« On a dépassé la politique des petits pas, mais on n’est pas encore au pas de course », partage Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le Climat (HCC), à l’occasion de la parution de son cinquième rapport annuel « Acter l’urgence, engager les moyens » ce 28 juin 2023. Elle détaille les messages clés de ce nouveau rapport : « Les rythmes de baisse des émissions ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux, il y a des blocages dans tous les secteurs. Par contre, il y a une stratégie en place et des acteurs mobilisés. On est dans une position plutôt favorable, mais il faut une politique économique à la hauteur des enjeux pour atteindre les objectifs rehaussés au niveau européen. »
Si la baisse des émissions de gaz à effet de serre brutes du pays se poursuit (-2,7 %), elle reste majoritairement due à des raisons conjoncturelles : épidémie de Covid-19, hiver doux et appels à la sobriété. De surcroît, le recul de l’absorption par les puits de carbone dans le secteur des terres (-21 %) sape les objectifs en termes d’émissions nettes. « En 2022, la sécheresse du printemps et les incendies de l’été laissent présager une détérioration des stocks de carbone des forêts sur cette dernière année et donc un manquement au budget carbone [en termes d’émissions nettes pour la période 2019-2022 de la stratégie nationale bas-carbone, NDLR] », précise Corinne Le Quéré.
Doubler le rythme de réduction annuel des émissions
Alors que l’objectif européen de baisse des émissions des gaz à effet de serre est passé de -40 % à -55 % en 2030, la France va devoir quasiment doubler le rythme de réduction annuel de ses émissions. « La baisse observée pour les émissions brutes est de 9,1 millions de tonnes équivalent CO2 (MtCO2eq) sur la période 2019-2022 », partage Corinne Le Quéré. Avant le renforcement des objectifs européens, la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) actuelle proposait un objectif de réduction de 12 MtCO2eq sur la période 2023-2030. La révision en cours de la SNBC devrait impliquer une baisse annuelle de 17 MtCO2eq sur la période.
Le rehaussement des objectifs de réduction d’émissions entre secteurs d’ici 2030 dépendra des choix gouvernementaux. Mais ces baisses seront « importantes et rapides », prévient Corinne Le Quéré. On parle d’un facteur 3,5 à 5 pour le secteur des transports et de l’énergie, de 1,25 à 3,5 pour l’agriculture, entre 1,4 et 1,6 pour l’industrie et de 1,2 pour le bâtiment. « Et les puits de carbone doivent fortement augmenter, alors qu’ils diminuent », ajoute Corinne Le Quéré.
Un cadre d’action climatique à consolider
Concernant l’action publique sur le climat, le HCC estime que si le cadre d’action se construit et mobilise les parties prenantes, « la cohérence et l’alignement des stratégies avec les objectifs climatiques ne sont cependant pas assurés ». « Les dispositifs de suivi et d’évaluation sont aussi souvent incomplets », poursuit Corine Le Quéré. C’est notamment le cas du bâtiment où les objectifs de rénovation globales ne sont pas atteints ou encore les objectifs d’électrification de la voiture.
« La stratégie n’est pas accompagnée d’une politique économique d’ampleur permettant de déclencher l’accélération nécessaire », martèle la présidente du HCC. L’institution appelle à transformer la politique économique afin d’atteindre les baisses d’émissions attendues et mettre en place une adaptation transformationnelle. « Cela comprend la politique budgétaire, fiscale, commerciale, industrielle et celle de l’emploi », ajoute la présidente.
Il existe bien plusieurs paquets de mesures, par exemple pour les véhicules électriques et le bâtiment, mais les incitations et les moyens financiers associés restent insuffisants. « Un soutien public supplémentaire est nécessaire pour atteindre environ 30 milliards d’euros par an en 2030, tous secteurs confondus, soit la moitié des financements publics et privés nécessaires », ajoute la climatologue. Ce besoin est à comparer aux dépenses défavorables au climat, qui comprennent 43 milliards d’euros prévus pour le bouclier tarifaire en 2023, 10 milliards d’euros pour les niches fiscales et 6,3 milliards d’euros pour d’autres dispositifs.
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