Nicolas Multan est directeur général d'Hemeria, une start-up toulousaine qui est devenue en quelques années une des pépites françaises de l'aérospatial.
Ex Nexeya, Hemeria est aujourd’hui le leader de la filière française des nanosatellites, un secteur où la concurrence est rude.
Propulsé par le programme Angels développé en collaboration avec le CNES, Hemeria a choisi de diversifier son activité pour être plus solide et affronter au mieux les aléas du marché du spatial mondial. Un choix qui paie aujourd’hui.
Techniques de l’Ingénieur : Comment Hemeria, ex Nexeya, est-elle devenue le fer de lance de la filière nanosatellites française ?
Nicolas Multan : En 2009, nous avons vu que le monde du cubesat était en train de révolutionner une partie de l’accès à l’espace avec des petits systèmes. En effet, ces derniers sont peu chers, rapides à mettre en œuvre, standardisés… mais à l’époque personne ne pensait que ces petits modèles de satellites, développés par des passionnés, des étudiants, pourraient représenter un jour un véritable intérêt pour l’industrie.
Nous nous sommes alors demandés s’il était possible de faire de ces petits objets des produits d’entrée de gamme pour le monde industriel.
Pendant 7 ans, nous avons travaillé, entre autres, sur deux programmes de recherche, financés par l’Etat et la région Occitanie, qui ont permis, localement, de constituer un consortium d’entreprises qui croyaient à cette idée.
A ce moment-là nous n’avions que peu de rapports avec le CNES et les grands industriels.
Qu’est-ce qui a changé la donne ?
En 2016, le CNES a fait évoluer sa position initiale, estimant que les petits objets que nous développions pouvaient représenter un potentiel industriel intéressant. A partir de là, le CNES a activement supporté notre démarche. Cela s’est matérialisé en 2017 par un contrat, Angels (démonstrateur opérationnel de la miniaturisation de la mission Argos). Le CNES a fait à cette occasion un investissement financier, mais pas que. La conduite du projet a vu une équipe d’experts du CNES intégrer les équipes d’Hemeria, pour former une seule et même équipe, qui a développé de A à Z le projet Angels, pour aboutir à la mise en orbite d’un satellite fonctionnel. Ce satellite, mis en orbite en décembre 2019, fonctionne aujourd’hui et donne satisfaction.
Plus que l’investissement du CNES, c’est ce travail d’équipe entre le CNES, Hemeria et son consortium de partenaires industriels, qui a permis le succès qu’est aujourd’hui Angels.
Aujourd’hui, sur quelles activités se répartit le chiffre d’affaires d’Hemeria, en France et à l’international ?
Une part non négligeable de notre chiffre d’affaires est générée par la fourniture, aux grands industriels du secteur type Airbus ou Thales, de « morceaux » de gros satellites. Cette partie de notre activité représente encore à date, plus de chiffre d’affaires que la partie nanosatellite.
A noter également que le domaine de la Défense est aussi largement présent puisqu’il représente 50% du chiffre d’affaire. Nous venons d’ailleurs d’acquérir l’entité « Eolane les Ulis » pour renforcer notre positionnement.
Pour ce qui est de l’international, cela dépend des marchés. La part de marché qui est adressable à l’international pour la fourniture de sous-ensembles aux primes, est assez limitée. Déjà, Airbus et Thales sont des acteurs majeurs du marché mondial. Il y a des opportunités, mais c’est assez résiduel pour le moment, les acteurs américains étant focalisés sur leurs enjeux militaires nationaux.
Nous avons toutefois des clients hors France comme OHB, IAI, SENER, RUAG, … et discutons avec des Indiens, des Canadiens ou encore des Russes.
Pour la partie nanosatellites en revanche, au-delà des marchés structurant comme la constellation KINEIS et d’autres missions Françaises militaires ou scientifiques que l’on discute avec la DGA et les CNES, le levier de développement de la filière est bien la vente « en masse » à l’international.
Vous parlez de diversification. Cela permet-il à Hemeria de conquérir de nouveaux marchés ?
Aujourd’hui par exemple, nous sommes en train de pousser une offre, à l’international, qui ne se limite pas à la fourniture de nanosatellites : c’est une offre plus globale, « packagée » si je puis dire, qui inclut des services, et qui peut intéresser un acteur nouveau dans le domaine du spatial. Cette offre globale lui permettra de passer plusieurs caps à la fois dans ce domaine d’activité.
Les pépites françaises du secteur sont-elles tributaires du soutien de l’Etat et des grands industriels aujourd’hui ?
Nous avons en France quelques « pépites », comme Kineis pour les services, Exotrail ou Anywaves pour les équipements, Hemeria sur la filière nanosatellites… et bien d’autres ! Toutes ces sociétés-là sont largement soutenues par les instances nationales. En France, développer des projets ambitieux qui n’auraient pas un regard bienveillant de l’Etat et des grands groupes comme Airbus ou Thales paraît, aujourd’hui, compliqué, voire illusoire.
Parlons de la New Space Factory. Cette démarche permet-elle aux entreprises membres d’être plus compétitives ?
La New Space Factory est un regroupement d’entreprises d’intérêt commercial. Cette approche commune sur l’aspect commercial n’enlève rien au fait que chaque entreprise membre évolue dans l’écosystème de manière autonome. Par contre, ce que l’on observe, c’est que les entreprises de la New Space Factory ont beaucoup misé sur la diversification. Elles sont donc plus résilientes.
Si je prends l’exemple d’Hemeria, sur un chiffre d’affaires de 35 millions d’euros, 7 à 8 millions d’euros sont liés à l’activité nanosatellites. Le reste du chiffre d’affaires va concerner, entre autres, le secteur de la dissuasion nucléaire par exemple, qui est un marché très structurant, sur de nombreuses années. Ainsi, pour Hemeria, la question de la pérennité de l’entreprise ne se pose pas aujourd’hui. Cette résilience fait la force de notre entreprise, et également de notre groupement.
Nous avons pu constater que la diversification des activités des entreprises de la New Space Factory avait permis à beaucoup d’entre elles de surpasser les crises contextuelles, quand d’autres entreprises, qui avaient tout misé sur une activité, rencontrent aujourd’hui de grandes difficultés.
Pour conclure, quel regard portez-vous sur les programmes engagés par le CNES, et notamment Ariane 6, pour rester compétitif sur l’activité des lancements de satellites ?
Le CNES a mis en place beaucoup d’initiatives, cela est très positif. Concernant le projet Ariane 6, celui-ci doit nous apporter le maintien de l’autonomie européenne d’accès à l’espace, c’est primordial. La volonté d’être plus compétitif est également une nécessité face aux nombreuses initiatives mondiales qui voient le jour et qui « challengeront » en partie Ariane 6 sur le volet commercial.
Pour ce qui est du contexte technique, je reconnais être admiratif de ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique et j’aurais imaginé que nous soyons plus ambitieux au démarrage du programme afin de ne pas que rattraper notre retard, mais d’essayer de finir devant afin de définir de nouvelles règles au niveau business.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
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