Blue Capsule travaille à la conception d’un PRM - petit réacteur modulaire nucléaire à haute température - fournissant de la chaleur industrielle à 700 degrés, et utilisant l’air ambiant comme source froide.
Lauréat du dispositif “Réacteurs Nucléaires Innovants” mis en place via le plan d’investissements France 2030, Blue Capsule, fondé fin 2022, développe un réacteur nucléaire à haute température de 150 MWth, basé sur un caloporteur en sodium. Le projet couple deux technologies matures, afin d’associer pour la première fois le combustible intrinsèquement sûr des réacteurs nucléaires à haute température, constitué de microparticules Triso, au sodium liquide à haute température (supérieure à 700 °C) comme caloporteur.
Edouard Hourcade, Président et co-fondateur de Blue capsule, et Domnin Erard, architecte de Blue Capsule, ont expliqué aux Techniques de l’Ingénieur ce qui fait la spécificité du projet de réacteur par la start-up, ainsi que les applications industrielles envisagées.
Techniques de l’Ingénieur : pouvez-vous revenir sur la genèse de Blue Capsule ?
Edouard Hourcade : Blue Capsule est un « enfant » d’Astrid, qui était le prototype GEN 4 réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium du CEA, programme sur lequel j’ai travaillé durant 5 ans en tant que responsable sûreté notamment. Quand le projet Astrid s’est terminé, j’ai été sollicité pour réfléchir aux moyens de valoriser la chaleur produite directement, et non pas l’électricité comme cela était prévu initialement. La chaleur produite par Astrid était à 550 degrés : développer des réacteurs à haute température, entre 650 et 1000 degrés, me paraissait donc plus adapté aux besoins des industriels.
Cela correspondait aussi à une période de renouveau du nucléaire dans le monde, et de nombreux nouveaux concepts sont apparus, j’ai donc étudié tout cela pour proposer le concept de Blue Capsule, qui est un mélange entre deux technologies mâtures qui existent déjà : les HTR et les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium (RNR-NA).
Comment fonctionne ce réacteur ?
Domnin Erard : L’idée derrière Blue Capsule est de tirer la quintessence de technologies qui existent déjà, à savoir les RNR-NA et les HTR, avec l’objectif de garder la haute température.
La modération se fait par des blocs de graphite hexagonaux, assemblés de manière géométrique. Nous n’utilisons pas le sodium comme un réfrigérant direct du combustible. Nous le faisons circuler autour des enveloppes protectrices du graphite, et par sa très bonne capacité de réfrigération, il nous permet de concevoir un réacteur plus petit, plus ramassé. Cela nous permet à la fois d’obtenir des hautes températures, adaptées aux besoins des clients industriels, tout en ayant un cœur de taille raisonnable.
L’autre ingrédient essentiel au niveau du cœur est le combustible. Dans la matrice graphite nous utilisons le combustible Triso, déjà produit en grandes quantités et qualifié de manière assez large. Ce sont de toutes petites billes d’environ un millimètre de diamètre, constituées de trois couches qui leur confèrent une grande robustesse, et assemblées dans de petites pastilles que l’on vient empiler les unes sur les autres pour les glisser dans la matrice de graphite.
Le combustible est refroidi via le sodium, même si ce dernier n’est pas directement en contact avec le graphite. Le sodium vient ensuite, grâce à un échangeur sodium-air, réchauffer l’air jusqu’à 700 degrés.
Quel est l’avantage d’utiliser l’air comme source froide en boucle ouverte ?
Domnin Erard : La boucle en air est ouverte pour des raisons de simplicité, de sûreté, et car cela confère des avantages au niveau industriel. Nous prélevons de l’air ambiant dans l’environnement, qui est réchauffé, et c’est cet air chaud qui est valorisé directement en tant que tel, soit en tant que capacité de génération d’électricité, si le client a besoin d’un mix chaleur-électricité. Cet air chaud peut également permettre la production de vapeur.
Le produit que nous vendons est donc un mix entre air chaud, vapeur à différentes conditions de pression et de température, et électricité, selon les demandes des clients industriels.
Même si l’électricité n’est pas le cœur du produit, il est important de pouvoir la produire, pour être indépendant énergétiquement et que le cœur, d’un point de vue électrique, n’ait pas besoin d’un raccordement au réseau. De même, le refroidissement à l’air nous assure une totale autonomie et une plus grande sûreté – l’air est disponible partout -, par rapport aux réacteurs refroidis à l’eau, qui sont la norme aujourd’hui, sachant que l’accès à l’eau pour les clients industriels n’est pas toujours aisé.
Quels sont les challenges technologiques inhérents au développement de Blue Capsule ?
Edouard Hourcade : La plupart des composants qui constituent notre réacteur sont matures technologiquement, par contre leur niveau d’intégration est plutôt bas, puisque c’est la première fois qu’un réacteur Triso refroidi au sodium est développé.
C’est à ce niveau que se situe notre plus gros challenge, notamment lié à notre choix de séparer le sodium du combustible et d’utiliser une convection naturelle.
Domnin Erard : Dans les démonstrations de sûreté, ce ne sont pas tant les composants qui peuvent poser problème mais plutôt les systèmes. Ces derniers sont très complexes, interconnectés, et il n’est pas toujours facile de faire la démonstration de leur parfaite robustesse.
Pour remédier à cela, nous avons fait le choix de mettre au point des systèmes les plus simples possibles. Par exemple, le choix de la convection naturelle, s’il assure une grande robustesse par rapport aux risques de pannes et en termes de variabilité de la défaillance, doit faire l’objet d’une démonstration qui prouve cela sur l’ensemble des conditions de fonctionnement.
Quelle est votre stratégie pour réaliser cette démonstration ?
Domnin Erard : Nous mettons actuellement en place une installation expérimentale à court terme, qui doit démontrer notre compréhension sur une gamme relativement large de fonctionnement de la convection naturelle du circuit primaire sodium. Il nous faut prouver que nous sommes capables de modéliser cette convection, de la calculer de manière réaliste et de la mesurer.
Avec l’objectif de montrer que le circuit primaire, qui n’a ni pompe ni système de réglage, se comporte naturellement correctement, et de manière robuste. Cela inclut le fait que si l’on change une donnée d’entrée, il y a un rééquilibrage automatique propre à la convection naturelle.
A la suite de cette expérience, qui va s’étendre sur près d’un an, nous passerons à la seconde étape qui consiste à mettre au point un prototype non nucléaire, proche de l’échelle un du réacteur. Il ne sera pas à l’échelle un en termes de puissance, puisque nous visons environ 10% (de la puissance) du réacteur que nous vendons, qui sera de 150 MWth. Ce prototype doit nous permettre de montrer que nous sommes en capacité de créer des systèmes simples, suffisamment peu dépendants les uns des autres pour éviter des effets complexes d’interactions entre ces derniers.
Toute la partie nucléaire sera simulée, afin que les futurs opérateurs soient en capacité de se former et que l’exploitant puisse avoir une vision quasi complète de l’installation.
Quels sont les clients industriels pour Blue Capsule ?
Edouard Hourcade : Nous visons des clients ayant besoin de puissances de l’ordre de la centaine de MW ainsi que de hautes températures.
Cela peut donc concerner des marchés de type plug in, où notre installation vient remplacer un produit déjà utilisé sur site afin de décarboner le procédé. Par exemple sur des sites où l’on produit de la soude, ce qui nécessite des quantités très importantes de vapeur. Un autre exemple caractéristique est le vaporeformage du méthane, qui est aujourd’hui le moyen le plus utilisé pour produire de l’hydrogène, et qui nécessite beaucoup de chaleur également.
Cela concerne plus généralement des clients industriels qui ont besoin de vapeur et d’électricité décarbonée.
Nous avons ensuite des marchés plus prospectifs, comme les déserts énergétiques où les sources froides sont inexistantes, ou les activités de dessalement de l’eau. Il s’agit là de marchés à horizon 20/30 ans.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
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