Dans leur déclaration commune, 10 grandes compagnies pétrolières et gazières – Total, BP, Eni, Shell, Saudi Aramco, Statoil, Repsol, Reliance, Pemex et BG Group -, regroupées depuis 2014 au sein de l’Oil and Gas Climate Initiative (OGCI) affirment avoir diminué leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) d’environ 20 % au cours des 10 dernières années. « Nous avons également réalisé des investissements significatifs dans le gaz naturel, le captage et le stockage de CO2 (CSC) et les énergies renouvelables, ainsi que dans la R&D pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre et l’innovation », défendent-ils.
Ils s’engagent à renforcer leurs actions et investissements pour réduire l’intensité en GES du mix énergétique mondial. Pour ce faire, ils visent notamment l’amélioration de l’efficacité énergétique de leurs opérations et carburants, veulent augmenter la part du gaz naturel par rapport au charbon, déployer la technologie CSC et favoriser les énergies renouvelables.
Les pétroliers et gaziers auraient donc pris conscience de l’importance du réchauffement climatique et décidé d’adapter leurs process. Malheureusement, derrière ces beaux discours, l’association britannique InfluenceMap dénonce un double discours. Cette association s’est employée à recenser, analyser et noter l’influence – positive ou négative – sur les politiques climatiques des cent plus grandes multinationales et de trente associations patronales. L’objectif était de montrer l’écart entre les déclarations officielles et leurs lobbying en coulisse.
Elle en conclut que 45 % de ces 100 plus grandes entreprises mondiales font obstruction aux législations permettant de lutter contre le changement climatique. Et 95 % d’entre elles sont membres d’associations professionnelles faisant obstruction aux politiques climatiques, dont, au niveau européen, Business Europe, CEFIC (chimie) ou ACEA (automobile). Les mieux notés récoltent un B, les pires un F.
Le double discours des pétroliers et gaziers
Le classement d’InfluenceMap est sans appel. Parmi les 10 compagnies ayant signé cette déclaration commune, Shell et Eni récoltent un D, Total un E+, BP un E et Reliance un F. Les autres groupes n’ont pas été considérés.
Le 16 octobre, InfluenceMap a également publié le rapport « Les supermajors du pétrole et l’obstruction aux réglementations climatiques ». En analysant 10 000 données (déclarations publiques, consultations publiques…) portant sur 3 réformes politiques clés – la taxe carbone, le marché carbone et la régulation des émissions de gaz à effet de serre -, l’ONG montre l’opposition systématique entre les déclarations de ces entreprises et les activités de lobbying des associations professionnelles qu’elles financent.
Si l’on s’intéresse au géant pétrolier français, Total a un engagement « actif et largement négatif » sur les politiques climatiques, selon InfluenceMap L’association remarque de « fréquentes contradictions dans le message ». Bien que Total s’affiche comme activement engagé dans la lutte contre le changement climatique, « il a milité contre une réduction drastique des émissions lors de la consultation des objectifs européens pour 2030 ». D’un côté, il « a pris part à des initiatives soutenant la transition énergétique et la suppression des subventions aux énergies fossiles ». De l’autre, « il semble ausi soutenir l’utilisation future de toutes les sources d’énergie et sa campagne publicitaire 2014-2015 présentait le pétrole comme une « énergie meilleure » ».
Les entreprises pétrolières et gazières « semblent avoir transféré leur opposition directe aux législations climatiques à certaines associations professionnelles clés », note Dylan Tanner, directeur exécutif d’InfluenceMap dans un communiqué de l’ONG. « Les investisseurs et décideurs doivent être conscients que ces puissantes organisations professionnelles des secteurs de l’énergie et de la chimie sont financées par, et agissent sur instruction de, leurs membres clés et devraient donc être considérés comme des extensions des activités et positions de leurs entreprises membres », souligne-t-il.
Pour limiter le réchauffement climatique à 2°C en 2100, les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estiment qu’il faudrait laisser les deux tiers des réserves en énergies fossiles enfouies dans le sous-sol. Si les entreprises pétrolières et gazières communiquent beaucoup sur leurs engagements, aucune n’est prête à se retirer entièrement de l’extraction des hydrocarbures. Limiter l’exploitation des gisements pour limiter le réchauffement climatique? Cela n’est pas à leur programme.
Par Matthieu Combe, journaliste scientifique
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