Comme chaque année, l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire), vient de publier son rapport annuel sur la sécurité des installations nucléaires en France. Si en 2019, elle juge que le niveau de sûreté est resté globalement satisfaisant, elle considère que la rigueur d’exploitation des centrales nucléaires d’EDF est en recul. Alors qu’en 2018, aucun événement significatif classé au niveau 2 sur l’échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques (INES) n’a été recensé, trois ont été observés l’année dernière. Ce niveau signifie que l’incident est assorti de défaillance importante des dispositions de sûreté. « Deux d’entre eux mettent en évidence des gestes et des décisions inadaptés des intervenants et le franchissement de lignes de défense organisationnelles » précise le « gendarme » du nucléaire.
Malgré ces carences, Daniel Heuer, directeur de recherche au CNRS affecté au LPSC (laboratoire de physique subatomique et de cosmologie), estime que la France a probablement le niveau de sûreté le plus efficace dans le monde. « Quand l’ASN signale un problème sur tel réacteur, ses signaux d’alerte sont très faibles, ce qui permet de conserver un niveau de sûreté très élevé », explique ce chercheur. « Je pense que le niveau de sûreté d’une centrale est à peu près le même que celui d’un avion sauf que le risque en cas d’incident est plus faible, analyse Daniel Heuer. Quand un avion tombe, tout de suite cela fait beaucoup de morts tandis que la plupart des incidents rencontrés sur un réacteur nucléaire sont sans conséquence sur l’environnement. »
Une augmentation des incidents liés à la corrosion
La CRIIRAD (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité) n’est pas de cet avis. Cette association, née après la catastrophe de Tchernobyl, juge le parc nucléaire en moins bon état qu’il y a 20 ou 30 ans à cause de son vieillissement. « Une grande partie de la maintenance est réalisée par des sous-traitants et est moins bien réalisée qu’à l’époque où EDF entretenait ses centrales, dénonce Roland Desbordes, porte-parole de la CRIIRAD. EDF a perdu cette compétence et son personnel ne connaît plus son outil. Nous observons par exemple une augmentation du nombre d’incidents liés à la corrosion. Ce qui m’inquiète, c’est l’incident qui dégénère. Cela démarre par une fuite de vapeur mal maîtrisée, qui va amener une réaction inadéquate de l’exploitant ».
Un incident est qualifié de grave à partir du niveau 3 puis est nommé « accident » à partir du niveau 4. « A ce stade, il devient inquiétant mais reste sans conséquence sur l’environnement puisqu’il est circonscrit au site, ajoute Daniel Heuer. Il y a une telle inertie à l’intérieur du réacteur que lorsque cela dérape, on dispose de 8 à 12 heures pour alerter la population et pendant ce temps, beaucoup de choses peuvent être réalisées pour contenir l’accident ». La France a connu deux accidents de niveau 4 en 1969 et 1980. Tous les deux se sont produits dans la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher), sur d’anciens réacteurs aujourd’hui à l’arrêt.
De son côté, EDF assure que le niveau de sûreté de ses centrales nucléaires est aujourd’hui plus élevé qu’à l’époque où elles ont été construites. « Elles font l’objet d’une révision tous les 10 à 18 mois puis d’une révision complète décennale avec l’obligation de respecter les normes de sûreté d’aujourd’hui qui sont plus exigeantes », déclare l’exploitant de centrales nucléaires. Ce qui n’est pas le cas de tous les pays. Aux États-Unis par exemple, les installations doivent se conformer aux normes imposées à l’époque de leur construction. Quant à l’externalisation, EDF déclare se concentrer sur le cœur de son métier qui est d’exploiter ses centrales et d’en assurer la sûreté. « Certaines tâches qui relèvent d’une expertise métiers sont sous-traitées à de grandes entreprises comme Framatome ou General Electric et qui sont labellisées à travailler dans le nucléaire. C’est le cas par exemple de l’échafaudage lors des visites décennales dont la mise en œuvre est sous-traitée à Orano DS », poursuit l’entreprise.
Même si plusieurs défauts de maintenance sont révélés par l’ASN dans son rapport 2019, le « gendarme » du nucléaire juge tout de même que « d’une manière générale, la plupart des centrales nucléaires s’organisent de manière satisfaisante pour mener à bien les opérations de maintenance de grande ampleur. »
Un nouveau plan pour atteindre l’excellence
Trente ans après sa construction, Monique Guittenit, une habitante proche de la centrale de Goldfech, dans le Tarn‑et‑Garonne, ne décolère pas. « Avant sa construction en 1990, on nous avait dit qu’elle aurait une durée de vie de 25 ans. 30 ans après, elle est toujours en fonctionnement » s’exclame cette femme, membre de l’association Stop Golfech. La centrale est pointée du doigt par l’ASN comme ayant des performances en matière de sûreté nucléaire nettement en retrait comparée à l’appréciation générale que porte l’autorité sur l’ensemble du parc nucléaire en France. « Elles [les performances en matière de sûreté nucléaire du site de Golfech, NDLR] doivent faire l’objet d’une priorité pour l’exploitant » précise l’ASN, qui en assurera un suivi rapproché en 2020. Le 5 juin 2020, le site a connu un nouvel incident classé au niveau 1. « La multiplication de ces incidents s’explique par le vieillissement de la centrale et par une perte de savoir-faire lié au départ à la retraite de la moitié du personnel du site » explique Monique Guittenit.
Afin d’améliorer le niveau de sûreté de ses centrales, EDF a mis en place depuis la fin de l’année dernière son plan nommé « excell » afin de permettre à toute la filière nucléaire d’atteindre le plus haut niveau de rigueur, de qualité et d’excellence. L’un des axes de ce plan concerne le renforcement des compétences du personnel avec notamment la création d’un outil de gestion des savoirs qui permettra de capitaliser sur la connaissance et de la diffuser dans ses centres d’ingénierie. La création d’une université des métiers du nucléaire est également annoncée.
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