La dernière fois, c’était le 5 mai 2012. Personne ne peut dire jusqu’à quand cette situation va perdurer. Un dossier de demande de redémarrage a été déposé pour 12 réacteurs et 5 ont déjà été rejetés. Il ne reste que 7 réacteurs en course… sur 50. Cela ne fait pas beaucoup. Comment en est-on arrivé là ?
Avant la catastrophe de Fukushima, le Japon comptait 54 réacteurs nucléaires de production qui fournissaient environ 30% de l’électricité du pays. 10% venaient des énergies renouvelables, essentiellement de l’hydraulique, et le reste des énergies fossiles.
Le séisme du 11 mars 2011, a entraîné l’arrêt de 14 réacteurs, dont 4 ont été complètement détruits. Le Japon ne compte plus que 50 réacteurs officiellement. En mai 2011, le premier ministre de l’époque a demandé la fermeture de la centrale de Hamaoka, proche d’une faille sismique. En cas d’accident, ce sont les principales voies de communication entre l’Est et l’Ouest du pays qui auraient été coupées. Puis, les autres réacteurs ont été arrêtés normalement, les uns après les autres, après 13 mois d’exploitation.
Sans énergie nucléaire au printemps 2012, la question était à l’époque de savoir si le pays pourrait passer l’été, quand la demande est la plus forte à cause de la climatisation. Le gouvernement a pensé qu’avec des stress-tests demandés aux exploitants, il n’y aurait pas de problème pour redémarrer les réacteurs. Ce n’était qu’une affaire de quelques mois. Mais c’était sans compter sur la population et les plus grandes manifestations qu’a connues le pays depuis les années 70.
Le gouvernement est passé en force et a autorisé, en juillet 2012, le redémarrage de deux réacteurs de la centrale d’Ôï, dans le Kansaï, région où le nucléaire compte pour 40% de l’électricité consommée. Il n’a pas pu en redémarrer plus, au grand dam des exploitants. Et il s’est finalement avéré que le Japon aurait pu se passer de ces deux réacteurs sans coupure. Ce sont eux qui sont à nouveau arrêtés en septembre 2013, après 13 mois de fonctionnement.
Entre-temps, le gouvernement a mis en place une nouvelle autorité de sûreté nucléaire, indépendante, qui est entrée en fonction en septembre 2012. Cette Agence de Régulation Nucléaire (NRA en anglais) se distingue de son prédécesseur, la NISA, complètement inféodée au ministère de l’industrie et à l’industrie nucléaire et qui a été discréditée par la catastrophe de Fukushima.
Cette nouvelle agence s’est rapidement attelée à la tâche de rédiger un nouveau référentiel de sûreté, qui a finalement été adopté le 8 juillet 2013. Elle prétend qu’il s’agit des règles les plus strictes au monde… qui ne sont respectées par aucun réacteur japonais !
Il y a dix compagnies d’électricité au Japon, qui se sont partagées le territoire avec un monopole dans leur zone. Neuf d’entre elles exploitent, ou plutôt exploitaient, des centrales nucléaires. Elles sont toutes dans le rouge, sauf deux. Les deux compagnies qui s’en sortent sont celles qui n’ont pas ou peu de nucléaire. Les autres doivent payer le maintien de leur parc nucléaire, les emprunts et la production d’électricité de substitution. Elles payent donc une partie de la production presque deux fois et ne la vendent qu’une fois.
Elles sont donc pressées de relancer leurs réacteurs, les bénéfices primant sur la sûreté. Mais ce n’est pas si facile. Contrairement à l’Europe où, tous les dix ans, les exploitants du nucléaire doivent investir dans leurs centrales pour les mettre en conformité avec les dernières exigences, au Japon, tout comme aux Etats-Unis, les normes de sûreté qui s’appliquaient sont celles en cours au moment de la mise en service et cela, pour toute la durée de vie de la centrale.
Pour les réacteurs les plus vieux, le fossé est si grand qu’il ne sera pas possible de les remettre aux nouvelles normes. Il y a, par exemple, 13 réacteurs avec des câbles électriques inflammables. C’était toléré avant Fukushima, c’est interdit maintenant. Et comme il y a des milliers de kilomètres de câbles dans un réacteur, il est peu vraisemblable qu’il soit économiquement viable de les changer.
Il y a aussi deux sortes de réacteurs au Japon, des réacteurs à eau sous pression (REP, ou PWR en anglais) et des réacteurs à eau bouillante (REB, BWR en anglais). Tous doivent désormais être équipés d’un filtre à particules radioactives pour limiter les rejets en cas d’accident, mais les REP bénéficient d’un délai de grâce de 5 ans, car leur enceinte de confinement est plus grande.
Au final, des dossiers de demande de redémarrage n’ont été déposés que pour 12 réacteurs durant l’été 2012, tous des REP, et le gouvernement vise 10% d’électricité d’origine nucléaire à moyen terme. Le dossier de la centrale de Tomari de Hokkaïdô Electric s’est déjà fait retoqué car il est incomplet. Les données sur le système refroidissement en cas d’accident concernaient un autre système que celui en place. Encore des ingénieurs qui connaissent bien leurs machines… Celui de Takahama aussi, car Kansaï Electric a sous-estimé la hauteur du tsunami qui pourrait la frapper. Elle est bonne pour rehausser la digue, ce qui prend du temps. Il n’y a plus que 7 dossiers en cours d’évaluation par la NRA, pour 50 réacteurs. Le gouvernement était encore bien optimiste avec ses 10%.
Inversement, d’un tiers à la moitié du parc ne redémarrera probablement jamais. 17 réacteurs ont plus de 30 ans. Il n’est pas sûr qu’il vaille le coût d’investir pour les remettre à niveau. D’autres sont sur des failles qui sont maintenant considérées comme actives après un réexamen. C’est le cas pour la centrale de Tsuruga (Fukui) et probablement pour celle de Higashidori (Aomori). Et puis, TEPCo ne pourra jamais redémarrer les réacteurs de Fukushima qui n’ont pas explosé, même si la compagnie y songe encore.
Le gouvernement a aussi demandé aux autorités locales de mettre en place un plan d’évacuation de toute la population sur un rayon de 30 km autour de chaque centrale. A Tôkaï (Ibaraki), c’est quasiment mission impossible car la population se compte par million. Pour les pouvoirs locaux, c’est non.
TEPCo veut redémarrer au plus vite deux réacteurs de sa centrale de Kashiwazaki-Kariwa, fortement secouée lors du séisme de 2007. Mais, avec la légèreté avec laquelle elle se préoccupe de l’eau contaminée à Fukushima, il lui est difficile de convaincre qu’elle a amélioré sa culture de sûreté. Le gouverneur de la province de Niigata est fermement opposé au redémarrage de ces réacteurs tant que toute la lumière n’aura pas été faite sur l’accident nucléaire de Fukushima.
Plusieurs compagnies d’électricité sont donc dans une situation financière critique car elles ne pourront pas redémarrer de réacteur nucléaire avant longtemps, voire jamais.
En attendant, avec la libéralisation complète du marché de l’électricité à partir de 2016, la concurrence va être plus rude. De nombreux investissements se tournent vers les énergies renouvelables : en plus du solaire et du vent, l’exploitation de l’énorme potentiel géothermique du pays n’est plus tabou. Selon le ministère de l’industrie, une centaine de nouvelles compagnies se sont enregistrées pour vendre de l’électricité. 40% d’entre elles en produisent déjà.
Comme pour le moment tout projet de construction de nouvelle centrale nucléaire est gelé au Japon, le nucléaire est, de facto, déclinant au Japon, quelle que soit la couleur des partis au pouvoir. Le précédent gouvernement voulait arrêter le nucléaire à terme, mais relancer les réacteurs jugés sûrs par la NRA en attendant. Le nouveau gouvernement veut relancer le nucléaire et redémarrer les réacteurs jugés sûrs par la NRA en attendant, ce qui revient exactement au même.
Les deux s’accordent sur l’exportation de technologie nucléaire et le maintien des investissements dans le « retraitement » des combustibles usés et le surgénérateur Monju, même si l’usine n’a jamais fonctionné et que son lancement a connu 19 reports en plus de 5 ans. Le réacteur expérimental, quant à lui, n’a fonctionné que 240 jours depuis 1994 et ne pourra probablement jamais satisfaire les nouvelles normes de sûreté. Cette obstination n’est pas sans arrières pensées militaires et inquiète les Etats-Unis.
Le Japon ne peut pas importer d’électricité. Une moitié du pays est à 50 Hz et l’autre à 60 Hz, ce qui réduit drastiquement les échanges entre les deux parties. Il s’en est cependant sorti, grâce notamment aux économies d’énergie. Les émissions de CO2 de TEPCo par kilowattheure produit a augmenté, mais la quantité totale rejetée en 2012 est égale à celle rejetée en 2010. Les économies d’énergie ont compensé l’arrêt complet du parc nucléaire de la compagnie. En revanche, elle n’a pas réussi à baisser ses émissions conformément au protocole de Kyôto.
Selon le ministère de l’industrie, 9 des 10 compagnies d’électricité, n’ont pas réussi à remplir leurs objectifs de réduction de 20% de leurs émissions de CO2 par rapport à 1990, conformément aux engagements pris en 2007. La seule compagnie qui s’en tire, est celle d’Okinawa, qui n’a pas de nucléaire ! Chubu Electric, qui dépend peu du nucléaire, a réduit ses émissions de 12,9%. Chukoku Electric, de 13,4%. D’autres ont augmenté leurs émissions. Globalement, les 9 compagnies qui ont du nucléaire n’ont réduit, en moyenne, leurs émissions que de 2,6%. Ces compagnies produisent environ un tiers des émissions de CO2 du pays, mais le Japon va néanmoins satisfaire au protocole de Kyôto grâce aux échanges de quotas d’émission. Les compagnies d’électricité, quant à elles, rechignent à utiliser cette possibilité car elles sont dans le rouge.
David Boiley, physicien et président de l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’ouest
Source : www.acro.eu.org
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