Depuis des années, la question de la rémunération des droits d’auteurs oppose les GAFAM aux éditeurs de presse dans différents pays, dont l’Australie, où un projet de loi porté par le gouvernement vise à contraindre les géants de la tech à rémunérer les médias pour la reprise de leurs contenus. Il s’agit d’établir un « code de conduite contraignant » qui vise le « fil d’actualité » de Facebook et les recherches sur Google.
Opposé à ce projet, Facebook a décidé de bloquer l’accès aux informations aux internautes australiens. Le 23 février, le réseau social aurait décidé de lever ses restrictions après avoir trouvé un accord avec le gouvernement.
Cette situation pourrait-elle se produire en France ou en Europe ? « Il y a un parallèle très fort entre ce qui passe actuellement en Australie et la situation en France. La problématique est que la méga revue de presse faite par Google et les autres GAFAM leur permet de générer des revenus dont ne bénéficient pas ceux qui ont investi dans la matière grise », déclare maître Christiane Féral-Schuhl, avocate aux barreaux de Paris et du Québec.
Un rééquilibrage du rapport de force
Lundi 22 février, le commissaire européen en charge de la régulation des services numériques, Thierry Breton, a déclaré que « c’est aux plateformes de s’adapter aux régulateurs et pas l’inverse. Il y a des lois, et les plateformes doivent s’adapter. »
« En 2019, la Commission européenne a publié une directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché numérique. Il y a eu ensuite la loi de transposition française du 24 juillet 2019 sur les droits voisins des éditeurs de presse. Cette loi a pour but un rééquilibrage du rapport de force et un partage de la valeur des ressources liées à l’information entre d’un côté les plateformes en ligne et de l’autre les agences et les éditeurs de presse », explique maître Christiane Féral-Schuhl, spécialisée depuis plus de 30 ans dans le secteur du droit de l’informatique, des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle.
Maître Christiane Féral-Schuhl rappelle que depuis 2012, les médias français réclament le paiement de redevance pour l’exploitation de liens hypertextes indexés par les moteurs de recherche et les agrégateurs.
Résultat, un bras de fer a opposé Google et les éditeurs de presse, car le moteur de recherche n’entendait pas les rémunérer pour cette reprise de contenus. Il avait indiqué que, dès que la loi entrerait en vigueur, il n’afficherait plus d’aperçu sauf si un éditeur acceptait de lui conférer une licence à titre gratuit.
« Cette affaire a été portée devant l’autorité de la concurrence pour abus de position dominante et de dépendance économique. En avril 2020, cette autorité avait indiqué que le comportement de Google était susceptible de constituer un abus de position dominante. Elle avait invité le moteur de recherche à trouver un accord pour déterminer la rémunération associée. Un accord-cadre a été signé le 21 janvier 2021 entre Google et l’APIG [Alliance de la presse d’information générale, NDLR]. Il préfigure sans doute d’autres accords », précise maître Christiane Féral-Schuhl.
Arsenal juridique
Pour maître Jean-Philippe Hugot, avocat au barreau de Paris depuis 1998, « c’est l’un des chantiers législatifs et judiciaires des dix prochaines années. La question de la propriété intellectuelle n’a pas encore été réglée avec les GAFAM. Aujourd’hui, des contenus protégés par la propriété intellectuelle sont diffusés de manière massive, relayés par l’intermédiaire de ces entreprises sans que cela génère un contrôle du droit d’auteur. Or, ce sont des activités commerciales ».
Pour ce spécialiste en droit de la communication et de la propriété intellectuelle, ce bras de fer entre GAFAM et éditeurs de presse durera tant qu’il n’y a pas un procès. « Il s’agit d’un rapport de force. Ces entreprises ne prendront jamais spontanément des mesures qui vont les contraindre à payer des droits d’auteur. À un moment, il y a des ayants droit qui vont s’énerver et cela va déclencher un procès qui entraînera peut-être ensuite une règlementation. Pour l’instant, à ma connaissance, il n’y a pas d’engagement de procédures dans quelque pays que ce soit ».
Pourtant, l’arsenal juridique est parfaitement capable de s’attaquer à cette problématique. Comparée à l’Europe, la France n’est ni en avance ni en retard dans ce domaine. « La notion de droit d’auteur n’a pas à être revue. Elle peut être adaptée aux nouveaux mediums sans grande difficulté. Dans l’arsenal juridique français, nous avons les moyens d’agir. Si des ayants droit veulent attaquer ces entreprises, ils peuvent d’ores et déjà le faire », déclare Jean-Philippe Hugot.
Reste le plus dur, avoir les reins suffisamment solides pour s’attaquer à ces monopoles.
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