La Chine préparait une version numérique de son yuan. Présenté en 2018, ce projet de « Digital Central Electronic Payment » (DCEP) serait l’un des maillons favorisant le plan de relance (131,4 milliards d’euros) de son économie qui devrait chuter cette année pour la première fois en 40 ans en raison de la pandémie de coronavirus.
« Le fond du sujet est la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, car c’est la suprématie du dollar qui est en jeu. Elle peut être remise en cause d’ici cinq à dix ans par des monnaies digitales surtout si elles sont émises par des banques centrales autres que la US Federal Reserve », estime Maître Hubert de Vauplane. Cet avocat au barreau de Paris co-dirige l’activité FinTech au sein du cabinet Kramer Levin Naftalis & Frankel LLP.
Comme les Chinois, les Américains réfléchissent au lancement d’un dollar numérique. Un groupe d’experts privés s’est d’ailleurs réuni en mars dernier, autour de la Digital Dollar Foundation pour étudier ses applications potentielles.
L’Europe n’est pas en reste. Depuis l’annonce du projet de cryptomonnaie Libra de Facebook en juin 2019, les travaux des banques centrales sur la création d’une monnaie digitale se sont accélérés. Dans une étude rendue publique en janvier dernier, la Banque des règlements internationaux (BRI) indique que 80 % des banques centrales étudient la création d’une monnaie digitale d’une manière ou d’une autre. C’est 10 points de plus qu’un an auparavant.
Un futur euro digital
C’est le cas de la Banque de France. Fin 2019, son gouverneur avait annoncé le lancement d’expérimentations et d’un appel à projets concernant la création d’une monnaie digitale au premier trimestre 2020. L’objectif est de tester d’abord une monnaie numérique interbancaire qui puisse servir de laboratoire en vue d’un éventuel futur « euro digital ».
Même des entreprises privées y réfléchissent. Le cas de Facebook est le plus emblématique. VISA a déposé en novembre 2019 une demande de brevet auprès de l’Office américain des brevets et des marques (USTPO) pour une « monnaie fiduciaire numérique » (« Digital fiat currency »). Ce brevet s’applique au dollar numérique, mais aussi aux autres monnaies numériques des banques centrales telles que la livre, le yen et l’euro.
Pourquoi cet intérêt pour la monnaie numérique ? « Dans un monde numérique comme celui que nous connaissons aujourd’hui, nous payons encore avec des cartes bancaires. Dans le monde de demain où l’industrie aura été digitalisée, ce ne sera plus le cas. Cette industrie vieille de 30/40 ans a fait ses preuves (notamment à propos des fraudes). Mais cette solution va devenir obsolète, car elle présente aussi des limites : trop lente, trop compliquée, trop coûteuse, pas de débits immédiats, peu d’interopérabilité. Une monnaie digitale permettrait de réduire ces coûts », précise Maître Hubert de Vauplane.
Elle pourrait donc être un sérieux concurrent du dollar (sans le remplacer définitivement) dans les transactions internationales (ce qu’on appelle de la monnaie digitale de gros, à l’opposé de la monnaie digitale de détail pour les petits achats).
La guerre des normes
« Pour VISA, c’est l’occasion de ne pas trop perdre la main et de ne pas se laisser déborder par une nouvelle technologie, mais il y a de fortes chances pour que ces monnaies digitales ne passent pas par cet acteur… La hantise de toute l’industrie financière est d’être dans la situation des fabricants de calèches du XXIe siècle. Ces derniers ne sont pas devenus des fabricants d’automobiles alors qu’ils avaient toute l’infrastructure pour le devenir. Ils ont raté la révolution du moteur à explosion », rappelle Maître Hubert de Vauplane.
Des cartes vont être potentiellement rebattues. Même des géants comme Apple et Google pourraient voir leur business model remis en cause, car leurs solutions de paiement par mobile reposent sur des cartes bancaires…
Toutes ces perspectives sont encore lointaines. « Mais la bataille a lieu maintenant, car les normes techniques et les solutions sous-jacentes retenues (quel type de blockchain ou quelle autre modalité technique) vont guider la monnaie digitale de demain. Comme toujours, c’est une guerre des normes », prévient Maître Hubert de Vauplane.
Or, « la puissance d’un pays réside dans sa capacité à imposer des normes », rappelait Bernard Carayon (à cette époque, Rapporteur spécial au nom de la Commission des Finances sur le Budget du Premier ministre), lors de la conférence d‘ouverture au SSTIC (Symposium sur la sécurité des technologies de l’information et des communications) en 2004.
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