Avec ou sans accord, le Brexit a signé la sortie du Royaume-Uni du traité Euratom qui gère les activités liées au nucléaire en Europe. Une sortie qui se prépare mais où de nombreuses questions restent en suspens à quelques semaines d’une séparation dont les modalités précises ne sont toujours pas connues.
Comment le Royaume-Uni va-t-il gérer ses recherches nucléaires hors de l’UE ? Sous quelles règles fonctionnera l’importation d’équipements scientifiques et de réactifs liés au nucléaire ? Quel avenir pour le JET (Joint European Torus) ? Quel avenir et quel niveau de sécurité pour le nucléaire britannique ? Autant de questions qui sont posées par le Brexit. Alors que l’espoir d’une sortie en douceur avec une période de transition de deux ans s’estompe, la filière nucléaire britannique se prépare au mieux. Essayant d’anticiper tous les scénarios possibles.
La sortie d’Euratom entérinée
Les industriels et les chercheurs de la filière nucléaire espéraient il y a peu un arrangement pour rester dans le cadre du traité Euratom. Mais le gouvernement britannique a tranché pour une sortie franche en annonçant en parallèle la mise en place d’un plan de développement de l’énergie, d’un plan d’organisation de sa filière nucléaire, ainsi que des négociations pour rester un partenaire privilégié d’Euratom. Le traité Euratom encadre le développement de l’énergie nucléaire en Europe depuis plus de 60 ans. Il s’occupe notamment des normes de sécurité, de la libre circulation des capitaux, des combustibles et des compétences autour du nucléaire, et gère les relations avec les tiers de l’UE sur ce sujet, notamment avec l’AIEA (agence internationale de l’énergie atomique). Le Royaume-Uni s’est donc attelé depuis près d’un an à construire un cadre à sa filière nucléaire en espérant être prêt à temps en cas de sortie immédiate au 29 mars 2019, sans période de transition. L’autorité de régulation du nucléaire affirme avoir entraîné ses personnels et développé l’infrastructure nécessaire au travail hors du traité Euratom. Le gouvernement a aussi travaillé sur les traités avec les pays tiers qui ont dû être revus (Australie, Canada, Japon et Etats-Unis notamment). Mais si le travail a bien avancé en la matière, il reste de nombreux points de détails à régler et à construire les modalités de fonctionnement avec les signataires d’Euratom justement. Les négociations doivent surtout porter sur les éventuels apports financiers du Royaume-Uni en contrepartie d’un fonctionnement quasi à l’identique d’aujourd’hui pour des infrastructures majeures comme le réacteur de recherche sur la fusion du JET (voir ci-après).
Mais la sortie d’Euratom n’a pas que des impacts directs outre-Manche. Elle risque de chambouler aussi l’équilibre des forces entre nations pronucléaires et anti-nucléaires au sein de l’UE. En effet, Le Royaume-Uni était un partenaire de poids pour les pronucléaires comme la France qui risque de se trouver bien esseulée pour réussir à capter les fonds d’Euratom afin de poursuivre des efforts de développements et de recherches, et non pas seulement des actions de sécurité ou de démantèlement. Une sortie qui pourrait donc voir se réorienter une partie des fonds alloués au nucléaire en Europe vers d’autres énergies.
Quand la fission menace la fusion
Côté infrastructures et recherche, le sort du JET reste assez flou. Employant près de 550 chercheurs, le plus grand tokamak du monde, dédié à la recherche sur la fusion nucléaire, est en panne d’espoir depuis le Brexit. Près de la moitié de son budget provient de l’Europe via Euratom (à peu près 60 millions d’euros) et le résultat de ses recherches constituent des données essentielles à l’avènement d’ITER, le réacteur expérimental de Cadarache dont le Royaume-Uni est un partenaire essentiel. Le contrat du JET se terminait en décembre 2018, il a été prolongé jusqu’à fin 2020, date de fin du cycle des programmes de recherches européens – les Britanniques ayant confirmé qu’ils continueraient de verser leur part concernant le JET. Pour la suite, rien n’est encore fixé. Cependant cet accord de prolongation fait partie de la sortie négociée de l’UE. En cas de sortie sans accord, les positions des deux parties sont encore floues. Dans une interview de Nature, Ian Chapman, directeur exécutif du JET et directeur exécutif de l’autorité nucléaire britannique, a affirmé avoir passé la moitié de son temps de ces deux dernières années à traiter des questions du Brexit. Dès mars 2017, il témoignait que sans qu’il y ait d’hémorragie dans les effectifs, certaines personnes commençaient à accepter des postes ailleurs et des candidats refusaient les offres qu’on leur faisait. Il appelait alors le gouvernement à donner des signes concrets rapidement pour rassurer les équipes. Il aura fallu attendre octobre 2018 pour que le ministre de la recherche vienne annoncer un plan d’extension du site de Culham grâce à un partenariat avec le Princeton Plasma Physics Laboratory aux Etats-Unis et la visite du nouveau ministre fin janvier 2019, venu insister sur l’importance que le gouvernement britannique accordait à la recherche, la science et l’innovation, pour qu’un peu d’espoir revienne. Reste que si la Grande- Bretagne veut afficher des ambitions fortes en matière nucléaire et d’excellence scientifique, beaucoup se demandent si elle aura les moyens de ses ambitions.
Le nucléaire britannique a-t-il encore un avenir ?
En effet, malgré les ambitions du gouvernement britannique de devenir une réelle nation leader en matière nucléaire, la réalité a un peu du mal à suivre. Ainsi, la Grande-Bretagne possède aujourd’hui huit centrales nucléaires en fonctionnement pour une capacité totale de 9GW. En 2017, elles ont produit 70 TWh soit plus d’un cinquième de l’énergie électrique annuelle du pays et elles participent aussi aux 2/5eme de la production bas carbone d’énergie. Mais toutes sont vieillissantes et devraient fermer dans les 10 ans, à part Sizewell B. Le gouvernement a prévu de remplacer cette perte de capacité de production en lançant six grands projets. En novembre 2018, Toshiba s’est retiré du projet de Moorside ; en janvier 2019, Hitachi a fait de même pour les projets Wylfa Newydd et Oldbury. Deux ans après cette annonce, il ne reste donc plus qu’un seul des projets à avoir réellement démarré, celui d’Hinkley Point C mené par EDF avec une participation chinoise. Mais le chantier a pris un retard énorme et affiche déjà des surcoûts. La mise en service prévue pour 2017 a été retardée à 2025… Le Brexit, surtout en cas de sortie sans accord, pourrait encore retarder le chantier. Sur tous les projets nucléaires, les investisseurs semblent se retirer un à un. Ne reste pour l’instant que des chinois en lice. En parallèle, et même si ce n’est pas le discours officiel, les Anglais réfléchissent concrètement à remplacer la production d’électricité nucléaire en fin de vie par des énergies renouvelables dont le prix ne cesse de décroître.
Une médecine nucléaire au rabais ?
En matière nucléaire, le Brexit inquiète aussi les acteurs de la santé. En effet, chaque année près d’un million de patients britanniques sont soumis à des traitements utilisant des radioisotopes, notamment en cancérologie. Le Royaume-Uni en importe près de 80 %, principalement des Pays-Bas, de Belgique et de France. Mais ces isotopes radioactifs ne peuvent être stockés. Dès qu’ils sont produits ils commencent leur désintégration. Dans la filière médicale, on utilise des générateurs à Technetium 99m (99mTc), l’isotope le plus couramment utilisé. Ce sont des boîtes contenant du Molybdenum 99 (99Mo). Celui-ci se décompose en 99mTc avec une demi-vie de 6 jours. Toute la filière d’approvisionnement est sécurisée tant pour la radioprotection que pour assurer un transport rapide à travers les pays. Avec le Brexit, surtout en cas de Hard Brexit, il y a un fort risque de retard dans les livraisons. Et tout retard entraînerait une perte de doses utiles importantes. Les conséquences pourraient être dramatiques pour le système de santé : moins de patients soignés, moins d’hôpitaux livrés, une priorisation des patients et un surcoût puisque le même prix serait payé pour moins de doses. L’alternative d’un transport par les airs a été évoqué, mais il faudrait pour cela que de nombreuses personnes soient formées aux procédures de sécurité dans le fret aérien. Cela n’est pas le cas aujourd’hui. Par ailleurs, même si le gouvernement britannique assure que tout sera mis en place pour assurer les transports des produits de santé, les négociations avec Euratom qui gère les conditions de transports de ces éléments ne sont pas encore finalisées. Et le flou demeure sur de nombreux points de détails qui pourraient créer des retards ou des blocages. Reste à se tourner vers d’autres pays pour s’approvisionner, mais il s’agit alors de pays plus lointains et les coûts seront majorés là encore. La filière espère donc que des accords de dernière minute, comme ceux que l’Europe est en train de voter*, permettront d’assurer la continuité des soins dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui. Au moins pour quelques mois encore.
*Les institutions européennes discutent en ce moment de plusieurs textes permettant d’assurer une connectivité basique pour les transports aériens, maritimes et terrestres en cas de Brexit sans accord.
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