Depuis le début de la crise sanitaire liée au Covid-19, nombre d’entreprises tournent au ralenti, et davantage d’automobilistes laissent leur voiture au garage. Selon le Réseau de transport d’électricité (RTE), la consommation d’électricité a baissé de 10% depuis le 16 mars, date de fermeture des établissements scolaires. Dans le même temps, le prix des carburants dégringole à la pompe, du fait de la baisse mondiale de consommation de pétrole.
Pourtant, conformément au projet de loi de finances rectificative pour 2020, le ministère de l’Économie maintient ses prévisions de recettes de la taxe intérieure sur les produits énergétiques (TICPE) à 14,5 milliards d’euros. Bien qu’un rebond d’activité soit attendu par le gouvernement en sortie de crise, les attentes du gouvernement paraissent optimistes. Une thèse que soutient Maître Matthieu Toret, avocat spécialiste en fiscalité énergétique.
Techniques de l’Ingénieur : Qu’est-ce que la TICPE ? En quoi consiste-elle ?
Maître Matthieu Toret : La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, ou TICPE, est une taxe qui porte sur une soixantaine de produits énergétiques, dont les principaux sont les essences et le gazole. La TICPE s’applique également sur le fioul domestique, le fioul lourd, ou encore le white spirit.
Qui sont les Français soumis à cette taxe ?
En France, la TICPE est connue du grand public comme étant la taxe sur les carburants, celle qui a déclenché la crise des gilets jaunes. C’est une taxe qui est payée par toutes les personnes qui consomment des énergies, aussi bien les particuliers que les entreprises. Ainsi, les automobilistes y sont soumis lorsqu’ils font le plein de leur voiture. Officiellement, les redevables sont les fournisseurs d’énergie, Total par exemple. Mais bien évidemment, c’est reporté sur les consommateurs.
Comment est calculée la TICPE ?
Depuis 2014, cette taxe se divise en deux parties. La première, budgétaire, est fixe. L’autre partie est calculée en fonction des émissions de CO2 du produit. C’est pour cela que le diesel devait augmenter plus que l’essence, car il est plus polluant. Cette part carbone a augmenté d’année en année entre 2014 et 2018. Entre 2018 et 2019, une nouvelle hausse de cette taxe carbone était prévue. Elle avait finalement été gelée consécutivement au mouvement des gilets jaunes, conformément aux annonces d’Emmanuel Macron en décembre 2018.
Quelle part représente la TICPE dans les recettes de la France ?
La TICPE représente une part importante du budget annuel français. La première recette fiscale est la TVA. La deuxième recette est l’impôt sur le revenu. La troisième est l’impôt sur les sociétés. Et la taxe sur les produits énergétique est, à elle seule, la quatrième recette de l’État. Elle constitue donc un très gros levier fiscal.
Quel impact a la crise du coronavirus sur la TICPE ? Comment lier les deux problématiques ?
Le gouvernement a publié son projet de loi de finances rectificatif. Ce dernier tire les conséquences de la crise sanitaire que traverse actuellement la France, puisque l’État a débloqué tout un tas d’aides en faveur des entreprises. Et cela est bien normal et légitime. Or, il va falloir que l’État les finance soit par l’impôt soit par la dette. Donc, dans la loi de finances, il y a des mesures de financement. Il y a également des recettes escomptées. Concernant la TICPE, le Gouvernement a maintenu ses prévisions de recettes de TICPE, à 14,5 milliards d’euros. Et ce, malgré la crise que traverse la France.
Cette estimation du gouvernement vous semble-t-elle réaliste ?
Les recettes de TICPE attendues pour 2020 sont équivalentes, voire supérieures aux recettes des années précédentes. Effectivement, cela semble très étonnant et optimiste, puisque les automobilistes sont appelés à rester chez eux. Les entreprises, supportant également la TICPE, tournent pour nombre d’entre elles au ralenti ou sont à l’arrêt. Par conséquent, il va y avoir une baisse inévitable de la consommation de produits énergétiques, et donc une baisse des recettes, c’est mécanique. De manière générale, il peut y avoir un écart entre le budget prévisionnel et le budget réel. Dans ce cas, je pense que l’écart risque d’être conséquent, bien qu’il soit difficile de donner une estimation chiffrée à l’heure actuelle.
Pourquoi Bercy ne revoit-il donc pas cette estimation à la baisse ?
Le gouvernement se permet de maintenir ces prévisions de recettes, puisqu’il espère un rebond d’activité après le confinement, dont la date est incertaine pour le moment. Malgré cela, ces estimations restent tout de même optimistes, car les automobilistes ne vont pas rouler quatre fois plus parce qu’ils ont été confinés. Ils rouleront peut-être un petit peu plus, parce qu’ils auront le goût de sortir un petit peu plus, mais ils ne vont pas passer leur temps sur les routes de France.
Est-il envisageable que l’État compense des éventuelles recettes déficitaires par une hausse de la TICPE ?
Pour le moment, cela n’est pas prévu. A priori, ce sujet n’est pas à l’ordre du jour, et reste extrêmement sensible, comme l’a montré le mouvement des gilets jaunes. Le dégel de cette taxe carbone ne serait probablement pas accepté par les Français pour le moment en tout cas. La taxe carbone reste un sujet politiquement ultra-sensible. Cependant, il va bien falloir que l’État finance les mesures qu’il a annoncées soit par de l’endettement soit par des hausses d’impôts. Pour le moment, il ne s’agit que de recettes estimées. Toute décision sera probablement prise une fois le chiffre réel des recettes de TICPE pour 2020 connu.
Une hausse de la consommation énergétique sera-t-elle envisageable en sortie de crise ?
Si un fort rebond de l’activité est peu probable pour les automobilistes, il reste possible pour les entreprises. Toutes les entreprises industrielles qui sont actuellement à l’arrêt auront peut-être des carnets de commande plus remplis lorsque l’activité reprendra.
Les entreprises sont-elles obligatoirement soumises à la TICPE ?
Non. Comme c’est le cas pour beaucoup de taxes, la réglementation prévoit des exonérations en faveur de l’industrie lourde et des taux réduits en faveur des secteurs particulièrement exposés à la concurrence internationale.
Quel est le champ d’application des exonérations prévues en faveur du secteur industriel ?
La réglementation prévoit que les énergies consommées pour les processus industriels de la chimie, de la métallurgie et de la minéralogie soient exonérées de toutes les taxes énergétiques. Or, certaines entreprises n’ont pas connaissance de ces exonérations, ou n’ont jamais demandé à bénéficier des tarifs réduits. Si une entreprise ne fait pas la démarche auprès de son fournisseur, ce dernier lui applique automatiquement le tarif plein. Ces entreprises peuvent toutefois demander le remboursement de ces taxes à l’administration des douanes qui les gère.
Propos recueillis par Chaymaa Deb
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