La firme américaine Monsanto, sous le coup d'une plainte du gouvernement indien pour biopiraterie depuis le mois d'août, doit faire face à de nouvelles critiques répétées depuis des années. Le célèbre désherbant Roundup, produit de la firme, contient du Glyphosate, dotn la toxicité est mise en avant par de nombreuses études. L'article suivant, publié dans l'édition papier du Monde, fait le point sur la situation.
Le Roundup et son principe actif, le glyphosate, sont de nouveau au centre d’une controverse. Dans un rapport édité par Earth Open Source (EOS), une petite organisation non gouvernementale (ONG) britannique, une dizaine de chercheurs mettent en cause les autorités européennes pour leur peu d’empressement à réévaluer, à la lumière de nouvelles données, l’herbicide à large spectre le plus utilisé au monde. Le texte, qui circule sur Internet depuis juin, rassemble les indices selon lesquels le pesticide phare de Monsanto est potentiellement tératogène – c’est-à-dire responsable de malformations foetales.
Les auteurs du rapport citent notamment une étude publiée, fin 2010, dans Chemical Research in Toxicology, selon laquelle l’exposition directe d’embryons de batraciens (Xenopus laevis) à de très faibles doses d’herbicide à base de glyphosate entraîne des malformations. Menés par l’équipe de l’embryologue Andres Carrasco, de l’université de Buenos Aires, ces travaux identifient en outre le mécanisme biologique à la base du phénomène:exposés au phytosanitaire, les embryons de Xenopus laevis synthétisent plus de trétinoïne, dont l’effet tératogène est notoire chez les vertébrés. Monsanto réfute ces conclusions, précisant qu’une exposition directe, « irréaliste », permettrait aussi de conclure à la tératogénicité de la caféine… « Le glyphosate n’a pas d’effets nocifs sur la reproduction des animaux adultes et ne cause pas de malformations chez la descendance des animaux exposés au glyphosate,même à très fortes doses », ajoute Monsanto sur son site Web.
Pourtant, le dernier rapport d’évaluation du glyphosate par la Commission européenne, daté de 2001,qui repose au moins en partie sur les études toxicologiques commanditées par l’agrochimiste lui même, précise qu’à hautes doses toxiques, le glyphosate provoque chez le rat « un plus faible nombre de foetus viables et un poids foetal réduit, un retard d’ossification, une plus forte incidence d’anomalies du squelette et/ou des viscères ». Selon EOS, les observations d’Andres Carrasco coïncident avec des effets suspectés sur les populations humaines les plus exposées au Roundup. C’est-à-dire dans les régions où les cultures génétiquement modifiées résistantes au glyphosate (dites « Roundup Ready ») se sont imposées et où l’herbicide est donc le plus massivement épandu. Un examen des registres de la province argentine du Chaco a montré,dans la localité de La Leonesa, que l’incidence des malformations néonatales, au cours de la décennie 2001-2010, avait quadruplé par rapport à la décennie 1990-2000. Selon M.Carrasco, la commission ayant mené ce décompte a recommandé aux autorités de lancer une étude épidémiologique en bonne et due forme.
« Cette recommandation n’a pas été suivie », dit le chercheur. « Qu’il y ait un problème en Amérique du Sud avec les produits phytosanitaires, c’est probable, mais il est très difficile d’affirmer qu’il est lié au glyphosate en particulier », estime un toxicologue qui travaille dans l’industrie et reproche au rapport d’EOS des « amalgames » et « des comparaisons de chiffres trompeuses ». « En outre, ajoute- t-il, la pulvérisation aérienne est la norme là-bas, alors qu’elle est globalement interdite en Europe. »
La réévaluation prévue pour 2012 aura lieu en 2015
Pour la Commission européenne, les indices rassemblés par EOS ne constituent pas un motif suffisant pour changer le calendrier en cours. La dernière évaluation du Roundup remonte à 2002. La réévaluation était prévue en 2012, mais le retard accumulé par Bruxelles va repousser ce nouvel examen à 2015.
Ce retard n’est pas la principale raison des protestations de l’ONG. « De nouvelles règles d’évaluation des pesticides, potentiellement plus contraignantes, sont en train d’être finalisées, dit Claire Robinson, qui a coordonné la rédaction du rapport d’EOS. Mais la réévaluation qui sera rendue en 2015 reposera encore sur l’ancienne réglementation, pour laisser aux industriels le temps de s’adapter. » Ce que la Commission ne dément pas. Les nouvelles règles – qui, de source industrielle, doivent être « finalisées à l’automne » – prévoient un examen obligatoire de la littérature scientifique, en plus des études présentées par les industriels. Les travaux publiés dans les revues savantes par les laboratoires publics devront donc être systématiquement pris en compte,même si « cela ne veut pas dire qu’ils sont aujourd’hui systématiquement ignorés, loin de là », tempère Thierry Mercier, de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
Pour EOS, la différence est pourtant de taille. « Sous les anciennes règles, il est probable que le glyphosate obtiendra une nouvelle autorisation, dit Mme Robinson. Il faudra alors vraisemblablement attendre jusqu’en 2030 pour que ce produit subisse une réévaluation sérieuse, conforme au nouveau règlement. Alors que nous savons dès aujourd’hui qu’il pose problème. »
Les études commanditées par les industriels doivent répondre à certains critères concernant les espèces animales enrôlées dans les tests, la nature et la durée de l’exposition aux produits testés, etc. Les laboratoires universitaires –comme celui de M.Carrasco–disposent d’une plus grande latitude. Et les différences de conclusions sont parfois considérables. Un exemple cité par EOS est celui du bisphénol A (BPA). Dans une revue de la littérature scientifique publiée en 2005 dans Environmental Health Perspectives, Frederick vom Saal (université du Missouri) estimait que 94 des 115 études académiques publiées sur le sujet concluaient à un effet significatif du BPA sur les organismes, même à très faible dose. Dans le même temps, aucune des dix-neuf études sur le même thème commanditées par les industriels ne mettait en lumière de tels effets. En France, le BPA a été interdit en 2010 dans les biberons.
Dans le cas du glyphosate et de son principal produit de dégradation, l’acide aminométhylphosphonique (AMPA), plusieurs études publiées ces dernières années mettent en lumière leur toxicité pour certains organismes aquatiques. « Le glyphosate ou l’AMPA ne sont pas des molécules très problématiques en elles-mêmes, en tout cas moins que d’autres, explique Laure Mamy, chercheuse à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et spécialiste du devenir de ces composés dans l’environnement. Le problème, c’est la quantité. C’est la dose qui fait le poison. » Or, si le glyphosate se dégrade relativement rapidement, « l’AMPA peut persister plusieurs mois dans les sols ». En France, selon l’Institut français de l’environnement (IFEN), cette molécule est désormais le contaminant le plus fréquemment retrouvé dans les eaux de surface.
Son succès est donc le principal problème du Roundup. D’autant que des résistances sont apparues ces dernières années. Sur le continent américain en particulier, où les cultures génétiquement modifiées associées ont permis un usage massif du Roundup, des mauvaises herbes commencent à être de moins en moins sensibles – voire complètement résistantes – à l’herbicide phare de Monsanto. « Or, lorsque ces résistances commencent à survenir, on est parfois tenté d’augmenter les quantités épandues », dit Laure Mamy.
Source : Stéphane Foucart, Le Monde, le 9 août 2011, p 10.
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