Nul ne conteste que la démarche Lean a produit des effets remarquables dans les entreprises. Mais est-elle applicable en période de crise ? Oui répondent Philip Marris, fondateur et Directeur général de Marris Consulting, et Michel Prud’homme, Consultant Manager secteur Industrie Automobile chez Marris Consulting. Mais pas à n'importe quelle condition.
Qui, dans l’industrie, peut aujourd’hui s’offrir le luxe d’ignorer le Lean, interrogeait l’Usine Nouvelle en janvier 2009. Elaborée dans l’industrie automobile par Toyota au lendemain de la seconde guerre mondiale, la démarche Lean vise l’optimisation des processus en diminuant les sources d’inefficacités et de gaspillages. Elle est applicable dans tous les secteurs d’industrie (y compris pharmaceutique ou agroalimentaire) et à toutes les activités (production, organisations de service, fonctions support). Plébiscitée en période de croissance, cette approche est aujourd’hui questionnée à la lumière de la crise économique. La question posée est cependant moins de savoir si la démarche Lean reste applicable dans un contexte de crise que celle des adaptations incontestablement nécessaires.
Dans un marché en croissance comme celui que nous avons connu jusqu’en 2008, cette approche semble tout à fait cohérente. L’augmentation de l’activité absorbe au fur et à mesure les gains de productivité, qu’ils concernent la production ou d’autres fonctions.
Il en va autrement dans un contexte de crise, caractérisés par la stagnation voire la baisse de l’activité. Dans une première période, les entreprises ont, d’une certaine façon, éludé le problème, en affectant les gains de productivité réalisés à la réduction des coûts. Ainsi, elles pouvaient maintenir leur rentabilité dans un contexte de marché plus tendu. Dans certains cas, l’objectif de réduction des coûts est devenu la principale motivation de mise en œuvre des méthodes Lean, sinon la seule. Il s’agit d’une perspective à court terme, tournée vers un résultat immédiat qui s’est souvent traduit par la compression des effectifs.
Un principe gagnant-gagnant
Au bout du compte, les entreprises qui se sont engagées dans cette voie sont aujourd’hui doublement confrontées à une impasse. Pour la plupart, ces gains de performance reposent en effet sur l’implication des équipes liées à la production. Chacun, à son niveau, et c’est l’un des principes fondateurs du Lean, est sensé contribuer à l’amélioration globale de la production par ses suggestions et par son action.
Chez Toyota par exemple, chaque collaborateur fait environ une suggestion par mois, contribuant ainsi à l’amélioration continue de l’entreprise. Pour qu’un tel système fonctionne, chaque contributeur doit pouvoir y trouver son compte, en termes de maintien ou d’amélioration de sa situation professionnelle. Les méthodes Lean reposent avant tout sur un principe gagnant-gagnant. Et c’est précisément cet équilibre qui se trouve remis en cause par la perspective des réductions d’effectifs, vécue comme une sanction.
Cet équilibre n’est pas seulement nécessaire au maintien d’un bon climat social dans l’entreprise. Sa remise en cause affecte également l’une des valeurs fondatrices commune à tout type d’entreprise, quelle que soit sa taille ou son secteur d’activité. Il s’agit de sa volonté de progresser. Car lorsque la démarche Lean est utilisée pour la réduction des coûts et des effectifs, toute l’entreprise adopte mécaniquement une position purement défensive, comparable à celle de l’assiégé en infériorité numérique. Il ne s’agit plus d’aller de l’avant mais juste de tenir une position, survivre. L’utilisation du Lean dans le seul objectif de réduire les coûts aboutit ainsi à une position paradoxale, changer sans changer. Les gains de productivité sont utilisés pour maintenir l’entreprise en l’état; elle produit la même quantité avec des moyens humains réduits. Les pratiques demeurent, mais le sens et l’objectif sont perdus.
Si le phénomène n’était limité qu’aux entreprises françaises, il pourrait peut-être s’expliquer par une traduction imparfaite du mot Lean qui en anglais, ne signifie pas maigre mais sans superflu, comme celui d’un marathonien. Ce ne devrait absolument pas être un corps mal nourri qui de surcroît craint pour son avenir.
Un projet qui donne envie à tous d’y contribuer
Parce qu’elle est le résultat d’un processus d’amélioration continu dans tous les compartiments de l’entreprise (ateliers, services de support, R&D, ventes, management), la mise en œuvre des méthodes Lean ne peut se satisfaire d’objectifs à court terme. Elle doit au contraire s’appuyer sur une stratégie crédible d’absorption sur le long terme des gains de productivité réalisés, par la conquête de nouveaux marchés, la dynamisation des ventes, l’augmentation de la qualité du service, etc. Le mot-clé ici est » perspectives « . Il s’agit de dessiner, à l’échelle de l’entreprise, une perspective d’absorption des gains de productivité qui ne passe pas par la réduction des effectifs. Il faut un projet crédible et mobilisateur.
Ce genre de perspective ne peut être fourni que par un projet industriel ambitieux, inscrit dans la durée (une ou plusieurs décennies) et qui mettrait l’entreprise à l’abri de la volatilité du marché. Au service d’un tel projet, la démarche Lean doit naturellement être étendue au delà de son champ traditionnel d’application, l’atelier ou l’usine de production. C’est l’ensemble des acteurs de la chaîne qui se trouve impliqué dans la recherche de gains de productivité, l’identification des bonnes pratiques et des idées innovantes. La mise en œuvre du Lean produira d’autant plus d’effets positifs qu’elle sera mise au service d’une vision d’avenir crédible, motivante et partagée par tous. Nous oublions trop souvent que « le modèle Toyota » est un modèle de forte croissance et que c’est pour cela que tous les collaborateurs ont envie d’y contribuer.
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