Interview

Le béton : un matériau technologique faisant l’objet d’une intense R&D

Posté le 22 novembre 2021
par Nicolas LOUIS
dans Chimie et Biotech

La recherche sur de nouveaux matériaux de construction se concentre beaucoup sur de nouvelles approches dans la formulation des bétons. Ceux-ci restent des matériaux modernes et innovants, comme le décrit Jean-Michel Mechling, enseignant-chercheur à l'Institut Jean Lamour.
Jean-Michel Mechling, maître de conférences à l’Université de Lorraine et chef de l’équipe Matériaux pour le génie civil au sein de l’Institut Jean Lamour. Crédit photo : Jean-Michel Mechling

Jean-Michel Mechling est maître de conférences à l’Université de Lorraine et chef de l’équipe Matériaux pour le génie civil au sein de l’Institut Jean Lamour (une unité mixte de recherche du CNRS et de l’Université de Lorraine). Il nous parle des principaux matériaux innovants développés et utilisés dans la construction, et notamment du béton qui reste omniprésent dans ce secteur. Ce matériau fait en effet l’objet d’une intense recherche et développement et se décline dans différentes formulations high-tech.

Techniques de l’Ingénieur : Sur quels types de matériaux de construction innovants, la recherche travaille-t-elle en ce moment ?

Jean-Michel Mechling : Avec leur couleur grise, tous les bétons semblent identiques alors qu’au contraire, ce sont des matériaux modernes et technologiques. La recherche est toujours très active dans ce domaine. Par exemple, dans notre laboratoire, nous démarrons un projet sur un béton autoréparant, capable de reboucher lui-même les fissures qui apparaissent au cours du temps. Ce béton devient en quelque sorte vivant.

Nous travaillons aussi sur des fibres en carbone pour renforcer des poutres en béton qui vieillissent mal et qui viennent se coller ou se fixer à la périphérie de la structure. Cette réparation coûte cher, mais moins qu’une démolition de l’ouvrage. Il existe aussi déjà sur le marché des bétons appelés BFUP (Bétons fibrés ultra performants) très résistants. Ils peuvent servir à réparer des ouvrages, mais aussi à en construire d’autres comme des passerelles dont l’épaisseur ne dépasse pas quelques centimètres.

Depuis quelques années, sont apparus sur le marché des bétons translucides capables de laisser passer la lumière grâce par exemple à l’intégration de fibres optiques dans la matrice du béton.

D’autres matériaux sont-ils également étudiés ?

Dans la construction, on parle en ce moment beaucoup des géopolymères. Il s’agit de liants qui durcissent à la température ambiante, à l’image du ciment. Ils peuvent être constitués de silicates d’alumine telles les argiles calcinées qui sont activées à l’aide de produits alcalins comme de la soude, dans le but de fabriquer un composite. Comparés au ciment, ces géopolymères ont une empreinte carbone plus faible et les ressources en argile ou en certains co-produits industriels sont relativement importantes.

La baisse des émissions de CO2 est-elle le principal axe dans la recherche de matériaux innovants ?

Oui car le béton, très utilisé dans la construction, contient une faible quantité de ciment (environ 10 % en masse), mais celle-ci est responsable de 7 à 8 % des émissions de CO2 dans le monde. La recherche se mobilise beaucoup pour limiter cet impact environnemental qui est lié à la présence de clinker dit Portland dans le ciment. Il s’agit d’un composé fabriqué à partir de la cuisson du calcaire et de l’argile à 1 450 degrés et qui émet beaucoup de CO2 et consomme beaucoup d’énergie. Ce composé nécessite en plus d’être broyé, une étape également très énergivore, et sur laquelle de nombreux progrès technologiques sont en cours.

Quels sont les leviers pour réduire cette empreinte carbone ?

De nouveaux ciments apparaissent, comme les ciments sulfo-alumineux, fabriqués à moins haute température et qui émettent moins de CO2 car la chimie est différente comparée au ciment Portland. À présent, la plupart des ciments sont composés, c’est-à-dire que le clinker est mélangé à d’autres composants, aux propriétés pouzzolaniques. Ce sont des matières réactives chimiquement, mais qui émettent nettement moins de CO2 que la fabrication du clinker. Depuis des décennies, on utilise par exemple un coproduit de l’industrie de la sidérurgie appelé le laitier et qui permet de limiter l’utilisation du clinker. Sauf qu’en Europe, les quantités de laitier diminuent ; les cimentiers sont donc à la recherche de nouvelles matières de substitutions.

La recherche se mobilise-t-elle pour d’autres raisons ?

Oui car les fabricants de bétons sont aussi confrontés à la diminution des ressources en sable au niveau mondial. Il est donc nécessaire de trouver des matériaux alternatifs à la place des granulats naturels. Un important projet national, Recybeton, a été conduit ces dernières années par de nombreux laboratoires français à propos de la fabrication du béton à partir de béton recyclé. Les résultats ont montré la faisabilité et la durabilité des bétons à base de granulats de béton recyclé. Ce type de recyclage, encore assez confidentiel en France, est plus avancé dans certains pays limitrophes comme la Suisse.

Dans notre laboratoire, nous travaillons aussi sur le recyclage de certains sables usagés, comme ceux issus de fonderies de pièces qui sont coulées dans du sable avec du métal en fusion. Ce sable est déjà réutilisé en partie pour faire des bétons, mais nous aimerions utiliser des sables contenant plus de polluants. La difficulté est alors d’inerter ces polluants présents à l’intérieur, notamment des métaux. Différents essais sont menés avec certains types de ciment, qui ont la capacité à apporter plus de stabilité à ces métaux, comme les ciments alumineux.


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