C’est le message le plus stratégique et le plus structurant pour le secteur, qu’a voulu faire passer le président de l’ASN. Il faut en effet « mobiliser l’ensemble du secteur nucléaire autour de la perte de compétences ». Non pas une perte de compétence liée à l’incapacité des ingénieurs et des designers à concevoir ou à exploiter des usines ou des réacteurs, mais des « difficultés industrielles » à faire réaliser des travaux basiques tels que les soudures, le génie civil, les interventions électro-mécaniques ou même des opérations de contrôles non-destructifs (sans prélèvement sur les équipements). Le président de l’ASN signale ainsi que les difficultés rencontrées lors de la construction du réacteur EPR à Flamanville-3 ou même lors de grands travaux majeurs, tels que le programme Grand Carenage d’EDF qui vise à améliorer les réacteurs du parc nucléaire pour leur permettre de dépasser les 40 ans de durée de vie, sont concernés par cette perte de compétences de base.
Lors de la séance de questions/réponses du 29 janvier 2019 à l’issue de la conférence de presse de l’ASN, son président a pris l’exemple de l’affaire des soudures sur le circuit principal de transfert de vapeur vers les turbines sur l’EPR de Flamanville 3 en construction. Il signale en effet que les contrôles non-destructifs réalisés sur les huit soudures, traversant l’enceinte de confinement, n’ont pas détecté la non-conformité aux exigences de haute qualité (dites d’exclusion de rupture) que s’est imposé l’opérateur EDF. Notamment, ces contrôles n’ont pas permis de détecter que l’une des soudure, située entre les deux enveloppes de béton composant l’enceinte de confinement (donc difficiles d’accès), présentait un défaut. Ce qui constitue, pour le président de l’ASN, ancien élève de l’Institut de soudure, la preuve d’une perte de compétence sérieuse qui mérite qu’on s’en préoccupe.
En ce qui concerne la résolution de ces « écarts » sur les soudures, il a ajouté que le groupe d’experts ad hoc sur les équipements sous pression auprès de l’ASN (constitué d’experts de l’industrie, du gouvernement, mais aussi d’ONG) serait consulté d’ici avril 2019 et que l’ASN rendrait sa décision finale en mai sur le programme proposé par EDF pour permettre la mise sous pression des équipements.
Cette perte de compétences a suscité un doute dans l’opinion publique sur la capacité du secteur à réaliser de nouvelles constructions et des projets de modernisation majeurs. Pour Doroszczuk, le secteur devait remédier à cette situation en améliorant la formation de la main-d’œuvre qualifiée, se félicitant sur ce point de la création en juin 2018 du groupe français de l’énergie nucléaire, ou GIFEN, qui commence à répondre à cette question.
Deux autres messages importants ont été délivrés par Doroszczuk. D’abord, la nécessaire anticipation dans le secteur et la cohérence de la filière. Il estime que l’ASN doit stimuler la cohérence du cycle du combustible, dans le cadre de la préparation du nouveau plan national de traitement des déchets et des matières nucléaires, ou PNGMDR, qui sera débattu cette année. Mais qui doit aussi être cohérent avec la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui vient d’être présentée le 25 janvier et ses implications pour le cycle nucléaire. Par exemple, a-t-il insisté, l’utilisation de MOX (mélange d’oxydes de plutonium et d’uranium) dans le parc de 1 300 MW prendrait au moins dix ans, et cela doit donc être anticipé. Ensuite, il a insisté sur la nécessité pour les opérateurs de maintenir des marges de sécurité, dans le contexte de vieillissement des installations, mais aussi pour les constructions neuves, ajoutant que l’ASN serait attentif à ce sujet.
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