Quand l'absence de remise en question devient un réel frein à l'amélioration continue... Jérémy Cicéro, du Qualiblog, nous le prouve avec cette anecdote.
L’amélioration continue induit nécessairement une remise en question. En effet, vouloir progresser demande de se remettre en question constamment, de se dire qu’il n’y a pas de fatalité et que l’on peut toujours améliorer les choses.
Pour développer un tel état d’esprit dans l’entreprise, la direction doit se montrer exemplaire et démontrer une réelle volonté à satisfaire les clients et à vouloir s’améliorer.
Nous prendrons l’exemple d’une petite entreprise spécialisée dans la fabrication d’équipements agricoles. Cette dernière souhaite être certifiée pour pouvoir attaquer des grands comptes institutionnels. Lors de ma première visite j’arrive dans un climat tendu, où tout le monde s’agite et où le patron crie à tue-tête : « ils m’emmerdent ces clients ! Ils ne comprennent rien à rien ! ».
Je profite donc de cette « aubaine » pour rebondir sur le principe de l’orientation client et demande au patron qu’il m’explique le problème en question. « Le problème ? Je vais vous l’expliquer ! C’est le client ! Il vient de nous envoyer une réclamation car 8 équipements sur les 20 que nous lui avons envoyés ne fonctionnent pas ». Je lui demande alors comment ces équipements ont été contrôlés. « Ils ne l’ont pas été car le client ne veut pas payer les contrôles ». Je lui précise que la norme attend que les produits soient livrés au client une fois l’exécution satisfaisante des dispositions planifiées et notamment des contrôles libératoires. Que le client paye ou non les contrôles finaux, l’entreprise ne peut pas livrer un produit sans s’être assurée de la conformité (aux critères d’acceptation) de ce qu’elle livre. D’autant qu’au-delà de la norme, il s’agit de pur bon sens. Propos auxquels il me répond un brin agacé : « dans un livre, ce que vous dites parait évident, dans la réalité, ça l’est beaucoup moins !! ». Voilà un propos illustrant à merveille le fameux principe du « chez nous c’est particulier ». Je lui ai donc rappelé que la norme est le fruit d’un consensus international de plus de 170 pays et que par conséquent ses exigences sont applicables à toutes les entreprises, même à celles qui se pensent uniques.
Une fois ce rappel effectué, je cherche donc à comprendre ce que va lui coûter cette réclamation. « Combien cela va me coûter ? Cher ! Les équipements sont en partie sous-traités en Chine, si je dois en reprendre 8, je vais manger toute la marge !!! ». Je lui demande alors combien de temps il lui aurait fallu pour réaliser un contrôle unitaire de ces équipements. « Une demi-heure par équipement ! Auquel il faut ajouter le temps de conception des outils de test ». Faisant un rapide calcul à raison d’un salaire horaire chargé de 30 €, je lui fais remarquer que la mise en place des contrôles aurait couté 300 € pour réaliser un contrôle unitaire et 200 € pour la conception du banc de test. Je lui demande alors d’estimer combien il va perdre du l’affaire. « Attendez, je vends 700 € l’équipement, il me coûte 400 € à fabriquer, en refaire 8… euh… A peu près 3000 € ! ». Donc pour avoir voulu économiser 500 €, cela vous a finalement couté 3000 €. « Effectivement », répondit-il désespéré.
A mon deuxième rendez-vous, j’arrive à 14 heures, le patron et son équipe d’encadrement, reviennent du déjeuner à 14h35. Passons sur l’exemplarité en termes de ponctualité. Mais là n’est pas le seul problème de cette deuxième intervention. Au bout de quelques minutes où nous examinions l’avancement des travaux réalisés depuis ma dernière venue, un salarié de la production arrive la tête basse, en expliquant qu’il avait endommagé un équipement en voulant le nettoyer. Le patron sors littéralement de ses gonds : « Mais p*****, tu es vraiment un bourrin, tu fais attention à rien. Tu as 10 équipements à faire et tu trouves le moyen d’en casser un ! Comment on va faire ? P***** !!! ».
Une fois l’orage et l’avalanche de jurons passés, je prends le patron à part pour évoquer cet incident. Je lui demande, selon lui, pourquoi c’est arrivé. « Pourquoi ? Parce que c’est un âne, qu’il se fiche de tout. Je leur fournis les moyens, les outils, le temps et ils trouvent le moyen de saloper le travail. J’en ai marre, je vous le dis, je vais arrêter la production ici et faire faire les machines en Chine ! ». Il surenchérit : « les gens se plaignent de ne pas trouver du travail, mais quand ils en ont, ils gâchent tout, on ne peut pas leur faire confiance, il faut systématiquement être sur leur dos. Si c’est comme ça, je vire tout le monde, je fais le boulot moi-même et me paye 4 fois ce que gagne !! ».
Je lui demande alors si des instructions de nettoyage, orales ou documentées, sont en place. Si les personnes sont qualifiées pour la réalisation de certaines opérations telles que la soudure, le sertissage, le nettoyage, etc… « Vous rigolez ! C’est ça la qualité, tout écrire ? Moi j’embauche des gens qui savent faire ce pourquoi je les paye ! Un point c’est tout ! ». Je lui fais remarquer que la moyenne d’âge de ses salariés doit tourner autour des 25 ans et l’ancienneté moyenne dans l’entreprise est de 2 ans. Je lui explique que la démarche qualité devrait, outre l’obtention de la certification, lui permettre :
- d’améliorer l’identification des compétences dont il a besoins,
- d’optimiser la gestion des compétences de ses équipes,
- d’améliorer les méthodes de travail pour :
- éviter les problèmes en agissant sur leurs causes,
- favoriser un environnement propice dans lequel les salariés évoluent sans stress,
Avec beaucoup de tact, j’essaye enfin de lui faire comprendre qu’être certifié, c’est vouloir progresser et que vouloir progresser c’est être ouvert d’esprit et bienveillant. Qu’il pourra aisément être certifié initialement mais que pour reconduire sa certification il devra démontrer que l’organisation est capable de s’améliorer. La finalité n’est pas d’être certifié, mais de déployer un outil de progrès. Je lui ai donc posé la question de confiance à savoir de réfléchir sur ce qu’il souhaite et qu’il revienne vers moi le jour où il sera vraiment décidé à faire de son système un réel outil de progrès en arrêtant de penser que la faute vient toujours des autres !
Moralité : pas d’implication de la direction + leadership incertain + pas de remise en question + peu de considération pour le personnel et les clients = facteur d’échec dans l’amélioration continue.
Par Jérémy Cicéro, responsable et auteur du Qualiblog
Jérémy CICÉRO
Jérémy Cicéro est consultant, formateur, et auditeur ICA pour le Qualipole Languedoc-Roussillon. Il est aussi formateur pour le Laboratoire National de Métrologie et d’Essai (LNE).
Ancien commercial puis responsable qualité dans les poids et mesures, il accompagne depuis plusieurs années les TPE et PME de la région Languedoc-Roussillon (tous secteurs d’activités) pour la mise en place et l’amélioration de leurs systèmes de management.
Il intervient également comme expert qualité sur le site Manager-Go! en répondant aux questions des internautes soucieux de comprendre les mécanismes de la qualité.
Pour aller plus loin :
Découvrez les fiches pratiques Techniques de l’Ingénieur :
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