Présente sur l’édition 2025 du salon de l’agriculture pour organiser un hackathon intitulé GAIA, l’association La Ferme Digitale est soutenue par France 2030 pour promouvoir des solutions d’intelligence artificielle à destination des agriculteurs.
Le SGPI a réaffirmé durant le tout récent sommet sur l’IA que cette technologie était une priorité stratégique pour la France. L’agriculture fait partie des secteurs qui ont beaucoup à gagner à voir des solutions d’IA pertinentes se développer, sur l’ensemble de la chaîne de valeur de la filière.
La Ferme Digitale a pour mission de promouvoir l’innovation et le numérique pour une agriculture performante, durable et citoyenne, comme le précise le site internet de l’association. Créée en 2016, La Ferme Digitale compte aujourd’hui 150 adhérents, dont une centaine de start-up qui œuvrent dans l’innovation au sens large – numérique, biocontrôle, techniques de vente de produits agricoles… – auxquels s’ajoutent une quarantaine de partenaires – PMI et PME – et quelques grands groupes comme le Crédit agricole ou le groupe One Point par exemple. Une partie des activités de la Ferme Digitale est de faire la promotion des start-up adhérentes, au travers d’événements comme le salon de l’agriculture, dont l’édition 2025 s’est tenue il y a quelques semaines. L’association essaie également d’attirer des financements pour ses start-up, notamment à travers l’organisation d’un événement annuel, le FLD.
La troisième activité est l’organisation de clubs thématiques variés, notamment sur le thème de l’IA et de la donnée pour l’agriculture. C’est dans ce cadre que la Ferme Digitale, en collaboration avec l’association OSFarm, a organisé un hackathon, GAIA, qui s’est tenu pendant le salon de l’agriculture il y a quelques semaines.
David Joulin, membre du bureau de La Ferme Digitale et initiateur du projet GAIA, a répondu aux questions de Techniques de l’Ingénieur.
L’exploitation des données est-elle aujourd’hui un enjeu fondamental pour le monde agricole ?
Cela fait plus de 40 ans que la donnée est quelque chose de fondamental dans le monde agricole. En effet, l’analyse de la météo et des rendements agricoles a un impact direct sur les prix de marché, notamment à la bourse de Chicago par exemple.
Depuis les années 2000, l’exploitation des données agricoles s’est démocratisée avec l’arrivée d’internet et l’accès à de nombreuses sources. Pour autant, l’acculturation des agriculteurs aux techniques d’exploitation des données est aujourd’hui moyenne, mais ce n’est selon moi pas le plus grave.
Selon moi, aujourd’hui le niveau d’acculturation des partenaires du monde agricole est très bas en ce qui concerne les techniques d’exploitation des données. Cet état de fait a beaucoup de mal à évoluer et freine l’innovation, alors que les agriculteurs sont en demande de solutions.
Le hackathon GAIA, dont la seconde édition a eu lieu il y a quelques semaines pendant le salon de l’agriculture, doit participer à résoudre ce manque d’acculturation ?
Certainement. L’objectif du hackathon GAIA est de faire évoluer cette situation et de développer, déployer et acculturer les acteurs agricoles sur les techniques d’intelligence artificielle, notamment en invitant des partenaires clés du monde agricole comme la MSA ou le groupe Avril par exemple. Ceci afin de favoriser les échanges et la communication entre les acteurs autour de ces technologies, et in fine la diffusion de l’innovation.

L’édition du hackathon de cette année a été organisée avec cette volonté d’amener les différents acteurs du monde agricole à s’acculturer aux technologies d’exploitation des données à l’aide d’IA, en les invitant à l’événement. Il s’agit donc des acteurs du monde agricole au sens large : coopératives, organismes producteurs, MSA, le groupe Avril, entre autres. Nous leur avons demandé de venir exposer leurs problématiques, pour que nous puissions évaluer ensemble, en moins de 48 heures, si l’IA pouvait amener une valeur ajoutée quant à leur résolution.
Concrètement, nous avons des partenariats avec des entreprises technologiques, comme Mistral par exemple, et dans le cadre de GAIA nous fournissons un kit technologique, constitué d’un ensemble de libraires et de données. Il s’agit la plupart du temps d’open data pour la donnée, et d’open source pour les librairies logicielles, pour permettre aux participants de construire plus rapidement un prototype fonctionnel et le tester. Cette année 8 sujets ont fait l’objet de travaux.
Quels sont les principaux résultats obtenus cette année lors de ce hackathon ?
Un des outils parmi les plus intéressants qui a été développé est un simulateur de rendement. L’organisme qui porte ce projet est Solution + membre de la Coopération Agricole, en partenariat avec le directeur de production de la coopérative Terrena. A base de briques open source et d’open data, ils sont parvenus à répertorier l’ensemble des parcelles d’un territoire, et à déterminer l’ensemble des cultures du territoire. Ensuite, avec les données satellitaires et un index que l’on appelle le NDVI, ils ont pu déterminer l’ensemble de la croissance de chacune des cultures pour affiner une prévision de rendement et affiner un volume de blé et de tournesol qui va potentiellement entrer dans la collecte d’une coopérative. Cela permet d’abaisser le risque et d’affiner le prix proposé aux agriculteurs. Cela est très important pour ces derniers, puisque la précision obtenue est de plus ou moins 4% sur les rendements, alors que la précision habituelle, sans l’exploitation de ces données, est de plus ou moins 30%. La marge d’erreur se trouve donc extrêmement réduite.
Sur quels autres aspects du travail des agriculteurs l’IA peut-elle trouver des applications pertinentes ?
L’IA doit permettre d’amener des réponses sur de nombreuses problématiques liées à l’activité agricole : diminuer la pénibilité de l’activité agricole, particulièrement pour les éleveurs, anticiper les effets de marché, éviter des maladies sur les troupeaux ou les cultures… Il faut absolument dans un premier temps analyser et formuler correctement les problèmes pour utiliser l’IA de manière pertinente, et ne pas fonctionner dans le sens inverse.
A ces problématiques agricoles s’ajoute aujourd’hui celle du dérèglement climatique, qui touche l’ensemble des productions, des agriculteurs, et qui a pour conséquence majeure d’augmenter les fréquences de montée et de descente de l’ensemble des cours des marchés agricoles. Ce qui pénalise tous les acteurs du monde agricole, et rend encore plus fondamental l’intérêt de l’usage de l’IA, pour être en mesure d’affiner une collecte et garantir un prix de vente pour les productions agricoles, ce qui n’est pas automatique aujourd’hui et peut mettre les agriculteurs dans des situations de grande difficulté.
Le changement climatique rend-il plus complexe l’exploitation des données météorologiques ?
Effectivement. Aujourd’hui nous avons beaucoup plus de données qu’avant, mais pour autant les prédictions ne s’améliorent pas. Car le dérèglement climatique va plus vite que le développement de nos technologies de prédiction.
Empiriquement, si vous comparez les prévisions de Météo France il y a 20 ans et le réalisé, avec les prévisions actuelles et le réalisé, vous pouvez vous rendre compte qu’il y a un écart énorme. Alors que le nombre de stations météo, la puissance de calcul, les données, sont infiniment plus avancées aujourd’hui qu’il y a 20 ans.
Pouvez-vous expliquer quel est le rôle de France 2030 dans le développement des usages de l’IA. Dans quelle mesure France 2030 soutient le projet GAIA ?
En France aujourd’hui nous sommes en avance sur les compétences humaines dans le domaine de l’IA. Par contre nous sommes en retard sur le financement, et sur la capacité des hommes politiques à mobiliser et surtout à exécuter.
La bonne nouvelle en 2025, c’est l’annonce du SGPI, qui pilote les fonds France 2030, de soutenir l’initiative de déployer des solutions innovantes en agriculture grâce à l’intelligence artificielle. Ainsi, France 2030 va soutenir financièrement des projets issus des hackathons GAIA que la Ferme Digitale organise, et notamment celui ayant eu lieu cette année.
Le gouvernement a pris conscience que les initiatives comme GAIA, qui permettent de traiter un sujet sur un temps très court, de tester rapidement sa pertinence, constituent des solutions qu’il faut soutenir, d’autant plus que les compétences sont réunies en France pour aboutir à des solutions technologiques pertinentes.
Les moyens mis en œuvre par l’intermédiaire de France 2030 vous paraissent-ils suffisants au regard des enjeux liés au développement des usages de l’intelligence artificielle ?
Il me semble que le problème se situe dans l’exécution des décisions plutôt que dans le calibrage des aides. Le timing entre l’annonce des montants alloués par exemple au secteur de l’IA via France 2030 et le moment où ce montant sert réellement à payer des gens qui travaillent sur des projets d’IA est souvent trop long. Notamment parce que les annonces de fonds mis en place par France 2030 sont généralement suivies de débats politiques entre tous les organismes publics pour savoir qui a le plus besoin de ces fonds, et ces tractations retardent invariablement le démarrage effectif des projets. C’est quelque chose qu’il faut améliorer.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
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