Dans la chanson mythique « Tears in Heaven » (larmes au paradis) d’Eric Clapton, l’artiste interroge: «Connaîtrais-tu mon nom si je te voyais au paradis ?» Cet été 2018 ce n’est pas seulement le vendeur de voitures électriques Elon Musk qui a craqué (dans les deux sens du terme). Mais aussi Nicolas Hulot, qui, très ému, a annoncé le 28 août sur France-inter sa démission, un instant qui a fortement marqué la journaliste Léa Salamé, éprise d’empathie. La puissance de l’humain.
Quelques jours plus tard Hulot a carrément fondu en larmes lors de la passation de pouvoir au macroniste François de Rugy. Ce qui a fait sourire le journaliste Patrick Cohen, a agacé son collègue Jean-Michel Aphatie, mais a aussi conduit Ségolène Royal, dans sa conception très personnelle de la tendresse, à déclarer dans Paris-Match: «Non, l’écologie n’est pas le ministère de l’impuissance» . De quoi appuyer sur un sujet douloureux: Hulot a fait l’objet d’une plainte pour viol par la petite-fille de François Mitterand dans le passé, et la révélation de cette affaire début 2018 avait heurté: «Ça fait mal, quand c’est injuste, quand c’est infondé, car moi, hier, on a fait pleurer mes enfants» avait déclaré Hulot. «Pleurer ne veut pas dire que tu es faible. Cela prouve seulement que tu as un coeur» (anonyme).
Ségolène Royal, certes n’a pas pleuré face au lobby EDF mais elle n’a pas fermé un seul réacteur nucléaire alors que le père de ses enfants était président de la France, et donc théoriquement tout-puissant, et avait promis de réduire la part du nucléaire à 50% d’ici 2025. Nicolas Hulot a déclaré sur France-Inter: «Le nucléaire, cette folie inutile, techniquement, économiquement, dans lequel on s’entête». L’ancienne ministre de l’environnement Corinne Lepage en a fait un livre: « l’état nucléaire ».
«Le gaz naturel est une énergie fossile, certes moins polluante que le fioul ou le GPL, mais son bilan carbone n’est pas neutre» écrit Nicolas Hulot. La lettre a été publiée en intégralité par France Bleue dans un article intitulé « Hulot enterre le gazoduc de la Corse » et relatif à un projet de remplacement d’une centrale au fioul par une centrale au gaz fossile. Le Ministre d’état poursuit: «compte-tenu du coût très élevé de ce projet (900 M€ pour l’investissement initial, 30 M€ en coûts annuels de fonctionnement), l’on peut se demander si l’objectif d’autonomie énergétique de la Corse ne pourrait être atteint en investissant ces mêmes montants dans d’autres types de projets de développement durable».Et Hulot a raison: il est possible, à Hawaï comme en Corse, de passer d’emblée à un système solaire + éolien assisté de systèmes de stockage intra-journaliers de types STEP et batteries, le tout couplé à une gestion intelligente de la demande électrique. Le besoin de recourir au gaz fossile en appoint fond alors comme neige au soleil. Mais cette approche, bien entendu, ne plaît pas aux gaziers qui veulent vendre le maximum de gaz possible et qui ont construit une doctrine selon laquelle le gaz fossile serait indispensable en transition.Paul-Félix Benedetti, leader de « Core in Fronte » a déclaré: «J’approuve l’abandon du gazoduc Bastia-Aiacciu par Nicolas Hulot. En 2015 j’étais le seul élu à voter contre ce projet du lobby EDF. Le « Tout gaz » va à l’encontre des orientations mondiales d’abandon des énergies fossiles. La Corse doit s’orienter vers 100% d’énergies renouvelables.»Parallèlement, le 5 septembre 2018, « Les Amis de la Terre » ont publié une étude dénonçant la stratégie du groupe ENGIE qui consiste non pas à fermer ses centrales au charbon mais à les revendre à d’autres acteurs, et donc à ne pas stopper les pollutions. «Selon un rapport publié aujourd’hui par l’Institute for Energy Economics and Financial Analysis (IEEFA), la multinationale française Engie ferait mieux de fermer ses trois centrales à charbon en Allemagne plutôt que de les revendre» estime l’ONG dans un communiqué.La France est coincée d’un côté entre ceux qui instrumentalisent la question climatique pour vendre du nucléaire, et de l’autre ceux qui communiquent sur le solaire photovoltaïque pour en réalité continuer à vendre du gaz fossile. En y injectant un soupçon d’hydrogène « vert » tout comme les pétroliers ajoutent de l’éthanol à l’essence.
« Larmes au paradis », Eric Clapton continue de chanter: «je sais que je n’ai pas ma place au paradis». De son côté Ségolène Royal n’a pas eu le fauteuil providentiel au Ministère de l’écologie. Un bigorneau, selon un édito de la journaliste Coralie Schaub de Libération, y siège à présent. Du latin bicornis, «qui a deux cornes». Et, en même temps, peut-être trois. En effet De Rugy est passé des écologistes aux socialistes en 2016, pour finir chez les macronistes en 2017. Dans un édito tout aussi cinglant, le journaliste Hervé Kempf, fondateur du média Reporterre, estime que « M. Macron » est le « président de la Négation écologique« .
Make our planet great again ? Si par aventure Donald Trump, grand ami des industriels Oil&Gas et qui a rejeté les accords de Paris sur le climat, a eu écho de l’enterrement ministériel de Nicolas Hulot, il n’est pas certain qu’il ait versé une seule larme. Apathie environnementale. Cardiogramme (et encéphalogramme) plat. L’écologie est un combat. Le co-inventeur du mot « collapsologie », Pablo Sevigne, estime qu’un grand climatologue français qui pleure est plus puissant qu’un scientifique qui refuse de laisser transparaître ses émotions face à la gravité la crise écologique dans laquelle nous commençons à peine à nous enfoncer. Et la sobriété peut être « heureuse » estime l’écologiste Pierre Rhabi.
« Je dois être fort et continuer à vivre » conclut Eric Clapton.
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