Au matin du mardi 21 juillet dernier, l’Union européenne a annoncé la mise en place d’un vaste plan de relance. Au total, 750 milliards d’euros seront prêtés sous forme de dettes ou de subventions aux pays européens touchés par la crise sanitaire provoquée par le coronavirus. Afin de rembourser cette somme, plusieurs pistes sont envisagées par les États membres. Parmi elles, la mise en place d’une taxe carbone aux frontières. Selon Matthieu Toret, avocat spécialisé en fiscalité environnementale au sein du cabinet Enerlex, l’efficacité de cette nouvelle taxe n’est pas des plus évidentes. En cause, des raisons économiques, mais également politiques et géopolitiques.
Techniques de l’Ingénieur : Que pensez-vous de ce plan de relance ?
Comment l’Union européenne prévoit-elle de financer ce plan ?
Dans son interview télévisée [au journal de 20h de TF1, le 21 juillet dernier, NDLR], Emmanuel Macron a indiqué que l’UE devrait rembourser cette dette grâce à quatre taxes européennes. Là aussi, ce serait une nouveauté si cela se concrétisait. Les deux premières taxes concerneraient les géants du numérique et les transactions financières. Une troisième porterait sur les matières plastiques et devrait entrer en vigueur dès l’année prochaine. La dernière, la taxe carbone aux frontières, est un projet de plus grande envergure. Pour l’instant, aucune date d’entrée en vigueur n’a été annoncée. À mon sens, cela s’explique par les nombreuses difficultés liées à sa mise en application.
Quelles sont ces difficultés ?
En tant qu’avocat, je pense immédiatement aux difficultés juridiques que la mise en place d’une telle taxe impliquerait. Par exemple, les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) interdisent de taxer plus fortement une marchandise étrangère qu’une marchandise nationale. Par conséquent, si un produit chinois se retrouvait subitement plus fortement taxé à l’intérieur de l’Union européenne, il faudrait obligatoirement qu’une taxation équivalente s’applique aux produits européens.
Le marché européen pourrait-il dépasser ce blocage ?
Effectivement, l’Union européenne possède une solution : le marché carbone. Par ailleurs, un prix du carbone est déjà fixé sur son territoire. Cela pourrait donc permettre aux Européens de taxer les marchandises étrangères à due concurrence de ce marché carbone, également appelé « marché ETS » (« Emissions Trading System »). Cependant, cette taxation ne s’applique pas à tout. Aujourd’hui, ce marché carbone concerne principalement l’acier, le ciment, l’électricité, et plus généralement l’industrie lourde, mais pas plus. C’est pourquoi il se dit que, dans un premier temps, cette taxe carbone aux frontières pourrait ne s’appliquer qu’aux secteurs du ciment, de l’acier, et de l’électricité.
Cette taxe carbone aux frontières suffirait-elle à rembourser le plan de relance ?
À mon sens, non. Mais en réalité, cela dépend du niveau auquel serait fixée la taxe. À titre d’indication, en Suède, la taxe carbone s’élève à 120 euros par tonne de CO2. C’est la plus élevée d’Europe. En France, la taxe carbone nationale, qui a été gelée suite au mouvement des gilets jaunes, est de 44 euros. Si on maintient ce niveau de taxation, les sommes collectées seront nettement insuffisantes pour rembourser cette nouvelle dette. Pour y remédier, il faudrait que le prix de la taxe carbone soit aligné sur celui donné par les Suédois. Notons cependant que l’Union européenne prévoit de rembourser ces 750 milliards d’euros sur trente ans.
Au-delà des questions financières, la taxe carbone aux frontières pose-t-elle d’autres difficultés ?
L’application de la taxe carbone aux frontières implique également des difficultés politiques et géopolitiques. Si on se met à taxer fortement le ciment qu’elle produit, la Chine ne serait-elle pas capable de prendre de sévères mesures de rétorsion sur les produits européens ? De plus, Emmanuel Macron a affirmé que cette nouvelle fiscalité ne pèserait pas sur les citoyens français. Mais cela ne peut pas être vrai. Il est bien évident que tous les coûts d’une chaîne sont répercutés sur le consommateur final. Mais effectivement, stricto sensu, la taxe ne sera pas directement acquittée par le consommateur final, qui devra cependant s’attendre à ce que le tarif du ciment augmente.
Selon vous, la taxe sur les matières plastiques générera-t-elle davantage de recettes ?
Non. Le réel but de cette taxe sur les plastiques est d’en réduire la consommation. Elle n’est pas censée rapporter beaucoup, ou alors elle sera un échec.
Que se passerait-il si l’Union européenne n’avait pas assez de recettes pour rembourser sa dette ?
Pour rembourser les créanciers, il faudra nécessairement créer de nouvelles ressources propres. De plus, pour obtenir ce plan de relance, la France et l’Allemagne ont dû concéder aux « Frugal Four » une baisse de leur contribution annuelle au budget de l’Europe. Ces pays (l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède) sont partisans de l’austérité budgétaire. À mon sens, la tentation sera grande au niveau européen de ne rembourser que les intérêts et ainsi faire rouler la dette.
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