Le 19 juin 2019, Sherpa, ainsi que les associations Notre Affaire à Tous, Les Eco Maires, ZEA et 13 collectivités territoriales mettaient en demeure Total de prendre les mesures nécessaires pour prévenir les risques majeurs liés au changement climatique. Depuis cette date, la Région Centre Val de Loire et la Fédération France Nature Environnement (FNE) ont rejoint le collectif.
Total n’a pas donné suite, estimant déjà remplir ses obligations. Le 28 janvier dernier, ce collectif inédit a donc assigné en justice le groupe Total devant le tribunal judiciaire de Nanterre. Au sein de Sherpa, Lucie Chatelain est chargée de plaidoyer du pôle « globalisation et droits humains ». Elle travaille sur ce dossier et nous invite à comprendre la portée des actions à l’encontre des entreprises.
Techniques de l’ingénieur : Pouvez-vous nous expliquer la particularité de l’action en cours contre Total ?
Lucie Chatelain : C’est le premier contentieux climatique contre une entreprise en France. La particularité de cette action tient tout d’abord au fait qu’elle est portée par cinq associations, dont Sherpa, et quatorze collectivités territoriales.
Surtout, cette action s’appuie sur un double fondement juridique inédit en matière de lutte contre le changement climatique. Nous demandons à Total de se mettre en conformité avec la loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères, qui l’oblige à prendre des mesures d’identification des risques et de prévention des atteintes aux droits de l’homme et à l’environnement causées par ses activités. Nous lui demandons également de prendre les mesures nécessaires pour prévenir le préjudice écologique qui dérive de sa contribution au changement climatique, en s’appuyant sur les dispositions issues de la loi pour la reconquête de la biodiversité de 2016. C’est la première action en France contre une entreprise pour l’obliger à prendre des actions générales pour lutter contre le changement climatique.
Contrairement à une plainte qui relève du droit pénal, il s’agit d’une procédure civile qui oppose, d’un côté, les associations et les collectivités et, de l’autre, Total. Nous demandons au tribunal de prononcer une injonction, c’est-à-dire d’ordonner à Total de prendre certaines mesures et de les mettre en œuvre de façon effective. Cette assignation fait suite à la mise en demeure envoyée en juin dernier. La fermeture des tribunaux en raison de la crise du Covid-19 va repousser les premières audiences de procédures comme dans l’ensemble de nos contentieux en cours.
Quel est l’intérêt des collectivités territoriales à assigner Total en justice ?
La loi sur le devoir de vigilance permet à toute personne intéressée, au sens juridique, de demander à une entreprise qu’elle prenne des mesures nécessaires pour prévenir des atteintes à l’environnement ou aux droits des hommes causées par ses activités.
Nous considérons que ces différentes collectivités territoriales sont directement intéressées, car elles doivent prendre des mesures d’adaptation et de prévention aux changements climatiques. Dans une certaine mesure, elles sont elles-mêmes directement affectées par les changements climatiques qui ont un impact sur leur budget. C’est en tant que personnes concernées par le changement climatique qu’elles demandent à Total de prendre des mesures.
En absence de condamnation judiciaire, quelles avancées attendre ?
Toutes les actions de Sherpa démontrent les limites du droit civil et pénal actuel à l’heure de faire condamner des entreprises françaises pour des atteintes aux droits humains ou à l’environnement commises à l’étranger. Malgré tout, nous avons par exemple obtenu les mises en examen de Samsung et Lafarge, deux premières historiques.
Dans nos différents dossiers d’atteintes aux droits de l’homme et à l’environnement dans la chaîne de valeur, nous ne sommes pas encore arrivés au stade du jugement avec condamnation de la société. Cela ne veut pas dire que cela ne produit pas des changements au niveau législatif. C’est par exemple le cas des avancées obtenues grâce à la loi sur le devoir de vigilance. Cela crée également une pression médiatique qui contraint les entreprises à changer leurs pratiques, même avant une condamnation. Par exemple, l’année dernière, Vinci a mené une opération de communication sur le chantier au Quatar pour montrer que les conditions s’étaient améliorées.
Propos recueillis par Matthieu Combe
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