plus que les dépenses en recherche et développement de ces groupes est sans commune mesure avec nos chers énergéticiens. En 2014, Google a ainsi dépensé 4,6 milliards d’euros en R&D et Apple 4,4 milliards d’euros, lorsque le top 10 des énergéticiens n’y consacrait au total que 1,3 milliard d’euros. Ils disposent en plus de moyens financiers colossaux. Apple a enregistré deux fois plus de bénéfice net (26,4 milliards d’euros) au cours du premier semestre 2015 que les 25 énergéticiens européens en 2014. Si ces investissements ne sont pas directement consacrés à l’énergie, les nouveautés qui en découlent peuvent, pour certaines, s’appliquer au domaine de l’énergie, analysent les auteurs. 

Il n’y a pas que Google et Apple qui pourraient redessiner le marché et les énergéticiens commencent déjà à faire appel à de nouveaux investisseurs, extérieurs au monde de l’énergie. « La menace de remise en cause de la chaîne de valeur de l’énergie avec l’interposition de nouveaux acteurs entre les fournisseurs d’énergie et les consommateurs est réelle, jugent les auteurs. D’autant que de nombreux autres acteurs sont attirés : Bouygues Telecom, Schneider Electric, Somfy… pour ne citer que quelques entreprises françaises ».

Par Matthieu Combe, journaliste scientifique

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