Décryptage

Le gaz de schiste, le charbon et le climat

Posté le 9 octobre 2012
par La rédaction
dans Environnement

Plus de 80% de l’énergie primaire provient aujourd’hui des énergies fossiles à l’échelle mondiale. Question stratégique s’il en est, le gaz naturel de schiste a-t-il un intérêt climatique comparativement au charbon ?

C’est une véritable révolution énergétique que le gaz de schiste a provoqué outre-Atlantique. A l’heure où la Chine, l’Afrique du sud, l’Argentine mais aussi la Pologne et le Royaume-Uni s’apprêtent à s’inscrire dans la dynamique américaine, où l’électricien japonais TEPCO envisage d’importer par méthanier du GNL américain suite à Fukushima, et où la France s’interroge, il est crucial de connaître le bilan climatique du gaz de schiste comparativement à celui du charbon.  Quel est l’avis des experts en la matière ?

Selon les climatologues, le méthane est un gaz à effet de serre plus puissant que le dioxyde de carbone. Mais, paramètre tout aussi important, sa durée de vie atmosphérique est bien inférieure. La demi-vie du méthane dans atmosphère est de 15 ans, contre 150 ans pour le dioxyde de carbone. Par conséquent, il existe différentes façons d’évaluer le potentiel de réchauffement global (PRG) du méthane.  La première approche, retenue par les experts du panel intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de l’ONU, utilise une base de 100 ans. Le PRG du méthane est alors de 25, comparativement à celui du CO2 pris comme référence (PRG de 1). Cette valeur, qui provient du 4ème rapport du GIEC, est pertinente quand on s’intéresse aux effets sur le climat à long-terme, à l’échelle du siècle. Quand on utilise un référentiel non pas de 100 ans mais de  seulement 20 ans, c’est-à-dire quand on adopte une approche court-termiste, le PRG du méthane est alors de 72.

S’il ne fait aucun doute que l’obtention d’un kWh d’électricité avec une centrale à gaz est environ deux fois moins émettrice en CO2 qu’avec une centrale à charbon, les taux de fuite de méthane lors de l’extraction du gaz et son transport vers le lieu de son utilisation font l’objet de discussions entre les experts. Tout le débat porte sur ce point précis.

ci-dessus : Les ratio inférieurs à 1 indiquent un bilan favorable au gaz de schiste comparativement au charbon. Les comparaisons sont effectuées par unité équivalente d’énergie primaire, et non par unité d’électricité obtenue en sortie de centrale électrique. La différence de rendement énergétique entre une centrale à gaz et une centrale à charbon n’est pas prise en compte ici. Différentes hypothèses de PRG et de taux de fuite du méthane sont indiquées. Source: Agence Internationale de l’Energie, 2012.

Même en retenant les pires hypothèses, le bilan climatique du gaz de schiste reste meilleur que celui du charbon

L’agence internationale de l’énergie, sur la base des études scientifiques menées en la matière, retient un taux de fuite de 2 à 3% (extraction + transport jusqu’au lieu de consommation).  Cependant Robert Howarth, chercheur en biologie évolutive de l’université Cornell aux USA estime qu’il est compris entre 3,6 % et 7,9 %. Cette estimation a  été notamment remise en cause par Lawrence Cathles, géochimiste de la même université, les hypothèses retenues étant considérées comme non valides.

Gabrielle Pétron, du CIRES (Cooperative Institute for Research in Environmental Sciences, Colorado), a de son côté réalisée une étude sur un site du Colorado. Elle estime que le taux de fuite (extraction) est dans ce cas entre 2 % et 8 %, avec 4 % comme estimation jouissant de la plus haute probabilité.

“Si nous voulons que le gaz naturel soit le plus propre des combustibles fossiles, les émissions de méthane doivent être réduites” souligne la chercheuse. Avec un PRG du méthane de 25 (raisonnement à long-terme), même en retenant la pire des valeurs de Robert Howarth, c’est-à-dire un taux de fuite de 7,9%, le bilan climatique est favorable au gaz de schiste comparativement au charbon. Et si l’on retient un PRG de 72 (raisonnement court-termiste), seul un taux de fuite supérieur à 4% conduit à un bilan pire que celui du charbon.

De plus il s’agit ici d’un bilan wheel-to-burner, du puits au brûleur (extraction + transport). Avec un bilan allant jusqu’à l’électricité obtenue en sortie de centrale électrique, c’est-à-dire si l’on intègre l’énorme différence de rendement énergétique entre une centrale à gaz et une centrale à charbon, alors même en retenant les hypothèses les plus défavorables au gaz naturel de schiste, c’est-à-dire un taux de fuite de 7,9% et un PRG de 72 pour le méthane, le bilan climatique par unité d’électricité obtenue reste bien meilleur pour le gaz de schiste que pour le charbon.

Selon un rapport publié le 23 août 2012 par le Département à l’Energie Américain (US DoE), « le parc actuel des centrales à gaz fonctionnant en base émet 514 grammes de CO2 par kWh sur l’ensemble du cycle de vie. Le remplacement du gaz naturel conventionnel par du gaz non conventionnel conduit à un niveau d’émission de 520 grammes de CO2 par kWh, c’est à dire une hausse de seulement 1%.» Le rapport de la Commission européenne rendu public en septembre 2012 parvient à des conclusions similaires : l’impact climatique du gaz de schiste par unité d’électricité en sortie de centrale (450 g/kWh) est très inférieur à celui du charbon (environ 760 g/kWh) et équivalent à celui du gaz naturel conventionnel non européen d’importation, provenant notamment de Russie. « Les émissions de l’électricité provenant du gaz de schiste sont significativement plus faibles (entre 41 et 49%) que l’électricité provenant du charbon. »

Les auteurs du rapport ajoutent que « l’étude relative à l’impact climatique montre que le gaz de schiste produit dans l’UE entraîne des émissions de gaz à effet de serre plus importantes que le gaz naturel classique produit dans l’UE, mais – si cette production est bien gérée – moins de gaz à effet de serre que le gaz importé de l’extérieur de l’UE, que ce soit par gazoduc ou par méthanier en raison de l’impact sur les émissions provenant du transport de gaz à longue distance.» Le gaz de schiste, consommé relativement près du lieu de production, conduit à réduire les pertes lors du transport.

Source : Commission Européenne

Aux Etats-Unis, le gaz de schiste fait fermer les centrales au charbon

Selon l’US Energy Information Administration (EIA), la production électrique aux USA est passée de 4065 TWh en 2006 à 4106 TWh en 2011. Sur cette période 2006-2011, la production des centrales à charbon a chuté de 256 TWh et celle des centrales au fioul de 36 TWh. Parallèlement, la production des centrales au gaz naturel a au contraire augmenté de 200 TWh, celle de l’éolien terrestre de 93 TWh, celle de l’hydroélectricité de 36 TWh et celle des déchets de 4 TWh. La variation globale de toutes les autres filières réunies  (solaire, géothermie, nucléaire et autres) est marginale (+ 1 TWh).  La progression du gaz naturel et de l’éolien terrestre a ainsi joué un rôle majeur dans le recul du charbon et du fioul.

Source : EIA

L’effet conjugué de la crise économique, de l’amélioration de l’efficacité énergétique du parc automobile et du boom du gaz de schiste  conduit à ce qu’aujourd’hui les émissions de CO2 par habitant aux USA n’ont jamais été aussi basses depuis 1998.

Vers un recul de la part du charbon à l’échelle mondiale ?

Dans une tribune publiée dans le New-York Times en août 2012, Alan Riley, expert en droit de l’énergie de la City University London, estime « qu’un large développement du gaz de schiste, avec une réglementation écologique appropriée, pourrait être la meilleure façon d’atteindre une réduction rapide des émissions de dioxyde de carbone ». C’est également l’avis de nombreux experts, y compris ceux de l’Agence Internationale de l’Energie.  Le gaz naturel est une ressource bon marché et facile à utiliser, y compris dans les pays peu avancés technologiquement, où le PIB par habitant est faible et où subventionner le solaire relève du luxe.

Selon une estimation de l’EIA, pour les centrales électriques entrant en service en 2017, le coût nivelé (LCOE) du kWh issu d’une centrale au gaz naturel à cycle combiné sera aux USA entre 6,3 et 6,6 cents, c’est-à-dire inférieur à celui de toutes les autres filières : hydroélectricité (8,8 cents), éolien terrestre (9,6 cents), géothermie (9,8 cents), charbon (entre 9,7 et 11,1 cents), nucléaire (11,1 cents), biomasse (11,5 cents), solaire photovoltaïque (15,2 cents), solaire thermodynamique (24,2 cents). Le gaz naturel a manifestement un bel avenir devant lui, à tel point que l’Agence Internationale de l’Energie parle de l’arrivée d’un « âge d’or du gaz naturel ». L’alliance du gaz naturel, de l’éolien terrestre et de l’hydroélectricité semble très prometteur à l’échelle mondiale.

Source : Connaissance des énergies / AIE Le charbon pèse aujourd’hui 28,1% de l’énergie primaire mondiale (2009), contre 20,5% pour le gaz et 32,5% pour le pétrole. Le gaz naturel a le potentiel pour faire reculer rapidement le charbon, contribuant de facto à réduire la facture climatique. Mais aussi de faire reculer le pétrole : 13 millions de véhicules roulent dés à présent au gaz naturel dans le monde, notamment en Argentine, au Brésil, en Inde, au Pakistan et en Iran, et leur bilan en matière de santé publique est bien meilleur que celui des véhicules diesel.

Par Olivier Danielo, journaliste scientifique En savoir plus:

http://www.fossil.energy.gov/news/techlines/2012/12038-DOE_Releases_NaturalGas_Assessment.html

http://www.sustainablefuture.cornell.edu/news/attachments/Howarth-EtAl-2011.pdf

http://www.anga.us/critical-issues/howarth-a-credibility-gap

http://www.eia.gov/forecasts/aeo/electricity_generation.cfm

http://www.nytimes.com/2012/08/14/opinion/shale-gas-to-the-climate-rescue.html?_r=0

Lire aussi:

//www.techniques-ingenieur.fr/actualite/chimie-thematique_6343/gaz-de-schiste-3-fois-moins-d-eau-douce-que-le-nucleaire-article_75237/article_75237_1.html


Pour aller plus loin