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Décryptage

« Le débat sur les nanotechnologies souffre d’un manque d’éducation »

Posté le par La rédaction dans Informatique et Numérique

[Interview] Alexei Grinbaum - LARSIM - CEA

Lancé en septembre 2009 par la CNDP, le débat sur les nanotechnologies a été émaillé d'incidents. Pourquoi une telle levée de bouclier ? Quelles conséquences pour les nanotechnologies et quels enseignements en tirer ? Alexei Grinbaum, chercheur au LARSIM décrypte pour nous le phénomène.

Lancé en septembre 2009 par la Commission nationale du débat public à la demande de sept ministères, le débat sur les nanotechnologies s’était fixé des objectifs ambitieux : éclairer les autorités publiques qui prendront ensuite des décisions pour encadrer l’usage des nanotechnologies, mais aussi les scientifiques, les industriels, les associations ainsi que les citoyens impliqués ou intéressés par ces développements, et faire en sorte que l’innovation en termes de nanosciences et de nanotechnologies ne soit pas déconnectée de la demande sociale. Or, ce débat, loin d’être serein a été émaillé d’incidents rendant parfois la discussion impossible. Pourquoi une telle levée de bouclier ? Quelles conséquences pour les nanotechnologies et quels enseignements peut-on en tirer ? Alexei Grinbaum, chercheur au Laboratoire des Recherches sur les Sciences de la Matière décrypte pour nous le phénomène.

Techniques de l’Ingénieur : Le débat sur les nanotechnologies qui a été officiellement lancé en septembre 2009, a été émaillé par de nombreux incidents. Pourquoi selon vous une telle opposition ?

Alexei Grinbaum :  » Avant toute chose, il faut distinguer deux niveaux de débat. Le premier se situe autour du processus de transfert technologique de la recherche vers l’industrie. Il s’agit d’encadrer ce transfert, de concevoir un cadre législatif pour fixer ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. A ce niveau, les participants au débat sont des scientifiques, des ‘ technologues ‘ que j’appelle ainsi car ils ne travaillent pas dans la recherche mais dans la technologie industrielle, des politiques, mais aussi des associations, comme France Nature Environnement, qui représentent la société civile. Ce premier type de débat a pour objectif de créer des normes dans un processus de dialogue entre les différentes parties associées. Au delà, il y a un deuxième niveau de débat. Les nanotechnologies, comme les TIC ou la médecine avant elles, nourrissent beaucoup de questionnements sur leurs interactions avec la société. Ici, la question fondamentale est dans quelle mesure les nanotechnologies changent-elles la condition humaine et la vie en société ? Ce que nous voyons alors dans le déroulement du débat, c’est la prise de conscience du rôle moteur que jouent les sciences et les technologies sur le changement de la condition humaine et la vie en société. Ce changement se fait petit à petit, mais il prend de l’ampleur. Il en ressort que les sciences et les technologies sont devenues un sujet politique, au sens large, pour la société. La notion de progrès technique ne fait plus consensus comme il y a trente ans. Car le progrès technique s’inscrit dans une histoire où il y a des antécédents, parmi lesquels figurent les OGM, les déchets nucléaires, le sang contaminé, ou l’amiante. A ce niveau de débat, la science et les technologies sont perçues, en quelque sorte, comme une boîte noire. La plupart des gens identifie assez bien le besoin à l’origine des recherches, qui n’est souvent identifié qu’après coup, et les produits industriels qui en résultent. Mais ils ne savent absolument pas comment la science fait pour en arriver là. De fait, le travail scientifique, ce qui se passe en laboratoire, reste méconnu. La science et les technologies font alors partie, pour la société, d’un sacré au sens anthropologique du terme, c’est-à-dire qui transcende le niveau de la vie quotidienne des gens. Le public se divise au final en deux. Il y a d’un côté, ceux qui ont accès à des connaissances spéciales et ceux, la masse des  » profanes « , pour qui tout cela est comme de la magie. Il s’ensuit, des comportements qui s’apparentent ou qui se revendiquent des mouvements luddites du 19e siècle, caractérisés par le bris de machines et de manière plus générale, par une opposition au progrès technologique. Ici, le débat se radicalise et n’est absolument pas constructif. Il révèle plutôt le fait que la société a pris acte que la science joue un rôle de transformation de la société et que certaines personnes s’opposent à ces changements. La science est alors perçue comme un instrument de pouvoir dont l’effet advient de façon déterministe. Pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui dans le débat sur les nanotechnologies, il est très important de ne pas confondre ces deux niveaux. Dans le premier cas, le débat porte sur des questions très concrètes comme la directive européenne Reach, l’article 73 de la loi Grenelle 2, la législation européenne, etc… et dans ce cadre, le terme  » nanotechnologies  » n’est presque jamais employé car il réunit des réalités trop hétérogènes. Dans le second cas, on se place au niveau du symbolisme. Ici, on parle de ‘ nano ‘ tout court, car le terme renvoie à une définition sociale : il désigne l’invisible, l’imperceptible, ce que d’autres peuvent manipuler sans qu’on le sache.

Qu’aurait-il fallu faire, selon vous, pour éviter ce choc frontal entre ces deux logiques ? Quels enseignements peut-on tirer des débats menés sur ce même thème dans d’autres pays ?

Je pense qu’aujourd’hui, il n’est pas possible d’organiser un débat sur les sciences et les techniques avec les mêmes instruments que ceux utilisés pour encadrer des débats citoyens sur des problèmes déjà familiers dont la portée est limitée : par exemple ceux relevant d’une ou de quelques communes, comme le tracé d’une nouvelle route. Il faut utiliser d’autres outils plus adaptés. Les Pays-Bas, par exemple, ont choisi une toute autre voie tout en poursuivant exactement le même objectif que la France. Ils ont d’abord lancé une première phase préparatoire au débat qui consiste à familiariser le public avec les nanotechnologies. Pour cela, ils ont fait une série télévisée, un numéro spécial d’un magazine et ont lancé plusieurs projets éducatifs, le tout étant financé par les ministères. Aux Etats-Unis, en revanche, il n’y a pas de débat national. Par contre, la National Nanotechnology Initiative consacre une partie de son budget au financement de projets éducatifs qui vont de l’école primaire à l’université, l’objectif étant de familiariser le plus grand nombre avec ces technologies. En France, nous avons choisi de faire de la démocratie directe sur un sujet qui demande de l’expertise. Tout le travail d’adaptation du discours des scientifiques, de rapprochement des intérêts et des manières de parler n’a pas été fait. Résultat, la parole des scientifiques est souvent perçue comme de la communication et pas comme une invitation au dialogue informé et réfléchi. Ce qui manque en France, c’est l’éducation.

Face aux questions éthiques qui sont soulevées par les nanotechnologies, ne faudrait-il pas créer un comité d’éthique ?

Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne solution. Car les nanotechnologies sont trop hétérogènes. Créer un comité d’éthique pour toutes les disciplines couvertes par les nanotechnologies exige des compétences extrêmement diverses qui se rencontrent très rarement.

Certes, il ne faut pas confondre ces deux niveaux. Mais le débat symbolique ne va-t-il pas peser sur les décisions qui découleront de ce débat ? Quelles seront les conséquences pour la recherche ?

Il ne faut pas nier l’importance et le rôle du débat symbolique. Mais il y a eu des séances de discussion suffisamment intéressantes, comme par exemple à Orléans sur les produits cosmétiques, pour nourrir le rapport de la Commission nationale des débats public. J’espère que le gouvernement saura très clairement faire la distinction entre le contenu des travaux réels et la contestation symbolique. Je pense que le développement de la recherche scientifique, des connaissances nouvelles dans le domaine des nanosciences et des nanotechnologies n’est pas en danger. C’est une affaire qui ne relève pas de la France seule, la recherche aujourd’hui est mondiale. Pour ce qui est de la mise sur le marché des produits, le débat va continuer pour produire des mesures d’encadrement.

N’y a-t-il pas d’enseignements à tirer de la contestation symbolique qui s’est manifestée tout au long de ce débat public ?

Si, bien sûr. Et ils pourraient être de deux sortes. En premier lieu, cette contestation apparaît comme la conséquence directe du déclin constant de la formation scientifique des jeunes. Le système éducatif est aujourd’hui incapable d’expliquer le fonctionnement des outils technologiques que tout le monde utilise. Résultat, ils apparaissent comme des objets magiques autour desquels peuvent se greffer toutes sortes de peurs et de craintes. Mais cette contestation est également riche d’enseignements pour les ingénieurs. Il est clair que la période de la tour d’ivoire est terminée pour eux. Et ce constat ne suffit pas. Il faut intégrer à leurs cursus des outils pour leur permettre de réfléchir à l’interaction entre la science et la société et aux questions éthiques que leurs travaux soulèvent. Si l’on pouvait tirer ces enseignements de ce débat, ce sera déjà pas mal.  » Le parcours d’Alexei Grinbaum Alexei Grinbaum a un double parcours. Physicien en mécanique quantique, il est également titulaire d’une thèse en philosophie des sciences. Ses recherches dans le domaine de l’éthique des sciences et des technologies l’ont amené à travailler sur la notion d’incertitude sur le développement technologique. Aujourd’hui, ses travaux portent sur les analogies entre les questions éthiques que posent la science et les technologies, et celles qui se posent dans des domaines qui n’ont rien à voir avec la science, comme par exemple, des mythes anciens. Enfin, il est coordinateur pour la France de l’observatoire européen des nanotechnologies. Le LARSIM Laboratoire des Recherches sur les Sciences de la Matière. Créé en 2007, le LARSIM est situé sur le plateau de Saclay et est rattaché au CEA. Dirigé par Etienne Klein, ce laboratoire fait de la recherche en philosophie des sciences. Ces travaux s’organisent autour de trois thèmes : – clarifier les enjeux de certains problèmes rencontrés en physique : exemple les questions conceptuelles autour du LHC ; – instaurer un dialogue entre physique et philosophie en cherchant dans les découvertes récentes faites en physique lesquelles mériteraient d’être exportées en dehors de cette discipline, car elles ont également un intérêt dans des domaines comme la philosophie. Exemple : la question du temps. – observer, sur des thèmes sujets à controverse, l’état actuel de la relation entre la science et la société. Sur les nanosciences, il s’agit d’examiner quels sont les arguments de fond qui opposent partisans et adversaires, quels sont les systèmes de valeurs sur lesquels se basent les uns et les autres, et de clarifier les enjeux des débats qui ont cours. Cette équipe est constituée de physiciens et de philosophes. Voir le site du LARSIM. Pour aller plus loin Etienne Klein, Vincent Bontems, Alexei Grinbaum,  » Nanosciences : les enjeux du débat « , Le Débat, n°148, janvier-février 2008, pp 65-79. Propos recueillis par Anne-Laure Béranger

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