Une étude pilotée par l’université américaine de l’Ohio, et publiée dans la revue Nature Materials, sur le comportement des verres utilisés pour confiner les déchets nucléaires à vie longue (des milliers d’années) montre que la corrosion est « accélérée de façon significative » dans certaines conditions. Xiaolei Guo, principal auteur de l’étude, signale dans un communiqué que « cela indique que les modèles actuels ne sont peut-être pas suffisants pour garantir la sûreté du stockage de ces déchets. »
Plus précisément, il y aurait interaction entre l’acier des fûts et le verre ou la céramique, sous l’influence de l’eau d’infiltration (l’eau finit en effet toujours par atteindre, un jour, les stockages), accélérant le processus de dégradation des fûts et risquant de libérer des éléments radioactifs (d’abord dans le sol, puis, potentiellement remontant à la surface).
Le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), dont l’un des représentants a participé à l’étude, rappelle que celle-ci « s’inscrit dans le cadre du projet américain de stockage géologique à Yucca Mountain ». Un projet arrêté, puis récemment repris (mais toujours pas abouti), qui vise à stocker en profondeur, comme dans Cigéo en France, des déchets radioactifs de haute activité. Néanmoins, signale Frédéric Plas, directeur R&D de l’Agence nationale des déchets radioactifs (Andra), interrogé par Techniques de l’Ingénieur, Yucca Mountain, dans le Nevada, « est un site particulier, puisqu’il est situé dans la roche volcanique, et il s’agit d’un milieu non saturé avec des poches d’eau ». En général, les trois grandes roches envisagées pour de tels stockages sont l’argile, le granit, voire le sel. D’où les études américaines sur le sujet.
En outre, aux Etats-Unis, insiste le responsable de l’Andra, « comme les combustibles usés ne sont pas retraités comme en France, la majeure partie des déchets à stocker sont constitués de combustibles usés, qui sont aujourd’hui entreposés près des centrales américaines. »
Des conditions très différentes en France
Par ailleurs, indique le CEA, « les conditions expérimentales des travaux correspondent aux conditions d’environnement attendues à Yucca Mountain : expériences conduites sous air et donc en présence d’oxygène, avec une concentration élevée d’ions chlorures favorisant la corrosion par piqûre des aciers inoxydables ». Or, insiste le CEA, « les conditions étudiées dans cet article ne sont pas représentatives de celles de Cigéo. En effet, dans Cigéo, l’oxygène apporté par la ventilation du stockage sera consommé très rapidement par réaction avec les minéraux, une fois le stockage fermé. L’eau qui arrivera au contact du colis primaire en inox ne contiendra pas d’oxygène. De plus, les concentrations en ions chlorures des eaux présentes dans la couche argileuse du Callovo-Oxfordien de Cigéo sont très largement inférieures à la concentration prise en compte dans l’étude de Nature Materials. Dans ces conditions, le mécanisme de corrosion par piqûre est très peu probable et serait limité à la surface du colis vitrifié, si ce phénomène devait se produire. »
Le CEA rappelle qu’en lien étroit avec l’Andra, il « mène depuis de nombreuses années des travaux sur la dissolution du verre dans les conditions du stockage profond Cigéo et sur les mécanismes de corrosion spécifiques des aciers. Ces phénomènes sont pris en compte dans les calculs de performances de l’Andra pour Cigéo. »
En outre, le procédé de vitrification permet d’intégrer les éléments radioactifs dans un verre, qui présente de bonnes propriétés de confinement. « En France, les déchets vitrifiés de haute activité sont issus du traitement des combustibles usés, mis en œuvre à La Hague. Une fois les matières valorisables extraites, les déchets sont mélangés à très haute température dans un verre en fusion. La formulation du verre est adaptée selon la composition chimique des solutions à vitrifier : elle dépend donc de la nature des combustibles traités. »
Ensuite, « le verre est placé dans un conteneur en inox, ce qui constitue le colis primaire » pour le stockage futur dans Cigéo, indique Frédéric Plas. « Ce colis primaire est introduit dans un conteneur de stockage en acier bas carbone d’une épaisseur de 55 à 60 mm », qui constitue une barrière supplémentaire grâce à sa résistance à la corrosion, et à sa grande ductilité. Et le directeur R&D de l’Andra de préciser que l’analyse de sûreté ne prend pas en compte l’acier du colis primaire pour réaliser l’étanchéité du stockage final.
Puis ces conteneurs sont placés dans des alvéoles creusées dans la couche argileuse du Callovo-Oxfordien, de la région de Bure, saturée en eau et en milieu réducteur, qui joue ainsi un rôle de barrière également sur 130 à 140 m en moyenne. « Les alvéoles elles-mêmes sont d’ailleurs chemisées d’acier, et d’un coulis cimentaire au PH bas », ajoute Frédéric Plas. Le tout assure ainsi une étanchéité pour des centaines d’années.
A noter qu’en Finlande, où est implanté le site de stockage pour déchets à vie longue d’Onkalo, ou en Suède, la couche externe est granitique et laisse passer l’eau. Les Finlandais et les Suédois placent leurs déchets (là encore beaucoup de combustibles usés, puisqu’ils ne font pas de retraitement) dans des fûts en cuivre (d’environ 70 mm d’épaisseur), lesquels sont insérés dans des mini-puits couronnés de bentonite.
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