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Décryptage

L’AIE fait sa révolution énergétique

Posté le par La rédaction dans Environnement

Seriez-vous prêts à investir 8 euros et demi par mois pour économiser au final 25 euros et « sauver la planète » ?

L’Agence Internationale de l’Energie a publié le 11 juin le résumé pour décideurs du rapport Energy Technology Perspectives 2012. Pathways to a Clean Energy System  (ETP 2012).  Un panel de nouvelles technologies est prêt pour transformer le système énergétique mondial, offrant la perspective de favoriser la sécurité énergétique, de générer d’énormes retours sur investissement, ainsi que de réduire les impacts environnementaux, affirment les experts de l’Agence.

Investir 36 trillions de dollars pour économiser 100 trillions

La révolution énergétique n’ira pas sans investissements massifs, mais les bénéfices à long-terme dépassent très largement les coûts initiaux. Message-phare d’ETP 2012 : « Investir dans l’énergie propre, cela a du sens sur le plan économique ».  Un investissement de 36 000 milliards de dollars est nécessaire d’ici 2050 pour transformer en profondeur le système énergétique. C’est équivalent à 130 dollars par personne et par an affirment les experts (8 euros et demi par personne et par mois). Mais « Investir, ce n’est pas la même chose que dépenser » insistent-ils. Les 36 000 milliards investis permettront d’économiser 100 000 milliards de dollars (voir même 150 000 milliards selon les hypothèses retenues) du fait de la réduction du recours aux combustibles fossiles : charbon, pétrole et gaz naturel. Les bénéfices de ce plan sont donc colossaux : pour un euro investi, ce sont 3 euros d’économisés. Avec à la clé une baisse des émissions de CO2 compatible avec les recommandations des experts du climat.

« Quand les gouvernements vont-ils se réveiller ? »

La directrice de l’AIE, Maria van der Hoeven, a souligné qu’alors que, du fait de la crise économique  « nos efforts pour accomplir la transformation du système énergétique vers les énergies propres marquent le coup, je veux souligner l’énorme opportunité qu’il y a devant nous. » Et elle lance sans ambages un appel: « Maintenant que nous avons identifié les solutions et les nombreux bénéfices, quand les gouvernements vont-ils se réveiller et prendre conscience du danger de l’attitude contemplative, et adopter des politiques qui permettront de changer radicalement notre système énergétique ? Ne rien faire de plus, c’est dénier à nos sociétés le bien-être qu’elles méritent »

Découpler PIB et consommation d’énergie

L’intensité énergétique (énergie consommée par point de PIB) a diminué de 1,2% par an ces 40 dernières années. C’est insuffisant. En passant à 2,4% par an dans les 4 décennies à venir, alors cela conduira à une baisse de deux tiers de l’intensité énergétique d’ici 2050. Et c’est sur cette base que les experts ont construit leur scénario « D2S » (2°C) compatible avec le niveau de réduction des émissions de CO2 recommandé par le GIEC. Le découplage PIB / consommation d’énergie joue donc un rôle très important dans ce scénario. Les mesures en faveur de l’efficacité énergétique sont « presque toujours économiquement compétitives dans le long-terme, aident à réduire les émissions et contribuent à la sécurité énergétique ». L’énorme gisement que représente l’efficacité énergétique reste cependant sous-exploité, déplorent les experts. Ils invitent les gouvernements à mettre en place des mécanismes d’incitations financières qui « seront essentiels pour déverrouiller l’énorme potentiel de l’efficacité énergétique et permettent des investissements privés à grande échelle » 

L’électricité, cœur du système énergétique de demain

Les bénéfices d’une électricité à bas carbone vont au-delà du seul secteur de l’électricité, et concernent l’ensemble du système énergétique. L’électricité bas carbone a en effet le potentiel de réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’industrie, des bâtiments (chauffage) et des transports. Par exemple, dans le cadre du scénario D2S « 90% des véhicules du parc automobile mondial de 2050 seront équipées de moteurs électriques », dont l’efficacité énergétique est très supérieure à celle des moteurs thermiques : un véhicule électrique consomme 4 fois moins d’énergie pour faire un kilomètre que son équivalent thermique.

Les énergies renouvelables domineront largement le mix électrique de 2050

 « L’électricité bas carbone est au cœur du système énergétique durable ». Les experts affirment que l’intensité carbone du kWh électrique  (masse de CO2 émise par unité d’électricité générée) peut être réduite de 80% d’ici 2050 grâce aux technologies bas-carbone. Et « les énergies renouvelables joueront un rôle crucial à ce sujet ».

Alors que la production électrique va doubler d’ici 2050, la part des énergies renouvelables passera de 19% aujourd’hui à 57% en 2050 dans le scénario D2S. Il s’agit principalement de l’éolien, du solaire et de l’hydro, avec les plus forts taux de croissance pour les deux premiers.  La part des énergies renouvelables sera de plus de trois fois supérieure à celle du nucléaire. Les fossiles (avec séquestration du carbone) combleront le quart restant. Cela correspond en valeurs absolues, à un accroissement des énergies renouvelables d’un facteur 6.

L’éolien et le solaire, à eux seuls, dépasseront d’environ 50% la part du nucléaire. « Intégrer une part beaucoup plus grande d’énergies renouvelables fluctuantes est possible » affirment les experts. En 2050, la part des énergies renouvelables variables (éolien et solaire) atteindra « entre 20% et 60% du mix électrique », selon les régions du monde.  Cependant, des goulots d’étranglement, empêchant une circulation optimale de l’électricité existent aujourd’hui dans les réseaux de plusieurs pays, comme par exemple l’Allemagne, Chine, Japon. Il est donc nécessaire d’investir dans les réseaux électriques.

Les experts constatent que « les énergies renouvelables sont dès aujourd’hui compétitives dans de nombreux marchés » ajoutant qu’elles «  vont prendre une part croissance dans la production électrique dans les années à venir ». Une analyse parfaitement en phase avec celle de l’IRENA (Agence Internationale des Energies Renouvelables, indépendante de l’AIE), qui vient elle aussi de publier une série de rapports à ce sujet.

La gestion de la demande, un levier majeur de flexibilité

Des réseaux électriques plus puissants et plus intelligents permettront une optimisation de la gestion de la demande (« demand response », dans le jargon des experts).

Une meilleure utilisation des technologies de chauffage a par exemple le potentiel de réduire de 25% le pic de demande électrique lié au chauffage d’ici 2050, ce qui permet d’éviter de recourir à de coûteux moyens de gestion de pointe. Une approche qui serait particulièrement pertinente en France, pays où la demande électrique est très thermosensible.

Autre exemple, l’approche « Grid-2-Véhicule » permet la recharge intelligente des véhicules électriques quand l’électricité éolienne et solaire sont abondantes, et au contraire la fourniture d’électricité au réseau par les batteries des véhicules électriques stationnés durant les périodes de pointe (« Véhicule-2-Grid »).

« En réalité, la gestion de la demande peut techniquement délivrer toute la flexibilité nécessaire » pour assurer l’équilibre du réseau électrique estiment les experts.   Les investissements dans les réseaux intelligents sont de plus très pertinents sur le plan économique : investir 1000 milliards d’euro dans les Smart-Grids permet d’envisager un retour sur investissement de 4000 milliards euros. 

S’équipant de panneaux solaires ou de micro-éoliennes, les consommateurs, devenus producteurs décentralisés, vont pouvoir participer au lissage du système électrique à travers la modulation de la demande et le stockage de l’énergie. « Permettre et encourager les technologies et les comportements qui optimisent l’ensemble du système énergétique peut génèrer d’énormes bénéfices économiques ». Il ne s’agit pas d’un changement de comportement s’inscrivant dans une logique punitive et régressive, mais au contraire de consommer l’énergie de manière éco-intelligente, à niveau de confort égal, ceci tout en économisant de l’argent. S’équiper par exemple d’un dispositif permettant la mise en marche de sa machine à laver ou la recharge de son véhicule électrique dès que l’énergie solaire et/ou éolienne est abondante comparativement à la demande globale sur le réseau relèvera du bon sens citoyen. Cette dynamique est dès aujourd’hui en marche au Danemark.

Au final,  « le système énergétique sera plus intelligent, plus unifié, et plus intégré qu’aujourd’hui  ».

Les énergies fossiles n’auront pas totalement disparues en 2050

L’augmentation absolue de la consommation de charbon dans le monde est « la tendance la plus problématique » concernant les émissions de CO2. Mais, compte-tenu de la très forte dépendance au charbon de nombreuses régions du monde, il continuera de jouer un rôle important estiment les experts. Il sera donc essentiel d’améliorer l’efficacité énergétique des centrales à charbon dans les 10-15 ans à venir. Les marges de progrès sont importantes : travailler avec des vapeurs à plus haute température permet par exemple d’envisager 670 grammes de CO2 par kWh, c’est-à-dire 30% de mieux que la moyenne actuelle.

Le gaz naturel est qualifié  d’allié « de transition », mais qui doit être utilisé comme outil de flexibilité favorisant l’intégration de hauts niveaux d’énergies renouvelables variables.

Les technologies de capture du carbone (CCS) constituent selon les experts le seul levier permettant à de nombreux secteurs tels que ceux de la production du fer, de l’acier, ou du ciment, de réduire massivement leurs émissions. Les experts de l’AIE estiment que cela serait une erreur d’abandonner cette technologie qui est contestée par les ONG environnementales.

Rio+20 en tête

Alors que le sommet Rio + 20 s’ouvre ce mercredi, l’AIE et l’IRENA ne sont pas les seules organisations à publier d’importants rapports. L’Organisation Internationale du Travail vient par exemple d’en publier un soulignant que le passage à une « Economie Verte » concernera 1500 millions d’emplois dans le monde (énergie, agriculture, pêche, sylviculture, bâtiments, transports) et génèrera au final un solde positif de 0,5 à 2% des emplois mondiaux totaux (3000 millions d’emplois), c’est-à-dire entre 15 et 60 millions d’emplois. Il permettra aussi à des millions de travailleurs de sortir de la pauvreté.

Par Olivier Danielo

 

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