Le volet santé du plan d’investissements France 2030, baptisé Innovation Santé 2030, prévoit le lancement d’un cluster dédié à la lutte contre le cancer, le Paris Saclay cancer cluster. Ce cluster, piloté par l’AIS – Agence de l’Innovation en Santé, lancée en 2022 – a pour objectif de catalyser le développement d’un véritable écosystème d’innovation à grande échelle en rassemblant les acteurs clés de l’innovation oncologique au sein d’un site unique situé à Villejuif.
En parallèle, la stratégie décennale de lutte contre le cancer, lancée en 2021, est mise en application au niveau régional par les ARS – Agences Régionales de Santé – autour de quatre axes forts : l’innovation, la prévention, la qualité de vie et les cancers à mauvais pronostic.
La mise en œuvre par les ARS de cette stratégie sur le terrain doit permettre de mettre en place des actions contextualisées pour améliorer les différents paramètres de la lutte contre le cancer : dépistage, traitement, suivi… pour, in fine, disposer d’un système de santé plus performant dans la lutte contre le cancer.
Juliette Daniel est médecin de santé publique, conseillère médicale, et travaille également à la Direction de l’appui à la transformation et à l’accompagnement (DATA) au sein de l’agence régionale de santé Pays de Loire. Elle a expliqué aux Techniques de l’Ingénieur les spécificités de la stratégie décennale de lutte contre le cancer dans la région Pays de Loire, ainsi que l’articulation de cette stratégie entre les différents acteurs locaux de la santé. Dans le but, bien sûr, d’améliorer les différents aspects que recouvre la lutte contre le cancer.
Techniques de l’Ingénieur : Quels sont les axes forts de la stratégie décennale de lutte contre le cancer ?
Juliette Daniel : En tout premier lieu, ce qui la caractérise, c’est sa durée, dix ans. Cela permet de se projeter et de mener des actions sur un temps plus long. Au-delà, cette stratégie a été pensée par tout un groupe d’experts, de médecins de santé publique, de chercheurs, de cancérologues (…). Elle a été présentée en 2021, quelques mois après le début de la crise du Covid.
Cette stratégie est établie autour de quatre axes forts, dont le principal, en termes de champ d’action, est la prévention, de manière globale. Cela se traduit par des actions aussi bien au niveau de la prévention primaire, secondaire, l’analyse des facteurs de risques – principalement alcool, tabac et environnement -, le dépistage organisé pour les cancers du côlon, du sein, et bientôt du poumon.
Le second axe de cette stratégie émane d’une volonté forte des usagers des ligues, des associations de patients, d’améliorer la qualité de vie face au cancer. Cela couvre par exemple le champ de la prise en charge des séquelles des patients malades.
Les deux derniers axes sont le meilleur traitement des cancers à très mauvais pronostic, et l’innovation au sens large face au cancer.
Comment s’articule cette politique au niveau de la région Pays de Loire ?
Au niveau régional, chaque ARS développe, dans la cadre fixé par l’Institut National du Cancer, l’INCA, une stratégie autour des quatres axes que nous venons d’évoquer, en fonction des paramètres spécifiques de la région : les facteurs de risque par exemple, varient beaucoup d’une région à l’autre et font l’objet d’une attention particulière. Ces facteurs de risque sont mis en évidence à travers les données fournies par l’Observatoire Régional de Santé et Santé publique France. Dans la région Pays de Loire, il y a par exemple un facteur de risque lié à l’alcool important. De même qu’on observe plus de mélanomes en Vendée que sur d’autres départements. Nous adaptons donc nos actions au contexte régional, et nous adaptons aussi le poids que nous voulons donner à chaque axe. Ces constatations nous conduisent par exemple à mettre en place des équipes pour proposer des services d’addictologie dans la région. Pour les cancers de la peau résultant des mélanomes, nous espérons pouvoir rapidement mieux les dépister pour les traiter le plus tôt possible, ce qui améliore considérablement les chances de guérison complète.
Comment les actions sont-elles coordonnées au niveau régional ?
Au sein de la région, il y a un comité de pilotage, qui comprend les grands services de cancérologie et le registre du cancer, le réseau de cancérologie, les structures de dépistage, l’observatoire régional de la santé… Il faut coordonner tout le monde pour impulser, collectivement, les actions de notre feuille de route. Au-delà de la région, une coordination nationale est en place et se réunit trois à quatre fois par an, sous la houlette de Thierry Breton, le directeur de l’INCA.
Ce qui caractérise aussi ce plan décennal de lutte contre le cancer est que les acteurs concernés sont habitués à coopérer, ils se connaissent bien. C’est le quatrième plan de ce type et les acteurs sont stables, cela permet de mener des actions en profondeur. C’est d’ailleurs une caractéristique des équipes qui évoluent dans le domaine de la cancérologie d’être plus soudées et plus pérennes dans le temps. C’est une observation qui ressort souvent, et qui permet aux acteurs d’être plus performants dans la conduite de ce type de projet, qui fait appel à de nombreuses entités sur le territoire de la région. Aussi, la cancérologie est un domaine d’activité très réglementé, donc le nombre d’acteurs est limité, cela aussi permet de mettre en place un fonctionnement plus limpide et plus clair entre les différentes entités.
La population est-elle réceptive à ces stratégies, par exemple en ce qui concerne le dépistage ?
Une caractéristique qui ressort, notamment en Bretagne et dans les Pays de la Loire, et qui a pu être observée pendant la crise sanitaire, est que les populations habitants ces territoires adhèrent plus facilement aux politiques publiques de santé que sur d’autres territoires. Par exemple, la campagne de vaccination contre le Covid dans la région Pays de Loire s’est très bien passée. Cela se traduit, pour ce qui est de la lutte contre le cancer, par un taux de dépistage plus élevé que la moyenne nationale en région Pays de Loire. C’est un élément important pour améliorer les résultats de lutte contre le cancer, sachant que le dépistage précoce est vital pour améliorer les pronostics de guérison.
Quelles autres actions d’envergures ont été entreprises en région Pays de Loire ?
Nous avons mis l’accent sur ce qu’on appelle le parcours post-cancer. Toutes les régions mettent en place des actions autour de la qualité de vie après le cancer, mais c’est un aspect du parcours santé lié au cancer qui nous paraît fondamental : soutien psychologique, esthétique, soutien également par une activité physique adaptée… nous avons mis en place des appels à projets dans ce sens pour inciter les patients à prendre soin d’eux dans cette phase du parcours santé.
Sur un autre plan, une autre illustration des spécificités régionales au niveau de la lutte contre le cancer est liée à l’histoire propre des régions. En Pays de Loire, certains épisodes, comme celui des cancers à Sainte-Pazanne ou à la CARENE de Saint-Nazaire ont mis l’accent sur certains facteurs de risque et des situations où certaines populations sont en situation d’exposition à certains types de cancers. Dans le cas de la CARENE de Saint-Nazaire, on a une surexposition aux cancers des voies aérodigestives supérieures (gorge, œsophage…) : il s’agit donc de mettre en place des actions pour dépister le plus tôt possible ces cancers, qui sont plus fréquents sur certains territoires.
On constate aujourd’hui l’importance de la collecte de données au niveau local pour établir des stratégies adaptées. Comment se passe cette collecte en ce qui concerne la lutte contre le cancer ?
Dans notre région, nous avons un registre des cancers. Il concerne la Loire Atlantique et la Vendée et regroupe une dizaine de personnes, qui collectent toutes les données sur toutes les personnes atteintes d’un cancer. Il y a treize centres de ce type en France, et les données qu’ils traitent nous permettent d’obtenir les informations relatives à l’évolution d’un certain type de cancer sur la région, ou sur tout le territoire. Ces informations sont cruciales dans le cas de surmortalité sur un territoire, comme pour l’exemple Saint-Nazaire que nous évoquions. Dans ce cas, nous avons pu établir que la moitié des malades avaient été au chômage assez tôt, et qu’ils n’avaient donc pas été suivis par la médecine du travail sur le long terme. Ils avaient donc moins de possibilité d’être dépisté de manière précoce.
Enfin, pouvez-vous nous présenter le dernier axe de la stratégie de lutte contre le cancer, et qui est centré sur l’innovation ?
L’axe innovation veut impulser des actions concrètes notamment pour tout ce qui concerne les cancers de l’enfant, qui sont en général des cancers à mauvais pronostic pour la plupart. Il faut faire des dépistages et des prises en charge plus précoces, des essais cliniques. Nous voulons également être en mesure de suivre les enfants ayant été atteints de cancer quand ils étaient jeunes à l’âge adulte, pour établir le risque pour eux de développer de nouveaux cancers, ou d’autres pathologies associées.
Aussi, sur l’aspect innovation, le développement de la lecture de scanners à distance par exemple, doit permettre de rééquilibrer les inégalités existantes sur notre territoire en termes d’accès aux centres de radiologie.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
Cet article se trouve dans le dossier :
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