Mardi 10 décembre, le Sénat adoptait en deuxième lecture la possibilité d'étendre la Loi de Programmation Militaire (LPM) à l'ensemble des citoyens français. Inquiétudes et mécontentement commençaient alors à poindre parmi les acteurs du numérique, relayées par quelques médias. Maintenant que la loi controversée est promulguée, qu'en est-il de la situation ?
Comment s’applique concrètement la Loi de Programmation Militaire ?
L’article 20 du projet de loi relatif à la Loi de Programmation Militaire, intitulé « Accès administratif aux données de connexion » est celui qui nous intéresse présentement.
C’est lui qui accorde aux agents d’état habilités ainsi qu’aux services de police et gendarmerie, le droit de collecter les données personnelles des citoyens jugés potentiellement « ennemis d’État ».
En clair, cela signifie que les agents auront toute liberté de se renseigner auprès des opérateurs pour savoir quels sont les appels (appelés/appelants/durée/date des communications) effectués par ces derniers, et pourront également déterminer – via les terminaux de communication – leur localisation.
Cette surveillance se portera sur des dizaines de milliers de personnes chaque année.
Les protestations de nombreux acteurs du numérique
L’extension de la LPM poursuit évidemment une juste cause: garantir la sécurité de la population et de la nation en luttant contre le terrorisme.
Toutefois ces dispositions concernant la défense et la sécurité nationales ne satisfont pas tout le monde. De nombreuses associations et acteurs du Web (l’Asic qui représente AOL, Google, Deezer, Facebook, Yahoo…, La Quadrature du Net, l’Afdel et d’autres) sont en effet montés au créneau. Une pétition citoyenne « Internet au service du peuple et non de l’État ! » a même vu le jour sur change.org.
La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a tardivement fait part de sa position sur le sujet. Rappelant n’avoir pas été saisie au moment de l’examen du projet de loi (ce qu’ont déploré les sénateurs écologistes), elle s’inquiète que le pouvoir octroyé aux services de renseignements ne se limite pas à « l’accès aux données de connexion mais s’étende à l’accès aux données de contenu ».
D’autre part, la CNIL estime qu’un débat public devrait être mis en place afin d’éclairer tous les tenants/aboutissants d’une « société de surveillance ». Jacques Attali, quant à lui, s’est dit ahurit: « l’article 20 de la nouvelle loi de programmation militaire vient de donner à l’administration tout pouvoir de traiter tout citoyen soupçonné d’un délit quelconque comme un terroriste, c’est-à-dire de pénétrer dans sa vie privée sans contrôle a priori d’un juge ».
L’économiste va encore plus loin en concluant que c’est « ainsi que meurent les démocraties ».
La LPM est-elle dangereuse ?
La crainte principale de ces acteurs et de certains médias est que la LPM porte atteinte aux droits et libertés individuelles; que les motifs de surveillance soient flous ou malléables selon arrangement de l’État, et qu’en prévention de la criminalité, « ce régime d’exception ne s’applique à toutes les infractions » (dixit l’Asic); et que la surveillance de quelques « citoyens potentiellement criminels » ne dérive vers une surveillance généralisée à la manière de Big Brother (cf. l’article du figaro « La France vire-t-elle à la société orwellienne? »).
L’association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet, La Quadrature du Net, est peut-être l’organisation à s’être insurgée le plus fort, n’hésitant pas à employer des formules fortes pour parler de la LPM : « nos libertés fondamentales sont en danger » ou encore « pas de programme Prism à la française ».
Était-il nécessaire de faire un parallèle avec le programme de surveillance américain Prism, dénoncé par l’ex-consultant Edward Snowden ? Pas sûr, le trait est évidemment exagéré. Benoît Thieulin, président du Conseil national du numérique, se veut rassurant « il ne s’agit pas d’un Prism à la française. Les autorités n’ont pas accès à toutes les données : elles sont surtout détenues par les géants du Web américains. ». Les agents habilités ne pourront pas se renseigner sur une personne comme bon leur semble. En effet, ils devront demander au préalable l’accord « d’une personnalité qualifiée placée auprès du Premier ministre », elle-même sélectionnée par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Il devrait donc y avoir un contrôle strict.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Si beaucoup se sont offusqués, le constat est simple. La loi a été promulguée car la saisine du Conseil constitutionnel n’a pas emballé un nombre de députés/sénateurs suffisant (il en fallait 60).
Ou plutôt si… Mais les élus UMP (48) et Verts (17) opposés à l’extension de la LPM n’ont pu mettre de côté leurs velléités pour s’unir. Subsiste encore pour les plus réfractaires quelques possibilités de recours a posteriori tels que : l’amendement parlementaire ou encore la « question prioritaire de constitutionnalité » permettant à toute personne de « contester la conformité à la Constitution d’une loi déjà entrée en vigueur ».
En l’absence de réaction, l’article 20 s’appliquera dès le 1er janvier 2015. Collecter les données personnelles des citoyens suspectés d’être un danger pour la nation sera donc juridiquement autorisé.
Sébastien Tribot
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