Chaque année, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) fait le point sur ce qui se passe dans le monde en publiant le World Energy Outlook (WEO). Son analyse est précieuse en ce temps de crise vécue dans beaucoup de pays, et fait encore plus référence que d’habitude dans ce contexte. La situation est grave et le directeur général de l’AIE, Fatih Birol, estime qu’il y a un risque de fractures géopolitiques et de recroquevillement des pays sur eux-mêmes pour affronter les chocs. Mais selon lui, ce sont plutôt l’unité et la solidarité qui devraient conduire les réponses à la crise. Plus que jamais, il est temps de reconstruire la confiance. La confiance entre pays et la confiance en une transition énergétique juste et inclusive.
Pour l’AIE, l’importance de la crise est clairement due à l’invasion russe en Ukraine. Les sanctions européennes sur les importations du pétrole et du charbon russes, ainsi que la réduction des fournitures en gaz de la Russie aux pays européens, ont mis le monde entier sous pression. Sur les marchés, le pétrole a atteint plus de 100 $ le baril mi-2022 avant de redescendre, et le gaz a régulièrement atteint l’équivalent d’un baril de pétrole à 250 $. Les entreprises vendant des énergies fossiles ont profité de cette manne, chiffrée à 2 000 milliards $ de revenus supplémentaires par rapport à 2021 ! Faut-il redistribuer ? L’AIE ne se prononce pas, mais les prix élevés créent de l’inflation et une insécurité pour les populations les plus démunies, en particulier dans les pays en développement. Dans les pays aux économies plus fortes, les gouvernements ont dépensé plus de 500 milliards $ pour aider leurs citoyens à encaisser le choc.
Forte accélération des renouvelables
La fragilité et la non-soutenabilité du système énergétique actuel interrogent pour l’avenir. La crise va-t-elle freiner ou accélérer la transition énergétique ? Si l’utilisation du charbon est temporairement augmentée, les investissements se tournent irrémédiablement vers les solutions décarbonées. Dans son scénario STEPS (Stated Policies Scenario), l’AIE évalue les effets des politiques publiques actuellement annoncées. Entre l’accélération de l’Europe sur son Green Deal, le plan Inflation Reduction Act de Joe Biden aux États-Unis, les projets de la Chine, le programme Green Transformation du Japon, et d’autres comme ceux de la Corée et de l’Inde, on assiste à un tournant. Dans le secteur électrique, les investissements prévus vont créer une accélération de la production des énergies renouvelables : +1 000 TWh environ pour l’éolien et autant pour le solaire photovoltaïque d’ici 2025. Chiffres qui atteindraient respectivement +3 000 TWh et +2 700 TWh d’ici 2030, tandis que le nucléaire verrait une hausse de « seulement » 500 TWh et le gaz d’environ 250 TWh. Le charbon, lui, perdrait plus de 1 000 TWh.
En conséquence, les émissions de gaz à effet de serre de la production d’électricité mondiale plafonneraient autour de 14 Gt CO2 avant 2030, pour décroître ensuite. D’ailleurs, c’est la première fois que l’AIE prévoit un pic de consommation des énergies fossiles avec un scénario de type STEPS : dans les prochaines années pour le charbon, avant la fin de la décennie pour le gaz et au milieu des années 2030 pour le pétrole.
Les efforts doivent doubler
Néanmoins, cette tendance encourageante ne met pas la planète sur une trajectoire limitant le réchauffement climatique à +1,5°C. Les investissements prévus pour les énergies propres dans le STEPS vont certes monter à un peu plus de 2 000 milliards $ d’ici 2030 selon l’AIE (contre 1 300 actuellement), mais c’est le double qu’il faudrait pour être en phase avec l’objectif de l’Accord de Paris ! Les fonds publics n’y suffisant pas, l’AIE pointe le besoin d’inciter les acteurs privés à augmenter très vite leurs investissements. Quand, aujourd’hui, 1 $ est investi dans les énergies fossiles, c’est seulement 1,5 $ qui est consacré aux technologies décarbonées. Pour se conformer à un scénario conduisant à la neutralité carbone, le même dollar dans les fossiles devrait être compensé d’ici 2030 par 5 $ dans la fourniture d’énergie propre et par 4 $ dans la réduction de la demande (efficacité et sobriété).
Les investissements doivent également être ciblés. L’AIE relève que les efforts doivent bien sûr porter sur les énergies renouvelables, mais que d’autres technologies comme les électrolyseurs et les batteries doivent voir leur capacité de production augmenter. C’est tout un cadre réglementaire qui doit faciliter le développement de ces solutions, en raccourcissant les délais de construction dans les pays développés et en réduisant le coût du capital pour les pays émergents et en développement. Les infrastructures existantes, notamment celles du gaz, doivent être maintenues en fonctionnement le temps de la transition et, si nécessaire adaptées pour contenir les effets des crises climatiques (cf. graphique) ou géopolitiques. De nouvelles flexibilités de production et de consommation doivent aussi être mises en place pour s’adapter au nouveau contexte. Enfin, il s’agit également de sécuriser l’accès à certaines matières premières (cuivre, silicium, argent, terres rares, lithium) dont la demande pourrait quadrupler d’ici 2050, tout en en augmentant les capacités de recyclage pour soulager les tensions sur les marchés.
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