Depuis plusieurs années, les métamatériaux ont envahi le domaine de l’ingénierie. Ces matériaux conçus artificiellement sont dotés de propriétés basées sur leur structure plutôt que sur leur composition. En général, ils sont formés de blocs fixés les uns aux autres et donnant un résultat solide. Mais des recherches récentes ont révélé qu’il était tout à fait possible de mélanger des blocs séparés les uns des autres dans un médium fluide. On parle alors de méta-fluide. Or, un méta-fluide a l’avantage de couler et donc de s’adapter à la forme de son contenant. Et c’est loin d’être son seul et unique atout selon le chercheur associé Adil Djellouli et ses collègues de l’université Harvard, à Cambridge (États-Unis). D’après leur travail publié début avril 2024 dans Nature, leur propre version de méta-fluide aurait des propriétés optiques, de compressibilité et de viscosité programmables à loisir…
Un méta-fluide ajustable à la capsule près !
Le mélange proposé par les chercheurs de l’université Harvard repose sur de petites capsules sphériques déformables en élastomère (de 50 à 500 μm) plongées dans une huile de silicone. Ce fluide ayant la particularité d’être incompressible, la pression exercée sur ce dernier est directement transmise aux minuscules sphères qu’il abrite. Au sein de leur laboratoire, Adil Djellouli et ses collègues ont produit plusieurs centaines de milliers de ces capsules remplies d’air. Quand une pression était appliquée au dispositif, les capsules finissaient par s’écraser en demi-sphères, prenant ainsi la forme de lentilles. Mais une fois la pression retirée, les capsules reprenaient immédiatement leur rondeur initiale. Cette transition de morphologie altérait du même coup les propriétés du liquide, comme son opacité ou sa viscosité. Ainsi, quand les capsules sont sphériques, la lumière du fluide se retrouve diffusée (il est opaque) et sa viscosité dépend de la température (il est dit newtonien). À l’inverse, quand les capsules prennent la forme de microlentilles, la lumière du liquide est focalisée (il devient transparent) et sa viscosité dépend de la force de cisaillement (il est dit non-newtonien). Des propriétés ajustables selon le nombre, l’épaisseur et la taille des capsules présentes dans le fluide.
L’équipe d’Adil Djellouli a voulu vérifier la programmabilité de son méta-fluide. Pour cela, elle l’a utilisé pour alimenter une pince robotique hydraulique. Celle-ci devait se saisir de trois objets : une bouteille en verre, un œuf et une myrtille. D’habitude, une telle pince fonctionne grâce à de l’air ou de l’eau, et elle demande un minimum de capteurs ou de contrôle externe pour doser sa prise sur chacun des objets sans le broyer. Mais avec le méta-fluide confectionné par les scientifiques de Harvard, rien de tout cela n’a été nécessaire ! Le liquide s’est automatiquement ajusté à la pression que lui renvoyait chacun des objets présentés. Ce succès laisse présager d’un usage futur dans d’autres actionneurs hydrauliques, voire dans des absorbeurs de choc intelligents (dissipant l’énergie en fonction de l’intensité de l’impact) ou même pour des instruments d’optique pouvant varier entre transparence et opacité. De leur côté, les chercheurs de Harvard souhaitent poursuivre les expérimentations, et prévoient d’ores et déjà de tester les propriétés acoustiques et thermodynamiques de leur invention.
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