Une centaine de chercheurs dénoncent dans une lettre le parti pris du rapport réalisé sur les cultures bio.
Le rapport d’Hervé Guyomard, directeur scientifique agriculture à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), fait 372 pages. Un pavé traitant des agricultures à hautes performances, qu’on imagine issu d’un travail minutieux et rigoureux, visant à analyser de façon objective les points forts et points faibles des différentes agricultures.
Mais le volume 1 de cette étude, l’« Analyse des performances de l’agriculture biologique » est violemment contesté par une centaine de chercheurs de l’INRA. Cette partie pointe l’agriculture biologique comme ne présentant que peu d’intérêts, que cela soit du point de vue économique ou de la santé. Une conclusion qui hérisse les poils des inconditionnels du bio mais pas uniquement.
Présenté publiquement en octobre 2013, ce travail n’en finit plus de choquer, provoquant un véritable tollé au sein même de l’INRA. Et pour cause, le rapport serait partial.
D’ailleurs, l’indignation se concentre sur l’amateurisme du rapport plutôt que sur sa position vis-à-vis du bio. La réalisation du rapport reposerait sur trop peu d’études. Pire, certaines références sont ostensiblement anti-agriculture biologique, tel que le livre de Gil Rivière-Wekstein intitulé Bio, fausses promesses et vrai marketing.
La contestation n’a cessée de gonfler dans les rangs des scientifiques de l’INRA, soucieux de l’intégrité de leur organisme. L’opposition est si vive qu’une lettre a été envoyée au président de l’INRA, signée nommément par cent dix-neuf agronomes, géographes, généticiens ou encore économistes, tous travaillant à l’INRA. Une copie a été envoyée au ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll.
Tous ont conscience que ce rapport aura un impact important, l’INRA étant reconnue comme expert. Les résultats seront donc repris dans les médias, pour d’autres études. Mais l’idée que ce travail serve de référence est insupportable pour ces chercheurs qui ne lui reconnaissent pas la rigueur nécessaire à un travail d’enquête scientifique.
Pour prouver l’absurdité du rapport, les auteurs de la lettre démontent point par point l’analyse réalisée. A en croire Hervé Guyomard, « L’agriculture biologique souffre d’un handicap de productivité physique (…) ; les qualités nutritionnelles, sanitaires et organoleptiques des produits issus de l’agriculture biologique ne sont pas sensiblement différentes de celles des produits issus de l’Agriculture Conventionnelle, de sorte qu’il est peu probable que les consommateurs de ces produits en tirent un bénéfice significatif en matière de santé ». Problème, seule une petite demi-page, sur 347 en tout, traite des pesticides, aucune comparaison n’est effectuée entre le bio et l’agriculture conventionnelle utilisant des produits phytosanitaires…
Mais ce qui scandalise encore plus les chercheurs est l’étude d’exploitations bio…utilisant des herbicides. Ce qui est évidemment formellement interdit dans l’agriculture bio. Et de conclure que l’utilisation d’herbicide augmente le rendement des cultures bio. Un non-sens hallucinant.
Devant ce lynchage venant de l’intérieur, la direction de l’INRA a tardé à s’exprimer. Finalement, elle a fait parvenir une réponse d’une cinquantaine de pages aux signataires de la lettre contestataire dans laquelle elle ne renie pas le travail effectué par Hervé Guyomard.
Au contraire, François Houllier, président de l’INRA, défend la démarche du rapport, répondant aux critiques que leurs « remarques […] ne remettent pas en cause fondamentalement l’analyse et les recommandations proposées ». Une direction fermement solidaire de l’auteur de l’étude qui refuse donc de retirer ce rapport, contrairement à ce que demandaient les auteurs de la lettre de contestation.
Par Audrey Loubens
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