Depuis 20 ans, des scientifiques du CNRS, de l’Université Paris-Saclay et du Museum national d’Histoire naturelle avec le soutien de l’Institut polaire français (IPEV) mènent un programme de collecte et d’identification de micrométéorites. Ces poussières interplanétaires provenant de comètes ou d’astéroïdes sont des particules de 30 à 200 micromètres. Elles ont traversé l’atmosphère et atteint la surface de la Terre.
Jean Duprat est cosmochimiste, chercheur CNRS/Sorbonne-Université/Muséum national d’Histoire naturelle. Ces vingt dernières années, il a mené six expéditions à proximité de la station franco-italienne Concordia (Dôme C) à 1 100 kilomètres des côtes de Terre Adélie, au cœur de l’Antarctique. Il cosigne une nouvelle étude parue dans Earth & Planetary Science Letters. Entretien.
Techniques de l’ingénieur : Pourquoi était-ce si important d’aller au cœur de l’Antarctique pour prélever les micrométéorites ?
Jean Duprat : Cela fait très longtemps que nous travaillons sur ce programme de recherche portant sur les poussières interplanétaires qui tombent sur Terre.
Les poussières qui nous intéressent sont celles qui ne sont pas détruites lors de l’entrée atmosphérique et qui ne forment donc pas des étoiles filantes. Leur taille varie entre 30 et 200 micromètres. Quand ces poussières arrivent sur le sol, elles sont qualifiées de micrométéorites. Elles tombent partout sur Terre, mais il est très difficile d’évaluer leur flux, car il faut arriver à faire deux choses : les distinguer des poussières terrestres et arriver à évaluer leur nombre par mètre carré et par an.
Nous avons fait nos collectes en Antarctique, car il s’agit de l’endroit le plus propre au monde en ce qui concerne la poussière terrestre. Et Dôme C, dans le centre de l’Antarctique, constitue un endroit encore plus isolé des poussières terrestres dans le domaine de tailles où nous travaillons, et donc idéal pour la collecte de météorites. En plus, il s’agit d’un endroit sec avec un taux d’accumulation de neige faible et très régulier, de l’ordre de 3 cm d’équivalent eau par an. En faisant fondre une quantité connue de neige, vous connaissez directement la surface d’exposition.
Comment analyse-t-on ces micrométéorites ?
Nous avons fait fondre plusieurs prélèvements de neige. À chaque fois, nous avons collecté, fondu et filtré cette neige pour en extraire toutes les particules de poussière. Ensuite, l’étape de base est de faire une image du grain à haute définition par microscopie électronique à balayage, puis un spectre en rayons X nous donne la composition globale du grain. À partir de cette image et de la composition élémentaire, nous pouvons savoir si le grain est terrestre ou extraterrestre.
Comment passe-t-on de ces analyses à une évaluation globale ?
Nous avons ensuite sélectionné toutes les fontes où nous étions sûrs d’avoir analysé la quasi-totalité des grains. Grâce à cela, nous avons obtenu des mesures indépendantes, qui donnaient des valeurs cohérentes de la masse de ces poussières par mètre carré et par an.
Pour obtenir le flux, nous comptons les particules dans un volume de neige connu. En tenant compte de leur densité, nous pouvons estimer un flux en masse de micrométéorites tombées sur Terre par mètre carré et par an. Nous avons mesuré un flux local et l’avons extrapolé à l’ensemble du globe, ce qui aboutit à une masse totale accrétée par la Terre de 5 200 tonnes par an.
Pour collecter suffisamment de micrométéorites, il a fallu réaliser un programme au long cours pendant des années. Les évaluations précédentes oscillaient entre 1 000 et 20 000 tonnes par an. Il s’agit là du principal apport de matière extraterrestre sur notre planète, loin devant celui des objets de plus grandes tailles comme les météorites, dont le flux est inférieur à une dizaine de tonnes par an.
La Terre s’alourdit donc de 5 200 tonnes par an ? Depuis quand ?
5 200 tonnes, c’est le nombre de poussières qui atteignent la surface de la Terre chaque année, et donc le nombre de micrométéorites. Mais en réalité, la Terre accrète plus de matière, de l’ordre de 15 000 tonnes par an. Car une partie des poussières est vaporisée à l’entrée de l’atmosphère. Si vous rapportez cela au poids de la Terre [près de 6 × 10^24 kg, NDLR], cela ne va pas la perturber. Mais ce n’est pas complètement négligeable si on intègre sur 4,5 milliards d’années.
Plus on remonte dans le temps, plus le système solaire était poussiéreux. Les petites poussières primitives qui étaient présentes avant la formation de notre étoile et de son cortège planétaire avaient des tailles comprises entre 50 à 100 nanomètres. Elles se sont collées les unes aux autres jusqu’à former des objets de plus en plus massifs, et jusqu’à arriver aux planètes en quelques dizaines de millions d’années.
Qu’est-ce que ces micrométéorites apportent ou ont apporté à la Terre ?
Nous avons mesuré un flux contemporain qui n’a, aujourd’hui, qu’un impact limité sur l’évolution de notre planète. Mais dans l’enfance de la Terre, ce n’était pas la même histoire. Certaines micrométéorites sont très riches en carbone : ce sont les « micrométéorites ultra-carbonées ». Elles ont apporté de la matière organique abiotique avec de nombreuses molécules carbonées complexes. Il s’agit d’une source de molécules pré-biotiques qu’il faut considérer quand on commence à se demander comment la vie a émergé sur Terre. Mais c’est une autre histoire.
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