La crise sanitaire interroge les chercheurs sur les liens entre épidémies, chute de la biodiversité et hausse des animaux d’élevage. Une nouvelle étude explore les liens spatiaux et temporels entre ces différents facteurs.
Serge Morand est chercheur à l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier (CNRS/Université de Montpellier/IRD/EPHE) et au laboratoire Astre du Cirad. Écologue spécialiste de la faune sauvage et de l’émergence des maladies infectieuses. Il publie une nouvelle étude dans la revue Biological Conservation. Entretien.
Techniques de l’Ingénieur : Quel est le rôle de l’élevage et de la baisse de la biodiversité dans l’émergence de maladies infectieuses ?
Serge Morand : Ces dernières décennies, on observe une augmentation des maladies infectieuses et d’épidémies, en parallèle d’une chute de la biodiversité et d’une hausse importante de la production d’animaux domestiques. J’ai voulu comprendre s’il y avait un lien entre ces différents phénomènes. Mon étude montre que la croissance mondiale d’élevage de bétail menace la biodiversité et augmente les risques sanitaires pour les humains et les animaux domestiques.
L’étude considère tous les types d’épidémies, explore les corrélations, mais n’explique pas les mécanismes. Les animaux domestiques peuvent être un relais : ces animaux sont réservoirs de nombreux virus et de bactéries pour les humains. On pense aux grippes porcines ou aviaires. En même temps, ils constituent un pont épidémiologique avec les animaux sauvages. Ce lien peut se faire par l’extension de l’empreinte écologique du bétail, notamment par la déforestation, pour produire des protéines animales, ou par la simplification des écosystèmes.
Quels sont les liens spatiaux et temporels mis en évidence ?
Sur l’ensemble des données spatiales par pays, l’augmentation du nombre d’espèces en danger, proportionnellement aux espèces connues dans les pays, est associée à une augmentation du nombre d’épidémies pour les humains. On retrouve cet effet lié à la perte de biodiversité sur les épidémies notifiées, au moins pour les 80 dernières années.
En revanche, lorsque l’on regarde la dynamique temporelle, le facteur prédominant est l’augmentation du bétail. L’augmentation du bétail impacte directement le nombre d’espèces de la faune sauvage mises en danger, ainsi que la santé humaine et la santé animale. Tout se passe comme si le véritable problème pour notre santé et la santé des écosystèmes est l’augmentation considérable du bétail. On voit très bien que le passage d’un milliard de têtes de bétail à presque 1,5 milliard entre les années 1960 et 2010 est très lié à ces phénomènes. C’est le facteur essentiel.
Plus précisément, quels liens observez-vous entre espèces en danger et épidémies humaines ?
La hausse de la perte de biodiversité était corrélée à une augmentation des épidémies, mais on a atteint un pic en 2009-2012. Depuis, le nombre d’espèces en danger contribue de moins en moins aux nouvelles épidémies humaines. Tout se passe comme si le risque épidémique est désormais en priorité à attribuer aux animaux domestiques. C’est peut-être le dernier soubresaut des épidémies provenant de la faune sauvage : la biodiversité commence à être tellement en danger et à disparaître qu’elle va finalement être de moins en moins à l’origine des épidémies. Toutefois, l’augmentation du nombre d’espèces menacées augmente le nombre de maladies chez les animaux, sans atteindre de pic. Cela renforce le rôle de pont épidémiologique de l’animal domestique. C’est lui qui sert d’amplificateur pour les humains ensuite.
Que faire pour réduire les risques épidémiologiques ?
Soit on se prépare au pire, soit on reconsidère sérieusement la place de l’animal domestique sur la planète. Le poids des animaux domestiques est supérieur au poids des humains et de la faune sauvage. Il ne faut pas forcément partir vers le véganisme mais réduire la part des protéines animales dans la consommation. Il est vraiment essentiel de revégétaliser notre nourriture. C’est bon pour notre santé et bon pour les écosystèmes, la biodiversité.
En parallèle de l’augmentation des animaux domestiques, nous avons une perte totale de la diversité des races élevées. Certaines sont en extinction. Finalement, l’étude dénonce le modèle de l’industrialisation de la ferme et de l’homogénéisation des races industrielles qui au final nous mettent en danger.
Vous utilisez de nombreuses données, pouvez-vous nous en dire plus sur leur origine ?
J’ai mené un travail avec les bases de données mondiales. Cette étude est corrélative, basée sur les meilleures données disponibles. J’ai utilisé la base de données GIDEON consacrée aux maladies infectieuses humaines dans chaque pays. L’extraction sur la période 1960-2019 contient 16 994 épidémies pour 252 maladies infectieuses. La deuxième base de données, WAHIS, tenue par l’Organisation mondiale de la santé animale, porte sur 180 maladies infectieuses qui touchent les animaux. Les données portent sur la période 2006-2019. La troisième base de données est celle de la FAO, FAOSTAT, qui fournit l’évolution des têtes de bétail depuis 1961. Enfin, j’ai utilisé les bases de données de l’UICN qui permettent d’extraire le nombre d’espèces décrites par pays – leur richesse et le nombre d’espèces en danger. À partir de là, j’ai exploré les liens entre augmentation des animaux domestiques, la baisse de la biodiversité, ainsi que l’augmentation des maladies infectieuses chez les humains et chez les animaux.
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