Choisi par les industriels pour remplacer le bisphénol A dans certains produits en plastique depuis 2012, le bisphénol S aujourd’hui inquiète. Ce composé chimique est notamment utilisé dans les revêtements intérieurs des canettes et boîtes de conserve, dans les tickets de caisse, les bouteilles d’eau, ou encore les récipients pour micro-ondes. Selon une étude menée par des chercheurs de l’École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT) et du laboratoire Toxalim (ENVT, INRA, Toulouse INP Purpan, UT3 Paul Sabatier) et publiée dans la revue Environmental Health Perspectives, la persistance du BPS dans l’organisme serait plus grande que celle du BPA.
Le bisphénol S testé et analysé sur les cochons
Les résultats des travaux indiquent donc que la quantité de bisphénol S qui passe dans la circulation sanguine est environ 100 fois supérieure à celle du bisphénol A. Ainsi, 57% du BPS ingéré passe dans le sang, contre 0,5% pour le bisphénol A. Les analyses ont été réalisées sur des porcelets car les fonctions gastro-intestinales de ces animaux ressemblent fortement à celles des humains. « À cause des propriétés œstrogéno-mimétiques du BPS comparables à celles du BPA, c’est-à-dire en mimant les effets des œstrogènes, le remplacement du BPA par le BPS conduit ainsi à multiplier par 250 les concentrations dans le sang d’une substance hormonalement active » explique Véronique Gayrard, professeure à l’ENVT.
Pour les besoins de l’étude, les animaux se sont vus administrer du bisphénol S par injection ou par voie orale. Dans le second cas, ils ont pu recevoir jusqu’à 5 grammes de BPS par kilo. Les résultats sont alarmants. L’intégralité du BPS est absorbé par l’organisme contre 77% pour le BPA. 41% du bisphénol S est excrété après un passage par le foie et les intestins contre 50% pour le bisphénol A. Enfin, le BPS met 3,5 fois plus de temps que le BPA à ne plus être détectable dans le sang. Notons néanmoins que cette dose est très largement supérieure à ce que permet actuellement la réglementation en vigueur pour les objets en plastique. Normalement, le taux d’absorption maximal par les aliments doit être de 0,05 mg par kilo.
Des perturbations endocriniennes toxiques pour la santé
En tant que composé hormonalement actif, le bisphénol S est un perturbateur endocrinien, qui pourrait avoir des effets importants sur la santé. Des études canadiennes et américaines menées entre 2013 et 2017 ont démontré que le BPS stimule les cellules cancéreuses, notamment dans le cas du cancer du sein, qu’il rendrait plus agressif. Et des chercheurs de l’Université du Texas ont prouvé que le bisphénol S active les récepteurs aux œstrogènes des membranes plasmiques. De fait, l’hypothèse de l’innocuité du BPS semble peu probable. Une autre étude américaine a démontré quant à elle que la bisphénol S avait des effets néfastes sur les capacités reproductives des souris. Chez les femelles, le BPS favorise le développement d’ovocytes chromosomiquement anormaux.
D’autres scientifiques ont démontré que le BPS représente aussi des risques pour l’homme. Chez les enfants, le bisphénol S favoriserait les risques d’obésité. Une étude réalisée par la faculté de médecine de l’Université de New-York (NYU School of Medicine) sur 1831 enfants âgés de 6 à 19 ans met en avant une corrélation entre exposition au bisphénol S et obésité. « Cette recherche est importante parce que l’exposition à ces produits chimiques est très courante. L’utilisation de bisphénol S est en augmentation parce que les fabricants remplacent le BPA par ces éléments, ce qui contribue au risque d’exposition. Remplacer le bisphénol A par des éléments similaires n’atténue en rien les méfaits d’une exposition aux produits chimiques sur notre santé » avertit Melanie Jacobson, auteure de l’étude.
Des tests sur la dangerosité du bisphénol S à venir en Europe
Face à ces découvertes pessimistes, Véronique Gayrard tient tout de même à rappeler ce que les analyses des chercheurs toulousains a permis de mettre en évidence. « Nous évaluons l’exposition à ces produits, le devenir de ces substances dans l’alimentation, mais pas sa dangerosité sur la santé. Mais bien que les données toxicologiques soient encore insuffisantes pour évaluer le danger associé, ces résultats pourraient permettre d’éviter une substitution regrettable » explique-t-elle. De plus, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) rappelle qu’aujourd’hui il n’est « pas possible de conduire une évaluation des risques sanitaires liés à une utilisation de ces composés dans des produits de consommation, ce qui doit inciter à la plus grande prudence en matière de substitution par ces composés ».
Mais la réponse à ces interrogations pourrait arriver dans les prochaines années. En janvier 2019 a été lancé un projet européen coordonné par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) nommé OBERON. L’objectif de ce programme est de développer les tests afin d’identifier le plus fidèlement possible les perturbateurs endocriniens dans les bisphénols. Ceci est d’autant plus crucial que les dangers liés au bisphénol S semblent se retrouver également dans le bisphénol F. « Ces tests sont notamment axés sur les effets de ces potentiels perturbateurs endocriniens sur le système métabolique et permettent de préparer la validation des tests plus prometteurs, à l’échelle européenne » énonce Véronique Gayrard.
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