Les requins jouent un rôle majeur dans la chaîne tropique, car ils constituent en effet une espèce dite de « clé de voûte » pour les écosystèmes marins. Ils sont également considérés comme des superprédateurs, tout en présentant par ailleurs une grande vulnérabilité. Depuis des années, la communauté scientifique sonne en effet l’alerte, car cette population est menacée d’extinction, à cause de la pression croissante exercée par l’homme. Une nouvelle étude, publiée dans la revue Science, révèle l’ampleur de la perte globale à travers le monde. Elle a monopolisé durant cinq ans plus de 150 chercheurs issus de plus de 120 institutions situées aux quatre coins du globe.
Les scientifiques ont utilisé un procédé facile à reproduire : la vidéo sous-marine appâtée. Cette méthode consiste à déposer un appât dans une cage pour attirer les requins, sans qu’ils puissent l’atteindre, mais sous l’œil d’une caméra. Il est ainsi possible de compter et d’identifier les différentes espèces qui s’en approchent. Pour avoir une compréhension globale du déclin de cette population, plus de 22 000 stations vidéo sous-marines ont été placées dans 391 récifs coralliens différents, répartis dans 67 pays et territoires, soit l’équivalent de 90 % des récifs mondiaux.
Le dispositif mis en place a permis d’identifier 104 espèces de requins différentes, ce qui représente plus de 77 % de celles qui sont connues pour être présentes sur les récifs coralliens à un moment donné de leur vie. Premier résultat : un peu plus de la moitié (53 %) de la centaine d’espèces de requins identifiés a été comptabilisée moins de dix fois. Un chiffre très faible, qui démontre l’ampleur du déclin. Ensuite, il apparaît que les cinq principales espèces de requins vivant sur les récifs coralliens, c’est-à-dire le requin gris de récif, le requin à pointe noire, le requin à pointe blanche, le requin nourrice et le requin de récif des Caraïbes, ont régressé en moyenne de 63 % au niveau mondial. Cette perte a été calculée par rapport à une estimation réalisée par un modèle numérique de l’abondance attendue de requins sur chaque site, s’il n’y avait eu aucune pression anthropique.
Le déclin est plus important que prévu
Selon Colin Simpfendorfer, auteur principal de cette étude et professeur à l’Université James Cook en Australie, il s’agit de l’une des meilleures estimations du déclin de la population d’espèces de requins, en raison du très grand nombre de récifs et de pays échantillonnés. « Cela nous dit que le problème des requins sur les récifs coralliens est bien pire et plus répandu que quiconque ne le pensait », ajoute-t-il. Quant aux motifs de cette extinction, sans surprise, la surpêche généralisée est la principale responsable. Les auteurs de l’étude écrivent que « les effets directs et indirects de la pêche ont entraîné des changements dans la composition des espèces, passant d’assemblages dominés par les requins à des assemblages dominés par les raies. » De plus, une perte complète des requins et des raies est même observée dans environ 7 % des récifs étudiés.
Les résultats de ces travaux de recherche ont déjà été utilisés pour placer quatre espèces de requins dans la liste rouge des espèces les plus menacées de l’ UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Ils ont également été présentés lors de la dernière conférence de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), afin d’aider les gouvernements du monde à mieux réglementer le commerce de ces espèces de requins.
À l’échelle planétaire, la zone Indo-Pacifique a globalement des populations de requins mieux préservées que celles de l’Atlantique. Les lieux où le déclin est le moins important sont des sanctuaires, c’est-à-dire des endroits où chaque espèce est totalement protégée des activités de l’homme. Bien que les requins de récif courent un risque considérable dans de nombreux endroits, l’étude démontre tout de même que le déclin d’un récif a relativement peu d’effet sur les récifs situés à des dizaines à des centaines de kilomètres. Les auteurs estiment que même dans une zone menacée d’extinction, le potentiel de reconstitution de l’abondance des espèces de requins est relativement élevé, mais à condition de la protéger et d’interdire la pêche de ces animaux.
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