L’Institut National de l’Économie Circulaire (INEC) est un think tank dont la mission est de promouvoir la transition d’une économie linéaire à une économie circulaire.
Emmanuelle Ledoux en est la directrice générale.
Elle a notamment contribué à une étude démontrant la nécessité d’une meilleure gestion des ressources pour réussir la décarbonation « SNBC sous contrainte de ressources » en juin 2022[1].
Elle a aussi coécrit, avec Grégory Richa, l’ouvrage « Pivoter vers l’industrie circulaire » publié aux éditions Dunod en octobre 2022.
Techniques de l’ingénieur : Qu’est-ce qui a déclenché cette proposition d’une TVA à 5,5 % sur la réparation ?
Emmanuelle Ledoux : En Europe, la législation sur la TVA est contrainte par la directive européenne sur la TVA[2]. Jusqu’à présent, il était donc difficile de formuler des propositions au niveau national. Mais il se trouve qu’en 2022 les règles ont changé, avec l’arrivée d’une nouvelle directive[3]. Les états membres ont dorénavant la possibilité de baisser la TVA sur les opérations de réparation, pour certaines familles de produits, notamment les vêtements, les chaussures, l’électroménager et les vélos.
Nous aurions aimé aller plus loin : baisse de la TVA sur les produits écoconçus, recyclables, reconditionnés, etc. Mais pour ça, il faudra d’abord que le cadre européen change.
Notre proposition de TVA à 5,5 % sur la réparation correspond donc parfaitement avec le cadre européen, ce qui a facilité son adoption.
Ce vote était-il une surprise ?
Nous n’avons pas été surpris par le vote en lui-même, mais par son ampleur. Avec l’assemblée actuelle, la plupart des votes positifs obtiennent généralement de petites majorités. Or, dans le cas présent ce n’est pas une petite majorité : 153 voix pour et seulement 35 contre !
Néanmoins, comme la partie recette du projet de loi de finances 2025 n’a pas été votée, le texte qui est arrivé au Sénat n’a pas intégré le travail de l’assemblée. Nous avons donc un nouveau combat à mener pour que la mesure soit votée par les sénateurs.
L’adoption, à une large majorité, à l’assemblée nous donne cependant de bons espoirs, surtout que les équilibres au Sénat sont différents. Il faut voir aussi que la proposition, telle qu’on l’a construite, est un vrai sujet de soutien aux territoires. Cette TVA circulaire n’est pas sur une dynamique d’effet prix, mais une mesure efficace pour renforcer le modèle économique de la réparation.
Actuellement, comment se porte la réparation en France ?
Elle ne va pas très bien. Prenons l’exemple des cordonniers. On en comptait près de 45 000 dans les années 1950 : il en reste à peine 3 500 aujourd’hui. Beaucoup sont proches de la retraite et ont des revenus qui permettent à peine de vivre de leur métier.
Il y a donc un réel besoin de soutenir le secteur de la réparation, si on veut faire de la réparation une réelle réussite, pas juste une promesse. À quoi bon continuer à dire « il faut réparer », s’il n’y a plus de réparateurs ? Pour qu’il y en ait demain, il faut soutenir la filière, des deux côtés avec des mesures complémentaires : le bonus réparation, pour le consommateur, et la baisse de la TVA pour le réparateur.
Quel sera l’impact de cette baisse de la TVA en réparation ?
Le passage de 20 % à 5,5 % de TVA aura un impact important sur le chiffre d’affaires des réparateurs, pour un coût quasiment nul, d’après les modélisations que nous avons présentées dans le rapport remis au ministre en 2023. Pour l’État il vaut mieux 5,5 % de quelque chose que 20 % de rien du tout !
Nous sommes vraiment dans une logique qui consiste à booster l’offre de réparation ainsi que les volumes. Si le bonus réparation fonctionne, que les mesures en faveur de la réindustrialisation, de l’écoconception, de la réparabilité, bref si l’ensemble des actions politiques mises en œuvre aboutissent, cette baisse de TVA ne coûtera rien.
Comment aller plus loin pour soutenir l’économie circulaire ?
L’industrie de la circularité ne se porte pas très bien actuellement, car le modèle économique de l’économie circulaire reste encore à trouver.
Aujourd’hui, la plupart de ceux qui se lancent perdent de l’argent, ou en gagnent peu, puisqu’il n’y a pas d’incitation économique naturelle. Le prix élevé des matières recyclées par rapport aux matières vierges en est la preuve.
Il va donc falloir compenser les déséquilibres, créer le cadre réglementaire le plus favorable possible et apporter un soutien local.
Il faudra aussi investir massivement dans cette transition, le rapport Draghi est très clair sur ce point, et pas seulement au sujet de la circularité.
Il y a donc deux manières d’appréhender l’avenir. Est-ce que nous voulons préparer le terrain pour les générations futures, en investissant dans la transition ou est-ce que nous voulons simplement gérer la dette ? Car sur le moyen et le long terme, l’économie circulaire est une nécessité, tout simplement pour faire face aux pénuries de ressources et sécuriser les approvisionnements.
Cette question des ressources est donc au centre des enjeux de circularité !
Un jour, les ressources coûteront tellement cher que les questions de circularité seront une priorité. On commence déjà à le voir sur l’eau, le cuivre et les ressources stratégiques et ça va forcément s’aggraver.
Quand ça arrivera, nous devrons être prêts. On ne peut pas attendre de devoir agir sous contrainte, car cette transition prendra du temps. Il faut donc anticiper, en créant un cadre territorial, législatif et industriel qui permette cette transition.
[1] Lire le dossier que nous y avions consacré
[3] Directive (UE) 2022/542 du Conseil du 5 avril 2022, modifiant les directives 2006/112/CE et (UE) 2020/285 en ce qui concerne les taux de taxe sur la valeur ajoutée
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