En France, le débat national sur la transition énergétique concerne 60 millions de personnes. « Comment ne pas prendre en compte dans la réflexion le milliard et demi d’habitants dont le mix est composé de bougies, de charbon, de piles, de pétrole lampant, les énergies chères, polluantes, peu efficaces et dangereuses ? », s’interroge Hervé Gouyet, Président de l’ONG Electriciens sans frontières, lors d’un colloque organisé par l’ONG le 24 janvier dernier à l’Assemblée nationale.
1,5 milliards de personnes n’ont pas accès à l’électricité, principalement en Asie et Afrique. Pour bien comprendre la situation, quelques chiffres sont à rappeler. « La capacité installée de toute l’Afrique, aujourd’hui, pour un milliard d’habitant, équivaut à celle de l’Allemagne pour 82 millions d’habitants ; la consommation annuelle d’électricité du continent africain est à peine supérieure pour tout un continent à celle de la France », rappelle Delphine Batho, Ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie. De plus, les inégalités sur le territoire sont grandes. « 43 % de l’électricité qui est produite sur le continent africain l’est par le seul pays de l’Afrique du Sud », précise-t-elle.
Histoire d’accroître encore un peu plus les inégalités, le coût de production de l’électricité y est près de deux fois supérieure au coût européen, du fait du recours au thermique pétrolier et à de nombreux groupes électrogènes de substitution. Cette production est dommageable pour le développement économique du continent et l’équilibre environnemental. La baisse des coûts des énergies renouvelables en Europe pourrait être l’occasion de développer les pays en développement, notamment à travers des transferts de technologies.
L’électricité, un rôle à part
L’électricité joue un rôle à part dans le développement. C’est un facteur de progrès, car elle constitue une rupture qui change en profondeur les modes de vie. Elle touche à tous les secteurs du développement : développement économique, accès à l’eau, à l’information et à l’éducation. Elle permet également la conservation des aliments et engendre de grands progrès sanitaires.
Il suffit de très peu d’électricité pour faire la différence. En effet, il n’y a pas de proportionnalité entre la capacité d’électricité dont on dispose et le développement. « Il y a un décollage très important des implicateurs de développement dès qu’on dispose d’un petit bout d’électricité », affirme Jean-Pierre Cerdan, secrétaire général d’Electriciens sans frontières. « L’énergie constitue une condition fondamentale du développement social et économique. Sans énergie, pas de lumière dans les maisons, les centres de santé, dans les écoles », ajoute Hervé Gouyet.
Il existe plusieurs modèles de développement de l’électricité. Les schémas traditionnels qui reposent sur de grandes centrales et infrastructures ne répondent pas au problème d’accès des villages isolés africains ou asiatiques à la « fée électricité »1. Leur développement ne peut être assuré que par des énergies renouvelables décentralisées.
1La fée électricité est le titre d’un documentaire de 52 min réalisé par Pascal Signolet. Il a suivi les équipes d’Electriciens sans frontières dans un petit village isolé du nord du Laos et s’est intéressé aux changements sociaux apportés par l’électricité dans le village. C’est également le nom d’une peinture de Raoul Dufy datant de 1937.
L’électricité amène la sécurité
Sans électricité, de grands problèmes d’insécurité se font sentir. Les femmes doivent accoucher à la bougie, les viols sont monnaie courante. Le cas d’Haïti et des nombreux camps de réfugiés qui ont suivi le séisme meurtrier ont été très révélateurs. « Dès qu’on met de la lumière, il n’y a plus de viols, il n’y a plus d’assassinats », révèle Jean-Pierre Cerdan. À la place, « une vie sociale peut de nouveau s’organiser », précise-t-il. La lumière est d’autant plus importante que les camps de réfugiés peuvent s’installer dans la durée. En Haïti, au moins 300 000 personnes vivent encore dans des camps montés en janvier 2010…
Pour noircir encore le tableau, les scénarios des Nations Unies prévoient sur un accroissement continu de la population des bidonvilles d’ici 2030. « L’intégration des populations va moins vite que l’extension des bidonvilles », note Pierre Radanne, expert des politiques énergétiques de lutte face au changement climatique. Dès lors, la démographie doit être contrôlée. « L’éducation des filles et l’accès à l’électricité est la condition de la maîtrise de la démographie », affirme-t-il.
Pour avoir un accès universel à l’énergie en 2030, la Banque Mondiale estime qu’il faudrait des investissements de 48 milliards par an jusqu’en 2030. Cela ne représente que 3 % des investissements liés à l’énergie. Pourtant, aujourd’hui, tous les investissements confondus s’élèvent à 9 milliards par an…
Par Matthieu Combe, journaliste scientifique
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