Arona Diedhiou est climatologue et physicien de l’atmosphère, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et en poste à l’Institut des Géosciences de l’Environnement (IGE) de l’Université Grenoble-Alpes. Il a été auteur principal du Rapport spécial du GIEC sur les implications d’un réchauffement de 1.5°C.
Techniques de l’ingénieur : Quelle est la part du continent africain dans le réchauffement climatique et comment s’adapte-t-il ?
Arona Diedhiou : L’Afrique n’est responsable que de 3,8 % des émissions totales de gaz à effet de serre dans le monde. Cependant, sur ces 20 dernières années, les émissions de dioxyde de carbone et de méthane, aussi faibles soient-elles par rapport aux émissions globales, ont significativement augmenté en Afrique Subsaharienne. Cela est en cohérence avec la croissance économique que connaissent la plupart des pays du continent.
Les Etats africains se sont tous engagés à contribuer à limiter la hausse des températures à 2°C. Mais localement, la hausse des températures en Afrique sub-saharienne sera bien supérieure au réchauffement global. Les nuits seront plus chaudes et les vagues de chaleur seront plus longues avec des températures plus élevées. Le continent connaît déjà plusieurs problèmes de développement multifactoriels. Le réchauffement climatique est sérieusement en train de complexifier ces problèmes et de compromettre les efforts des Etats et les économies locales.
La Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (UNECA) a noté que les secteurs de l’agriculture, l’eau, l’énergie et la préservation des écosystèmes sont considérés comme prioritaires dans la plupart des plans d’adaptation. Beaucoup de pays africains sont déjà engagés sur un modèle de croissance résilient au changement climatique, mais cette voie s’annonce difficile par manque de moyens. Il est donc urgent que les Etats respectent leur engagement de soutenir le Fonds Vert qui est le principal instrument de financement des politiques climatiques pour les pays en développement.
Comment se manifeste déjà aujourd’hui le changement climatique à l’échelle du continent ?
La majorité des modèles climatiques indiquent qu’un réchauffement de 2°C au niveau mondial se traduirait par des augmentations de température plus élevées au niveau régional en Afrique. En Afrique de l’Ouest, à 2°C, la plupart des modèles prédisent une augmentation des événements de fortes pluies dans la partie sahélienne couvrant le Niger, le Mali, le Burkina-Faso et le Tchad avec des risques d’inondations en milieu urbain. Sur la partie Ouest du Sahel, le rendement des céréales au Sénégal serait presque divisé par deux en fin de siècle sous l’effet combiné de la hausse des températures et de la baisse des pluies. Plus au Sud, le long des pays de la côte, il y aura une augmentation du risque d’inondation et dans certaines zones, il faut s’attendre à une augmentation des glissements de terrains.
En Afrique du Nord, les modèles convergent vers une baisse plus importante des précipitations à 2°C qu’à 1.5°C avec des conséquences sur la ressource en eau et sur l’agriculture. Il est aussi projeté une légère augmentation des pluies intenses et de la longueur des épisodes de sécheresses à 2°C qu’à 1.5°C.
En Afrique australe, les modèles s’accordent pour indiquer que la température augmenterait plus rapidement à 2°C (1,5 à 2,5°C) par rapport à 1,5°C (0,5 à 1,5°C). Les régions du sud-ouest, notamment la Namibie et certaines parties du Botswana, devraient connaître les plus fortes augmentations de température. La partie occidentale de l’Afrique australe devrait devenir plus sèche avec une augmentation de la fréquence des sécheresses et du nombre de vagues de chaleur vers la fin du 21e siècle. À 1,5°C, un signal robuste de réduction des précipitations est détecté sur le bassin du Limpopo et sur le bassin du Zambèze, en Zambie, ainsi que sur la région du Western Cape au Sud, tandis qu’une augmentation est prévue sur les régions centrale et occidentale d’Afrique du Sud ainsi que dans le sud de la Namibie. À 2°C, toute la région devrait faire face à une forte diminution des précipitations.
On parle beaucoup de famines et de mouvements de population en Afrique. Peut-on faire le lien avec le réchauffement ?
Si le lien entre changement climatique et menaces sur la sécurité alimentaire est observé, démontré et projeté sur plusieurs régions d’Afrique, il y a encore beaucoup d’incertitudes sur le lien entre changement climatique et migrations. En Afrique de l’Ouest par exemple, la complexité vient du fait que la mobilité ou certaines formes de migrations sont associées à des faits culturels. Cependant, des études ont montré que les migrations dues aux aléas climatiques sont de courte distance et de courte période et que les déficits de pluie et l’augmentation des températures sont les deux aléas qui ont le plus d’impact sur les migrations internes et régionales. L’essentiel des migrations concerne les zones rurales qui constituent les principales zones de départ vers des villes africaines de plus en plus vulnérables aux changements climatiques. Le lien est encore plus complexe pour ce qui est des migrations internationales.
Quel est le rôle de la communauté scientifique africaine dans l’étude du changement climatique ?
L’Afrique commence à disposer d’une bonne expertise et d’une masse critique dans le domaine. Les instances dirigeantes du GIEC ont fait un travail remarquable pour augmenter le nombre d’experts africains dans l’élaboration du prochain rapport du GIEC. Il est important d’encourager le rapprochement entre le groupe de négociateurs africains et ce groupe d’experts africains du GIEC pour mieux prendre en compte les nouveaux résultats de recherche, étayer les interventions et mieux faire entendre la voix d’une Afrique en proie au réchauffement climatique avec peu de capacité d’adaptation.
L’évaluation du changement climatique en Afrique à des échelles pertinentes pour guider les études d’impact, les politiques de développement local ou les politiques d’adaptation et d’atténuation, doit nécessairement s’appuyer sur l’expertise locale, sur une implication des scientifiques africains et des services nationaux qui connaissent les réalités du terrain. Mais au-delà d’une évaluation du changement climatique par les sciences physiques et naturelles, il s’agit surtout de proposer des solutions et des technologies acceptées par les bénéficiaires pour garantir un développement durable. Aussi, il est important qu’il y ait plus d’implication d’experts en sciences humaines et sociales dès le début du processus pour coconstruire avec la société civile africaine et les communautés des solutions et des politiques pour un développement résilient au changement climatique. Cette implication des sciences humaines et sociales est importante pour l’effectivité et l’efficacité des innovations.
Propos recueillis par Matthieu Combe
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