Le chalutage en eaux profondes est une technique de pêche controversée, car elle entraîne des prises non désirées, y compris des espèces menacées d’extinction et affecte celles qualifiées de fragiles. Depuis 2017, l’Union européenne interdit partiellement cette pratique au-delà de 800 mètres de profondeur. Une équipe internationale d’experts du climat et des océans, parmi lesquels ceux de l’Université de l’Utah et de l’Institut Goddard d’études spatiales de la NASA, a publié une étude dans la revue Frontiers in Marine Science dans laquelle elle révèle que ce chalutage profond provoque d’importants rejets de CO2 dans l’atmosphère.
Ces émissions sont liées aux filets qui s’enfoncent dans les fonds marins et ont pour effet de soulever le carbone ayant mis des millénaires à s’enfouir dans les sédiments du plancher océanique. Cette pollution avait déjà identifié dans le passé, mais n’avait jamais pu être quantifiée, notamment parce que le devenir du carbone dans l’eau restait inconnu. Pour mener à bien ces travaux, les chercheurs se sont appuyés sur une base de données de suivi des navires constituée par Global Fishing Watch ainsi que sur des données relatives au carbone des fonds marins. Ils ont ensuite utilisé trois modèles différents de cycles du carbone dans l’océan, utilisés notamment par le GIEC, pour calculer la quantité de carbone libérée dans l’eau puis s’échappant dans l’atmosphère.
Résultat : au cours de la période d’étude qui s’étale de 1996 à 2020, la quantité de rejets de CO2 dans l’atmosphère liée au chalutage de fond est estimée entre 8,5 et 9,2 milliards de tonnes. Pour parvenir à cette estimation, les scientifiques ont calculé qu’entre 55 à 60 % du CO2 libéré dans l’eau se retrouve progressivement dans l’atmosphère sur une période de neuf ans après le passage des chalutiers. Chaque année, les rejets de CO2 atmosphérique sont estimés à 370 millions de tonnes. Les auteurs de cette publication décrivent ce chalutage comme une « déforestation marine » et ont calculé que ces rejets correspondent à environ 9 à 11 % des émissions mondiales liées au changement d’affectation des terres en 2020. Cette pollution représente également plus de deux fois l’empreinte carbone estimée de l’industrie mondiale de la pêche.
Un risque d’acidification localisée des océans
Cette technique de pêche a le plus grand impact sur le climat dans certaines régions du monde à fortes activités de chalutage, comme c’est le cas dans la mer de Chine orientale, la mer Baltique, la mer du Nord et la mer du Groenland. L’Asie du Sud-Est, le golfe du Bengale, la mer d’Oman, certaines parties de l’Europe et le golfe du Mexique sont également probablement des sources majeures d’émissions de carbone dues au chalutage de fond, mais les scientifiques ont manqué de données suffisantes sur l’étendue et l’intensité de cette technique de pêche dans ces régions. Étant donné que le carbone est remis en suspension dans l’eau puis transporté par les courants océaniques, il n’est pas possible de garantir que toutes les émissions atmosphériques dans les eaux juridictionnelles d’un pays proviennent des activités de chalutage dans cette zone.
Ces travaux de recherche ont également permis d’évaluer ce qu’il advient du carbone qui reste piégé dans les eaux océaniques après le chalutage profond. Bilan : entre 40 et 45 % du carbone total délogé du fond océanique reste dans l’eau sous forme de CO2, ce qui pourrait conduire à une plus grande acidification localisée des océans, un processus qui peut endommager les plantes et les animaux locaux. À l’échelle mondiale, la réduction du pH est comprise entre 0,0003 et 0,0005 sur la période 1996 à 2020, un chiffre qui n’est pas significatif comparé à l’effet des émissions anthropiques dues aux combustibles fossiles, cependant, les auteurs estiment « qu’un chalutage intensif pourrait conduire à une acidification localisée accrue dans la mer de Chine orientale et méridionale. »
Face à la nécessité de réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre, les scientifiques alertent sur le fait que « les pays ne tiennent actuellement pas compte des émissions de carbone importantes du chalutage de fond dans leurs plans d’action climatique et que la réduction des émissions de carbone du chalutage de fond pourrait potentiellement apporter des avantages significatifs en matière de réduction des émissions de carbone à court terme. »
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