En ce moment

Le projet controversé de transfert d’eau du sud vers le nord de la Chine

Posté le 21 février 2025
par Nicolas LOUIS
dans Environnement

Depuis 2002, la Chine a débuté un vaste chantier de construction de trois canaux de dérivation pour transférer l'eau en excès dans le sud du pays et l'acheminer vers le nord, une région déficitaire en ressources hydriques. Ce projet doit s'achever en 2050, mais suscite des critiques en raison de ses conséquences sociales, environnementales et économiques.

Imaginé par Mao Zedong dès les années 1950, le projet de transfert d’eau du sud de la Chine vers le nord suscite de plus en plus de critiques. Son idée de départ est simple : puisque le sud du pays, confronté à de multiples inondations, dispose de cette ressource en excès, alors que le Nord, une région agricole et industrielle, doit faire face à des pénuries récurrentes, il suffit de déplacer cette eau. En 2002, un vaste chantier a donc débuté et doit se terminer en 2050. Sauf qu’il n’est pas sans poser de multiples questions sur ses conséquences sociales, environnementales et économiques.

Ce projet prévoit la construction de trois canaux de dérivation, le premier étant déjà achevé. D’une longueur de 1 267 km, il prend sa source dans le fleuve Han, un affluent du Yangtsé et alimente principalement la ville de Pékin. Depuis 2014, l’eau est acheminée grâce à un système gravitaire à l’aide d’une série de barrages. Pour cela, le niveau du barrage de Danjiangkou, situé le plus en amont, a dû être relevé, ce qui a provoqué un agrandissement de la surface du lac et nécessité le déménagement de 330 000 habitants. Des conséquences écologiques sont également déjà visibles, puisque les barrages et le détournement de l’eau perturbent les habitats aquatiques et menacent la biodiversité locale.

Un second canal, situé à l’est du pays, est en cours d’achèvement. Long de 1 467 km, il doit permettre de dériver l’eau du Yangtsé pour l’acheminer vers plusieurs villes du nord, dont Tianjin. Plusieurs stations de pompage ont dû être installées pour surmonter le relief. Enfin, le dernier canal, situé à l’ouest du pays, n’a pas encore débuté, mais devrait mesurer environ 500 km. Le projet consiste à transférer l’eau du fleuve Yi, un affluent du fleuve Jaune situé près du plateau tibétain, vers diverses provinces telles que le Gansu, la Mongolie intérieure et le Qinghai.

Cette dernière phase du projet est la plus controversée, car cette dérivation doit traverser des zones écologiquement sensibles, comme le plateau tibétain. Le détournement de l’eau pourrait également raviver des tensions avec des pays voisins comme l’Inde et le Bangladesh, qui dépendent aussi des rivières alimentées par le plateau tibétain. Ce canal pourrait être perçu comme une appropriation unilatérale des ressources en eau et provoquer des conflits diplomatiques.

45 milliards de m3 d’eau par an devraient être transférés du sud vers le nord

D’un point de vue technique, la construction de ce troisième canal est un véritable défi et nécessitera d’énormes travaux d’infrastructure, comme des tunnels et des barrages. La région, très montagneuse, présente des conditions extrêmes avec une altitude élevée et des terrains instables avec des risques géologiques. Cette phase nécessitera des investissements massifs et se révèle la plus coûteuse de ce projet, dont le coût global est évalué à 70 milliards de dollars.

À terme, environ 45 milliards de m3 d’eau par an devraient être transférés du sud vers le nord grâce à ces trois canaux. Mais certains experts doutent de l’efficacité à long terme de ces ouvrages, face au changement climatique et à l’augmentation des besoins en eau. La réduction du débit des rivières du sud pourrait également provoquer l’assèchement de zones humides et affecter durablement l’agriculture et la pêche locales, et donc dégrader les moyens de subsistance de milliers de personnes. Le dépôt de résidus dans les canalisations pourrait également se révéler un problème et aggraver la qualité des ressources hydriques dans les régions du Nord.

Plutôt que de mettre en œuvre ce projet de transfert massif d’eau, d’autres solutions alternatives pourraient être mises en œuvre, comme une meilleure utilisation de l’eau, avec par exemple la rénovation des canalisations et des barrages pour éviter les fuites, l’adoption de nouvelles techniques d’irrigation telles que le goutte-à-goutte ou encore l’encouragement au recyclage de l’eau dans l’industrie. Une gestion plus durable et équilibrée des ressources hydriques du pays pourrait être adoptée avec d’autres techniques comme le développement de la Réutilisation des eaux usées traitées (REUT) en stations d’épuration ainsi que la restauration et la préservation des sources d’eau naturelles du Nord en limitant la surexploitation.


Pour aller plus loin