Nous avons interviewé Étienne Gheeraert, coordinateur du projet européen GreenDiamond, dont l’objectif était de développer un convertisseur d’énergie pour l’éolien offshore, tout en éveillant l’intérêt des industriels pour cette technologie. Étienne Gheeraert est enseignant-chercheur de l’Université Grenoble Alpes à l’Institut Néel (CNRS) et coordinateur du projet européen GreenDiamond.
Techniques de l’Ingénieur : Quels sont les défauts des dispositifs de puissance au silicium ?
Étienne Gheeraert : Le silicium a l’inconvénient d’avoir un champ de claquage faible. Dès que l’on applique une tension trop forte sur une petite épaisseur, il se produit un phénomène de claquage diélectrique. Ceci oblige soit à limiter la tension appliquée, soit à augmenter l’épaisseur : pour avoir un composant qui tient à 2 kV, il faut des épaisseurs importantes de silicium. Cette montée en épaisseur a l’inconvénient d’augmenter la résistance électrique, qui se traduit par une perte d’énergie et un dégagement de chaleur plus important. Le diamant a l’avantage de présenter une tension de claquage beaucoup plus élevée, 10 MV/cm. Pour la même tension, on pourra utiliser une épaisseur bien plus fine de diamant, donc la perte d’énergie sera réduite.
Quelles sont les applications potentielles des convertisseurs au diamant ?
Si le rendement d’un bon convertisseur au silicium se situe autour de 97 %, il est possible d’atteindre les 99 % avec un convertisseur au diamant. Cet écart peut paraître faible. Néanmoins, les gains attendus sont élevés pour certaines applications spécifiques comme le transport de l’énergie longue distance par liaison HVDC (courant continu), comme c’est le cas des fermes d’éoliennes offshore. Pour une puissance d’1 GW à ramener sur le continent, c’est 20 MW d’économisés !
Des chiffres plus précis seront calculés lorsque nous serons en mesure de réaliser une véritable étude économique qui tiendra compte de tous les paramètres d’un site industriel.
La deuxième application que nous visons est le transport de manière générale, car toute technologie qui permet de gagner du poids sur un véhicule est potentiellement intéressante. En effet, si les voitures électriques classiques sont équipées de convertisseurs au silicium, certains véhicules haut de gamme utilisent du carbure de silicium (SiC), qui peut être considéré comme l’intermédiaire entre le silicium et le diamant. À titre d’exemple, Toyota a estimé qu’il était possible de gagner 20 % d’autonomie en passant du Si au SiC. Cela signifie que l’on peut atteindre un gain encore plus élevé en passant au diamant.
Néanmoins, l’automobile n’est pas une priorité pour nous, pour des raisons économiques. Nous visons en premier lieu le marché aéronautique, car c’est un secteur qui cherche constamment à gagner du poids sur ses appareils. Nous participons d’ailleurs au projet européen CLEAN SKY 2, dont le but est d’augmenter la part d’électricité dans l’avion, avant qu’il ne devienne tout électrique.
Cette technologie est-elle prête à voir le jour de manière industrielle ?
D’un point de vue recherche, nous travaillons depuis longtemps sur la fabrication de convertisseurs au diamant. Le but du projet GreenDiamond était cette fois d’embarquer des industriels dans l’aventure. À l’issue de ce projet, une start-up a même vu le jour : DiamFab, créée en mars 2019 et qui a obtenu un Grand Prix i-Lab en 2019.
Par ailleurs, nous disposons déjà de diodes et de transistors prêts à être installés. Nous sommes donc proches de l’industrialisation.
Le diamant naturel est souvent associé au luxe. Est-il réaliste d’imaginer un déploiement à grande échelle de convertisseurs en diamant ?
Le diamant n’est pas un produit de luxe, mais un produit industriel. D’ailleurs, le processus industriel de fabrication des diamants synthétiques est maîtrisé depuis longtemps. Les machines PECVD utilisées pour fabriquer les diamants permettent de déposer, sur une surface de 2 pouces de diamètre, une surface capable d’accueillir 50 petits germes de diamant de la taille d’un grain de sable. En termes de consommables, fabriquer un diamant n’est pas difficile : le procédé consomme de l’énergie électrique, de l’hydrogène qui peut être obtenu par hydrolyse de l’eau et du méthane pour la source de carbone.
Après trois semaines de croissance, il est possible d’obtenir 50 diamants bruts de 1 carat : d’un point de vue technique, il n’y a donc aucune raison pour que le diamant soit aussi cher que le diamant naturel. Mais c’est commercialement très profitable, ce qui fait que, sur la base de la production connue en Inde et Chine, il est estimé que 12 % des diamants de joaillerie sont fabriqués industriellement, à l’insu du joaillier, et ce taux en très forte augmentation. Donc les industriels nous vendent les diamants au même prix qu’aux bijoutiers ou presque. Mais cette situation ne pourra pas durer ; les choses sont amenées à évoluer dans les années à venir, car la technologie va ouvrir de nouveaux marchés importants, qui vont complètement bouleverser le commerce traditionnel. Rien n’arrêtera la technologie du diamant et le prix descendra à la valeur d’un marché industriel, j’en suis persuadé. Cela arrivera dès que la recherche démontrera une application industrielle à grande échelle du diamant, probablement dans l’électronique.
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